Les Exilés dans la forêt

Chapitre 9CAPTURE D’UN CONDOR

 

Le vaquero, avec l’aide de son cheval,entreprit d’apporter chez lui son gibier. Guapo, avec la mule, luiprêta son concours empressé, et pas aussi désintéressé peut-êtrequ’il en avait l’air.

Il savait que l’air vif de la puna avaitdéveloppé chez ses maîtres un appétit encore aiguisé par une nuitsans sommeil, grâce aux chiens d’une part et de l’autre à un petitbétail que l’on ne mange pas, mais qui vous mange et dont la huttedu vaquero semblait être le rendez-vous général.

Ce transport une fois terminé, une desvigognes fut dépecée, et l’on en fit de plantureuses grillades quicomposèrent un déjeuner exquis.

Mais toutes ces vigognes et la peau fraîche dutaureau étendue sur le sol à quelque distance pour sécher, avaientattiré l’attention des condors ; quatre ou cinq de ces oiseauxde proie planaient déjà au-dessus, n’attendant qu’un instantfavorable pour venir s’en saisir.

Le vaquero, qui ne cherchait qu’à se rendreagréable au fils de Don Pablo, lui demanda s’il aurait du plaisir àvoir capturer un condor. Naturellement Léon sauta de joie à cetteidée, et la chasse fut décidée en principe.

L’enfant se demandait si c’étaient lesfameuses bolas qui serviraient à attraper les farouches créatures,qui ne se laissent jamais approcher même à une portée de fusil. Ilignorait dans quelles conditions on a chance de réussite avecelles. Ce n’est que quand elles se sont gorgées de chair putride aupoint de ne pouvoir plus s’envoler, qu’on peut les frapper avec unbâton, les étourdir et s’en emparer. À jeun, la chose seraitimpossible, le condor étant extrêmement farouche et défiant ;ce qui n’a rien d’étrange, si l’on considère que sa tête est mise àprix et qu’il est sans trêve ni merci en butte aux ruses deschasseurs, à cause des ravages qu’il exerce parmi les portées delamas et autres animaux.

Le vaquero s’empara d’une longue corde, et,plaçant la dépouille du taureau sur ses épaules, il pria Guapo del’accompagner avec les chevaux. Quand il fut à cinq ou six centsmètres de sa demeure, il s’étendit tranquillement à terre, dans untrou qui lui avait déjà servi maintes fois, en ayant soin de secouvrir complètement de la toison dont le côté sanglant étaittourné en dehors comme pour sécher.

Guapo et les deux chevaux n’étaient là quepour donner le change aux condors, qui surveillaient attentivementtout ce qui se passait dans la plaine ; mais le vaquero étaitsi bien caché par sa bizarre couverture, que les yeux les plusperçants n’eussent pu découvrir ce qu’il y avait dessous ; etquand Guapo s’en retourna en emmenant les chevaux, les condorspurent être persuadés qu’il ne laissait rien derrière lui que cettechair rougeâtre si appétissante pour des gloutons de leurnature.

Ils ne tardèrent pas à descendre, le voisinagede la hutte ne les épouvantant plus. Le plus grand, et le plusvorace sans doute, fut bientôt posé à quelque distance de l’objetde sa convoitise. Puis, ne voyant rien de suspect, il se rapprochapeu à peu et finit par sauter sur la peau, qu’il se mit àdéchiqueter à grands coups de bec.

Mais à ce moment un mouvement se produisitsous la dépouille ainsi maltraitée, et l’on put voir le condoragiter ses grandes ailes, comme s’il cherchait à s’envoler et qu’ilfût néanmoins cloué au sol. C’est que l’imprudent était bel et bientenu par la patte, tandis que son camarade s’empressait de regagnerles plaines azurées du ciel, où l’on est autrement en sûreté quedans celles de ce bas monde.

Léon s’attendait à voir le vaquero sedémasquer tout à coup ; mais le rusé chasseur s’en gardabien : c’eût été s’exposer inutilement. Assis par terre, satête et ses épaules nues soigneusement cachées, il achevait sacapture en attachant sa corde à la patte de son captif. Puis ilrejeta brusquement la dépouille protectrice, sauta sur ses pieds ets’enfuit à toutes jambes.

Le condor, apparemment très satisfait deretrouver sa liberté, s’apprêta à en faire bon usage, et d’un bond,tout joyeux, s’éleva dans l’espace, entraînant la peau du taureauaprès lui.

Léon poussa un cri de détresse en le croyantparti. Mais le vaquero ne partageait pas cette inquiétude, car iltenait l’extrémité de la corde enroulée à son poignet. Et l’oiseau,moitié parce qu’il était gêné dans son essor par la peau désormaisimportune, moitié parce que son vainqueur imprima une secousse à lacorde qui le retenait captif, ne tarda pas à redescendre lourdementvers le sol. Guapo accourut prêter main-forte à son ami, et tousdeux, non sans grand-peine, et sans courir quelques risques d’êtreéborgnés, ils lui passèrent la corde à travers les narines. Unefois cette opération délicate terminée, on était assuré del’obéissance du vaincu. On l’amena sans aucune difficulté près dela hutte, où on l’attacha jusqu’à ce que son vainqueur eût décidéle meilleur parti à tirer de sa prise.

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