Les Exilés dans la forêt

Chapitre 47CONCLUSION.

 

Après bien des journées d’une navigationdifficile, le balza s’engagea enfin sur le fleuve des Amazones,dont les eaux d’un vert olive jaunâtre avaient encore près de deuxmille quatre cents kilomètres à parcourir avant de se déverser dansl’Océan.

Le courant était de six à sept kilomètres àl’heure ; et comme on ne rencontrait point d’obstacles, nosvoyageurs ne faisaient jamais moins de quatre-vingts kilomètres parjour, au milieu d’une contrée plate et d’un aspect qui eût étémonotone, sans les innombrables coudes que décrivait ce fleuveimmense et la végétation aussi variée que splendide qui en égayaitincessamment les rives.

Presque chaque jour, ils croisaientl’embouchure de quelque affluent dont la largeur était parfoisaussi considérable que celle même de l’Amazone.

Ce qui frappait surtout nos voyageurs, c’étaitla diversité de teintes des eaux de ces nombreux tributaires. Lesunes étaient blanches, mais avec une teinte olivâtre, les autreslimpides et bleues, d’autres encore noires comme de l’encre. De cenombre étaient celles du Rio Negro, dont l’un des affluents, leCasiquiare joint l’Amazone à l’Orénoque.

Cette diversité de couleurs a fait classer lesrivières de ce bassin en rivières blanches, bleues et noires. Iln’en existe pas de rouges dans la vallée de l’Amazone. Ellessemblent exclusivement réservées à l’Amérique du Nord.

On attribue cette variété de teintes à lanature du sol que traversent les cours d’eau. C’est à tort qu’onsupposerait que l’Amazone et le Rio Bianco, dont l’eau est d’uneblancheur laiteuse, doivent cette nuance à un limon que leur ondetiendrait en suspension. On s’en est assuré en en faisant reposerle temps nécessaire dans un vase : elle avait gardé la mêmeapparence que dans son cours.

Les rivières bleues courent généralement surun lit de rochers, et leurs eaux transparentes ne rencontrentaucune alluvion pour en altérer la limpidité.

Mais les plus curieuses sont sans contreditles rivières noires. Quand leurs eaux sont profondes, elles roulentcomme un flot d’encre ; quand elles le sont peu, elleslaissent apercevoir leur lit qui semble tout pailleté d’or. Onsuppose que cette couleur noire est due à l’abondance des racinesde salsepareille qui croisent sur ces rives ; mais il est àremarquer qu’il ne s’y rencontre pas de moustiques, ce qui est unfait d’une importance capitale quand il s’agit d’un établissement àfonder.

Les jours succédaient aux jours, marquésd’incidents trop nombreux et trop insignifiants pour trouver placedans notre récit.

Après avoir passé l’embouchure du Rio Negro,nos voyageurs remarquèrent avec plaisir que le paysage semodifiait. C’était bon signe. En effet, on approchait du port. Desmontagnes se dessinaient à l’horizon. Les unes se dirigeaient aunord vers la Guyane, les autres au sud vers le Brésil, et variaientagréablement la monotonie de leur long voyage.

Il y avait un mois qu’ils étaient entrés dansl’Amazone et plus du double qu’ils avaient lancé leur modesteembarcation à travers l’inconnu, quand elle vint un beau jour seranger le long des quais de la belle cité de Gran Para.

Ici, au moins, Don Pablo retrouvait sa dignitéd’homme libre.

Néanmoins, il ne séjourna pas longtemps dansce port fréquenté. Il trouva l’occasion de fréter de compte à demiun beau navire en partance pour l’Amérique du Nord, et c’est à NewYork qu’il se rendit avec sa famille et ses denrées. Il y disposade son quinquina, de sa vanille et de sa salsepareille, pour unesomme nette de 20,000 dollars.

C’était une fortune à l’époque. Avec cela, ils’établit aux États-Unis, pour y attendre que sa chère patrie fûtdélivrée du joug de ses oppresseurs.

Son exil dura dix ans.

Un jour, il apprit que toutes les provincesespagnoles de l’Amérique s’étaient soulevées d’un mouvement unanimeet combattaient au nom de la liberté ! Aussitôt le père et lefils allèrent s’enrôler parmi leurs compatriotes, pour servir lasainte cause de l’indépendance et de l’humanité. Ils s’illustrèrentcôte à côte dans cette guerre de dix ans qui se termina par labrillante victoire de Junin, où les patriotes triomphèrentenfin.

La paix signée, Don Pablo, général dedivision, et Léon, colonel, démissionnèrent et rentrèrent dans lavie privée, pensant que, les hostilités terminées, les lauriers dela guerre doivent être oubliés et l’épée remise au fourreau.Opinion que je partage.

Don Pablo, revenu à ses livres, se consacratout entier à la science ; mais Léon organisa une véritableexpédition de cascarilleros et revint à la montana, où il passaplusieurs années à acquérir une fortune qui fit de lui un des plusopulents « ricos » du Pérou.

Guapo, qui ne paraissait pas avoir vieillidepuis tant d’années que nous vous l’avons présenté, était le dignechef des cascarilleros de son maître ; il eut l’occasion desavourer maintes coccadas avec son ami le vaquero, dans sesnombreux voyages de Cuzco à la montana.

Doña Isidora resta longtemps encore l’ornementde son sexe, plus par ses vertus que par sa beauté, et eut lasatisfaction de voir sa Léona admirée à juste titre comme la belledes belles de Cuzco.

Elle se maria, ainsi que son frère, dans saville natale, où leur race s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Sibien que si le hasard vous conduisait à Cuzco, vous y trouveriezencore des Léon et des Léona aux grands yeux souriants et auxboucles flottantes, descendant tous de la famille de notreproscrit.

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