Les Liaisons dangereuses

Lettre CXX

Le Vicomte de Valmont au Père Anselme (Feuillant du couvent de la rue Saint-Honoré)

Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, monsieur, mais je sais la confiance entière qu’a en vous Mme la Présidente de Tourvel, et sais de plus combien cette confiance est dignement placée. Je crois donc pouvoir sans indiscrétion m’adresser à vous pour en obtenir un service bien essentiel, vraiment digne de votre saint ministère, et où l’intérêt de Mme de Tourvel se trouve joint au mien.

J’ai entre les mains des papiers importants qui la concernent, qui ne peuvent être confiés à personne, et que je ne dois ni ne veux remettre qu’entre ses mains. Je n’ai aucun moyen de l’en instruire, parce que des raisons, que peut-être vous aurez sues d’elle, mais dont je ne crois pas qu’il me soit permis de vous instruire, lui ont fait prendre le parti de refuser toute correspondance avec moi : parti que j’avoue volontiers aujourd’hui, ne pouvoir blâmer, puisqu’elle ne pouvait prévoir des événements auxquels j’étais moi-même bien loin de m’attendre, et qui n’étaient possibles qu’à la force plus qu’humaine qu’on est forcé d’y reconnaître.

Je vous prie donc, monsieur, de vouloir bien l’informer de mes nouvelles résolutions, et de lui demander, pour moi une entrevue particulière où je puisse au moins réparer, en partie, mes torts par mes excuses ; et, pour dernier sacrifice, anéantir à ses yeux les seules traces existantes d’une erreur ou d’une faute qui m’avait rendu coupable envers elle.

Ce ne sera qu’après cette expiation préliminaire que j’oserai déposer à vos pieds l’humiliant aveu de mes longs égarements, et implorer votre médiation pour une réconciliation bien plus importante encore, et malheureusement plus difficile. Puis-je espérer, monsieur, que vous ne me refuserez pas des soins si nécessaires et si précieux ? et que vous daignerez soutenir ma faiblesse et guider mes pas dans un sentier nouveau, que je désire bien ardemment de suivre, mais que j’avoue, en rougissant, ne pas connaître encore.

J’attends votre réponse avec l’impatience du repentir qui désire de réparer, et je vous prie de me croire, avec autant de reconnaissance que de vénération,

Votre très humble, etc.

P.-S. — Je vous autorise, monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, à communiquer cette lettre en entier à Mme de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, et en qui je ne cesserai jamais d’honorer celle dont le Ciel s’est servi pour ramener mon âme à la vertu, par le touchant spectacle de la sienne.

Du château de…, ce 22 octobre 17**.

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