Les Exilés dans la forêt

Chapitre 6LE VAQUERO.

 

Quel était donc le sauveur improvisé auquelDoña Isidora était redevable de l’existence ?

Il n’était autre que l’ami de Guapo, qui, misen deux mots au courant de la situation, plaça aussitôt lui et samaison… au service de Don Pablo et de sa famille, et mit àleur disposition toutes les ressources dont il disposait.

Les macas, le maïs et une belle entrecôte detaureau sauvage leur permirent de faire un souper délicieux etréconfortant.

En retour de cette large hospitalité – euégard à celui qui l’offrait – Don Pablo lui fit présent d’une sommeassez importante, mais qui ne lui donna pas moitié autant desatisfaction que le cadeau de Guapo, consistant en une portion deson coca, dont l’Indien était privé depuis déjà plusieurs jours etqu’il appréciait doublement.

Avant de quitter la ville, Guapo avaitconsacré jusqu’à son dernier « peseta » à se munir de celuxe suprême qui lui permettait d’être généreux.

Le souper de tous terminé, les deux Indiens selivrèrent dans le recueillement à leur bienheureuse coceada ;après quoi Guapo, qui savait pouvoir placer une entière confiancedans le vaquero – patriote comme lui – lui communiqua le secret deleur passage dans cette région désolée.

Non seulement le brave patriote promit unediscrétion absolue, mais il s’engagea à dépister toute poursuitedirigée de ce côté. Malgré son isolement, le vaquero avait entenduparler de Don Pablo, l’ami des Indiens, l’ennemi déclaré del’Espagnol oppresseur du Pérou, et il eût risqué sa vie pour leservir, car aucun peuple ne s’est montré aussi complètement dévouéaux amis de sa race que les Indiens des Andes.

Que de traits de fidélité jusqu’à la mort, desacrifices héroïques, on pourrait relever dans leur histoire durantl’affreuse période de la conquête par le sanguinaire Pizarre et sescruels adhérents !

Quand le vaquero sut à quelle extrémité enétaient réduits le noble seigneur et les siens, il ne fut que plusdisposé à ajouter à leur confort ; mais il eut du mal avec seschiens, arrivés après lui et fort peu enclins à témoigner autrechose qu’une hostilité impitoyable.

Les deux Indiens n’avaient pas été de troppour défendre les membres de la pauvre famille de leurs attaquesintempestives et redoublées. Mais, à force de coups de fouet, ilsparvinrent à s’en rendre maîtres et à les attacher tous les quatrederrière la hutte, où ils se dédommagèrent de leur impuissance parun vacarme abominable qui dura toute la nuit.

Aussitôt le souper fini, la petite famillen’eût demandé qu’à prendre le repos qui lui était sinécessaire ; mais l’Indien ayant parlé d’aller poser despièges à chinchillas et à viscaches, Léon, oubliant sa fatigue,sollicita la permission de l’accompagner ; ce qui lui futaccordé sans difficulté.

Le chinchilla et sa cousine germaine laviscache sont deux petits quadrupèdes de la famille des rongeurs,qui habitent les plus hauts plateaux du Pérou et du Chili. Ils sontà peu près de la même taille, c’est-à-dire de la grosseur d’unlapin, et ont des habitudes identiques à celles de ce dernier. Laplus grande différence est peut-être dans leur queue et dans leursoreilles, ces dernières étant plus courtes chez les bêtes qui nousoccupent que chez le lapin, et leur queue beaucoup plus longue etplus fournie.

Nous ne décrirons pas la fourrure duchinchilla. Elle est connue de tout le monde et très estimée desélégantes, qui la recherchent comme étant la plus douce et la plusveloutée. Celle de la viscache est moins jolie de couleur. C’est unmélange de brun et de blanc. Sa tête, qui a la forme de celle dulièvre, a des joues noires, et est ornée de longues moustachesraides comme celles du chat.

Ces deux petites créatures inoffensivesvivent, pendant le jour, cachées dans les trous et les fentes desrochers, au plus haut des versants des Andes. Elles n’en sortentque deux fois dans les vingt-quatre heures, le soir au crépusculeet de grand matin.

On les prend avec des collets de crin decheval placés à l’entrée de leur demeure, absolument comme lespièges tendus dans nos garennes, avec cette seule différence queles nôtres sont faits avec du fil de fer élastique et ceux desIndiens avec du crin.

Léon était enchanté de l’excursion. Levaquero, qui ne l’était guère moins que lui, se complaisait à luiexpliquer le maniement des pièges et à lui raconter mille histoiresplus curieuses les unes que les autres sur la puna, ses habitants,ses mœurs et sa faune.

En se rendant à l’endroit fréquenté par leschinchillas, on passa près d’une sorte d’étang, où se voyaientencore un grand nombre d’oiseaux particuliers à cette région.

Au milieu se débattait une oie sauvage connuesous le nom de huachua. Son plumage est d’un blanc deneige, à l’exception de ses ailes, d’un beau vert mêlé de violet,tandis que son bec et ses pattes sont rouge écarlate.

Il y avait également deux curieuses espècesd’ibis, et une gigantesque poule d’eau, fulica gigantea,presque aussi grosse qu’un dindon, moins remarquable par sonplumage gris sombre que par une excroissance de couleur jaune, dela grosseur et de la forme d’une fève, qui se rencontre à la basede son bec rouge, et qui lui a valu de la part des Indiens lesurnom de nez à la fève.

Plus loin dans la plaine, sur les bords dumarais, ils remarquèrent encore un superbe pluvier(charadrius), dont le plumage rappelle celui du huachua etdont les ailes vertes brillent au soleil comme du métal poli. Unautre oiseau singulier était le huarahua (polybonus), del’espèce des faucons, tellement inoffensif, que le vaquero s’enapprocha et le frappa de son bâton avant même qu’il eût songé às’envoler.

Jamais Léon n’avait vu oiseau si peufarouche ; aussi l’ami de Guapo, le voyant intéressé,ajouta-t-il quelques détails sur ses mœurs. Cet oiseau de proie,paraît-il, ne vit que de cadavres et ne s’attaque jamais à aucunecréature vivante.

C’était un naturaliste à sa manière que cebrave vaquero. Il savait sa puna par cœur, et aucune question à cesujet ne semblait de nature à l’embarrasser.

Il désigna à l’enfant un pic nommé par luipito (colaptes rupicola), qui habite les rochers, et qui,de même que les perroquets dont nous avons déjà parlé, est uneanomalie, appartenant à un groupe qui devrait exclusivement percherdans les bois, comme son nom l’indique. Le pito est petit, bruntacheté, avec le ventre jaune. Il y en avait beaucoup quivoletaient çà et là.

Mais l’oiseau qui fixa le plus l’attention del’enfant était de la taille d’un sansonnet. Il avait un assez joliplumage brun rayé de noir sur le dos, avec la poitrine touteblanche. Cependant ce n’est pas sa couleur qui intéressa Léon. Cefut quand son vieux compagnon lui raconta que régulièrement, àchaque heure de la nuit, cet oiseau méthodique jette au vent saplainte monotone ; ce qui l’a fait surnommer coq desIncas. Les Indiens ont pour lui un respect superstitieux.

Quand il eut placé tous ses pièges, le vaqueroet son jeune compagnon, mutuellement enchantés l’un et l’autre,regagnèrent leur logis en devisant gaiement. Ils longeaient lamontagne, quand un renard sortit de derrière quelques rochers et sedirigea avec précaution vers le marais, en quête d’une proie pourson souper.

C’était le canis azarœ, une des plusmauvaises espèces que l’on rencontre dans l’Amérique du Sud. Il estconsidéré comme la peste des troupeaux de la puna, parce qu’il estadroit chasseur et rarement au repos. C’est surtout parmi lesjeunes agneaux et les alpagas qu’il fait ses plus grandsravages.

Le vaquero déplora l’absence de seschiens ; car les propriétaires de troupeaux donnent à leursbergers un mouton, s’ils tuent un vieux renard ; et un agneau,si c’est un jeune. Il était certain que ses chiens n’auraient pasmanqué cette bonne prise. Mais la sécurité des mollets de Léonavait exigé qu’on les laissât à la maison, et maître renard enprofita pour détaler, sans apprécier à sa juste valeur le dangerauquel il venait d’échapper.

Il était nuit noire quand ils rentrèrent dansla cabane. Dès que Léon eut fini de relater tout ce qu’il avait vuet appris dans son excursion – ce qui demanda assez de temps –chacun se retira pour chercher, comme il pourrait, un repos bienmérité.

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