Les Exilés dans la forêt

Chapitre 7LAMAS, ALPAGAS, VIGOGNES ET GUANACOS.

 

Nos voyageurs furent sur pied au point dujour.

Comme ils sortaient de la hutte, un spectacleaussi imprévu qu’intéressant se présenta à leurs regards. D’un seulcoup ils embrassèrent les quatre espèces de moutons chameaux desAndes, qu’il est extrêmement rare de trouver ainsi réunis.

Les plus rapprochés de la hutte étaient deslamas qui passaient ; un peu plus loin, des alpagasapprivoisés ; puis un groupe de sept guanacos, et enfin untroupeau assez nombreux de timides vigognes.

Les guanacos et les vigognes étaient decouleur uniforme, tandis que le pelage des lamas et des alpagasprésentait de grandes variétés de tons. Les uns étaient unis, lesautres tachetés. Ici on en apercevait de tout blancs, etlà d’autresvêtus de robes sombres.

Mais les lamas et les alpagas étaientapprivoisés, tandis que les vigognes et les guanacos étaient desanimaux sauvages.

Peut-être, dans toute l’Amérique du Sud,n’existe-t-il pas un animal qui ait plus attiré l’attention que lelama. C’était la seule bête de somme que connussent les Indiensavant l’arrivée des Européens. Les premiers voyageurs espagnolsavaient débité tant de fables à son sujet, qu’on ne savait guère àquoi s’en tenir et que cela piquait la curiosité. Ils affirmaient,par exemple, que le lama servait de monture ; tandis qu’on nel’a jamais dressé qu’à porter des fardeaux, et qu’on n’a jamais purencontrer sur son dos qu’un gamin en quête d’amusement, oupeut-être embarrassé pour passer un gué.

Du sabot à l’épaule le lama ne dépasse pas unmètre de haut. Seul son long cou le fait paraître plus grand qu’iln’est en réalité.

Il est généralement brun, nuancé de noir ou dejaune. On en rencontre parfois de tout blancs ou de toutnoirs ; mais cela est rare chez les mâles. Sa laine est longueet grossière. Chez la femelle, plus petite de taille, elle est plusdouce et plus fine. Cette dernière n’est jamais employée à porterles fardeaux. On la réserve pour la reproduction, et les troupeauxde la puna sont presque exclusivement composés de mères avec leurspetits.

C’était le cas pour celui qui s’ébattait auxalentours de la hutte où nos amis avaient passé la nuit.

Dès l’âge de quatre ans les mâles sont dressésau transport des marchandises. Une selle ad hoc, appeléeyergua, en lainage grossier, est placée sur leurdos ; puis on y dispose les fardeaux. Le poids n’en doitjamais excéder soixante à soixante-cinq kilos ; autrement lelama, comme le chameau, se refuse absolument à marcher. S’il estpar trop exaspéré, il crache à la figure de son conducteur, etcette salive, extrêmement corrosive, fait naître des ampoules auxendroits qu’elle a touchés. On a vu des lamas, arrivés sous lesmauvais traitements à un paroxysme de rage ou de désespoir, seprécipiter contre les rochers pour s’y briser la tête.

Les lamas sont fort utiles dans les mines duPérou pour le charroi de l’or. Ils remplacent avec avantage lesânes et les mulets, car ils ont le pied très sûr, là où cesderniers pourraient à peine se soutenir.

On les rencontre souvent en longues caravanesse rendant à la côte pour y prendre un chargement de sel oud’autres denrées ; mais c’est une véritable perte, car il enmeurt beaucoup dans ces expéditions, parce que, natifs des hautesplaines des Andes, ils ne peuvent supporter la chaleur des bassesterres.

Un troupeau de lamas en voyage est chosecurieuse. Le plus grand marche le premier, c’est le conducteuraccrédité de toute la bande. Les autres le suivent à la file, à paslents et comptés, la tête ornée de rubans et de pompons, tandis queles petites clochettes suspendues à leur cou font entendre leurtapage argentin. Ils vont examinant autour d’eux tout ce qui sepasse. Malheur toutefois si la peur les prend ! Ils sedispersent de tous côtés, et ce n’est pas facile de leur fairereprendre leur rang. Au repos, ou quand ils commencent à y aspirer,ils font entendre ce bruit particulier dont nous avons déjà parléet qu’on a comparé au son d’une harpe éolienne.

Pour se faire charger, ils s’agenouillentcomme le chameau, en s’appuyant sur leur poitrine, où existe unecallosité à cet effet. C’est également dans cette posture qu’ilsdorment. Il faut toujours leur accorder une halte de jour, parcequ’ils ne mangent pas la nuit. Bien qu’incapables de longuestraites, ils n’en font pas moins des voyages considérables, pourvuqu’on leur ménage vingt-quatre heures de repos tous les cinq ou sixjours. Comme les chameaux de l’Orient, ils peuvent rester desjournées entières sans boire. Buffon, qui vivait à une époque oùles renseignements recueillis sur cet animal étaient des plusimparfaits, en cite un qui, dit-il, se passa d’eau pendant dix-huitmois. Telle était jadis l’exagération des voyageurs. À beau mentirqui vient de loin.

Ces utiles animaux sont aujourd’hui fortdépréciés. À l’époque de la conquête de l’Amérique, ils valaient de90 à 100 fr. L’introduction de bêtes de somme plus rapides etplus fortes les a fait déchoir dans l’opinion publique. Auxalentours des mines on les paye bien encore 20 fr. ; maisailleurs on en a tant qu’on en veut pour 10 fr. pièce.

Au temps des Incas, leur chair était fortestimée ; mais aujourd’hui on en mange beaucoup moins, depuisl’introduction des moutons, plus savoureux et d’une viande plusferme.

Quant à leur laine, nous avons vu qu’on entrouve l’emploi, malgré son peu de finesse.

Le guanaco, dont le nom s’écrit quelquefoishuanaco, est plus grand que le lama et a donné lieu desupposer qu’il était ou une espèce sauvage ou un lama revenu àl’état sauvage, ce qui n’est pas du tout la même chose. Aujourd’huiqu’on est mieux fixé, on a acquis la certitude que c’est une espèceparticulière, bien que de la même famille. Pour le domestiquer, ilfaut beaucoup de soins et de peines. Il ressemble au lama pour laforme. Sa couleur est d’un brun rouge sur le corps et d’un blancsale par-dessous. Ses lèvres sont blanches et la face gris sombre.Sa laine est plus courte que celle du lama, mais partout d’unelongueur uniforme.

Ces animaux vivent par troupes de cinq ou septindividus et sont d’une sauvagerie extrême, un rien leseffarouche ; ils ont, comme l’isard ou le bigorne, la facultéde se mouvoir dans les lieux les plus inaccessibles, sur les pentesles plus vertigineuses ; il est presque impossible de lesrejoindre lorsqu’ils ont pris la clef des champs.

L’alpaga est de toute cette famille celui quise rapproche le plus du mouton ordinaire, à cause de son épaissetoison. Sa laine douce et fine, et particulièrement soyeuse,atteint souvent douze centimètres de longueur et a pris dans lecommerce un rôle important.

L’alpaga est généralement blanc ou noir ;il y en a pourtant de tachetés. Il n’est pas employé comme bête desomme, mais élevé pour sa laine, qu’on tond régulièrement. Il a lamême obstination que nos moutons. On en a vu, après avoir étéséparés du troupeau, se laisser battre à en mourir plutôt que desuivre leurs conducteurs dans la voie où ceux-ci voulaient lesentraîner.

La vigogne est sans contredit la plus jolie etla plus gracieuse des bêtes dont nous nous occupons. Elle rappellemieux la forme de l’antilope et du daim que celle du mouton, et sacouleur est assez remarquable pour avoir donné lieu à uneappellation spéciale : tout le monde connaît aujourd’hui lateinte nommée couleur de vigogne. C’est un jaune rougeâtrerappelant les tons de la chatte isabelle. La poitrine et tout ledessous du corps sont blancs. La chair de la vigogne est sanscontredit un fin morceau très apprécié.

Sa laine, bien supérieure à celle de l’alpaga,vaut quatre fois plus et n’a pas démérité. Si les vieux Incass’enorgueillissaient à juste titre d’un riche vêtement tissé aveccette laine, de nos jours, les ricos ne tirent pas moinsde vanité de leurs splendides ponchos aux teintes naturelles.

Dissemblable en cela du guanaco, le sabot dela vigogne n’est destiné à fouler que la plaine.

Elle vit en troupeau d’une vingtained’individus, sous la conduite d’un vieux mâle fort adonné à lapolygamie, mais auquel il faut pardonner cette faiblesse, eu égardà la vigilance qu’il déploie en veillant sur les chers objets deses soins.

Posté à quelque distance pendant que lesfemelles broutent, il surveille les alentours ; et si quelquechose de suspect vient à frapper son regard, un sifflement aigu enavertit ses compagnes. Elles se rassemblent alors, la tête tournéedans la direction du péril, et prennent la fuite, d’abordlentement, puis avec la rapidité du cerf, tandis que le mâle resteà l’arrière-garde et s’arrête de temps à autre comme pour couvrirla retraite de son troupeau.

Ces races, quelquefois croisées entre elles,ont donné naissance à quelques hybrides qui se sont reproduits etont autrefois induit certains naturalistes en erreur, en leurfaisant croire à d’autres races séparées, tandis qu’il n’existe enréalité que quelques espèces intermédiaires.

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