Les Exilés dans la forêt

Chapitre 21LES CINCHONAS.

 

Quinze jours après l’arrivée de nos proscritsdans la vallée, leur établissement était aussi complet quepossible, avec maison, écurie et dépendances.

L’intérieur de la maison nous eût ménagé biendes surprises. Vous y eussiez vu des sacs composés de la spathefibreuse du bussu et remplis du coton soyeux du ceiba, recueillipour être filé et converti en linge de corps ; des paniersfabriqués avec l’écorce de la tige des feuilles de l’iû(astrocaryum), car ce palmier n’a pas de tronc, maisseulement des feuilles de quatre mètres de large qui sortentdirectement de terre. Vous vous fussiez reposé sur les chaisesfaites de palmier et de bambous, et rafraîchi dans une vaisselletrès légère fournie par l’écorce d’une gourde nommée crescentiacujeta.

Vous eussiez eu à demander des explicationssur les instruments et les outils que vous y auriezremarqués ; par exemple, sur un rouleau couvert d’épines trèsrapprochées, morceau des racines aériennes du pashiuba qui servaitde râpe, excellente pour réduire en poudre le juca, dont on tire lemanioc, ou encore sur un tapiti, sac conique tissé avecdes fibres de palmier, et qui sert à exprimer la sève du manioc unefois râpé. Pour faire la cassave, on attache le tapiti à une fortecheville, et l’on appuie sur le bout d’un bâton qui fait levier,jusqu’à ce que la pulpe ait rendu tout le liquide dont elle estimprégnée. On la met ensuite au four ; et quand elle est biensèche, on en fait du pain. C’est la substance bien connue parminous sous le nom de tapioca.

Toutefois, remarquons en passant qu’il y adeux espèces de juca : l’espèce douce et l’espèce amère ;l’une est inoffensive, l’autre renferme un des poisons les plusviolents du règne végétal ; et tandis que la première, mangéecrue, est sans danger et saine, la seconde, au contraire, donneraitla mort ; aussi est-il nécessaire de veiller sur le produitqui sort du tapiti, afin que ni enfants ni chiens ne viennent à engoûter.

Quant à des lits, vous n’en eussiez point vu.Dans ces pays chauds, ce luxe de nos climats tempérés n’offriraitnullement le confortable que nous lui trouvons, car il faudraitcompter avec la certitude d’avoir des compagnons désagréables,insectes de toutes natures et reptiles.

On les remplace par des hamacs. Chez DonPablo, on en comptait cinq tressés par Guapo avec l’épiderme de lafeuille d’un très beau palmier appelé tucum (astrocaryum).Ils étaient suspendus, les uns à l’intérieur de la maison, lesautres sous la véranda formée par l’avancement de la toiture,suivant que leurs propriétaires aimaient ou redoutaient lafraîcheur de la nuit.

Quand la maison eut acquis tout le confortdésirable, Don Pablo commença à tourner son attention vers l’objetqui l’avait déterminé à se fixer en ces lieux. À son premier examendes cinchonas, il avait reconnu qu’ils appartenaient à l’une desmeilleures espèces. C’était celle qui fournit la cinchonine et sesdérivés, la cascarille de Cuzco.

Il existe au Pérou de vingt à trente sortesd’arbres qu’on exploite pour leur écorce, qui produit le fébrifugeconnu sous le nom de quinquina, dont on extrait la quintessencesous le nom de quinine. Dans ce nombre il existe plusieurs qualitésde cinchonas. D’autres appartiennent au genreexostemma ; mais il en faut compter pas mal dontl’écorce n’a aucune valeur ; et comme pour bien d’autresmarchandises, ces dernières donnent une triste idée de l’honnêtetécommerciale.

L’espèce qui couvrait les hauteursavoisinantes se rapprochait beaucoup du cinchona condaminea, unedes plus estimées, que l’on ne rencontre guère qu’aux environs deLoxa. L’arbre que Don Pablo avait l’intention d’exploiter atteintune hauteur de vingt-sept mètres. Son feuillage, trèsreconnaissable entre tous, est rougeâtre et brillant, et se composede feuilles ayant de dix à quinze centimètres de long sur six ousept de large. Cela facilite la tâche des cascarilleros, en leurpermettant de les reconnaître de plus loin, vu qu’ils sontdisséminés sur des surfaces considérables.

Don Pablo avait eu de la chance. Non seulementla qualité était irréprochable, mais il avait trouvé un espace,qu’il n’évaluait pas à moins de quarante ares, presque absolumentcouvert de ces arbres qui représentaient une fortune. Qu’il pûtseulement en réunir cinquante mille kilos et les faire parvenir àl’embouchure de l’Amazone, et il en retirerait environ250,000 fr.

Il ne se décourageait pas à calculer combiende temps il lui faudrait sacrifier pour obtenir ce résultat ;il voulait l’obtenir, et pour cela il résolut de se mettre àl’ouvrage résolument et sans plus tarder.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer