Les Liaisons dangereuses

Lettre CLVI

Cécile Volanges au Chevalier Danceny (Jointe à la précédente)

Comment se fait-il, mon cher ami, que je cesse de vous voir quand je ne cesse pas de le désirer ? n’en avez-vous plus autant d’envie que moi ? Ah ! c’est bien à présent que je suis triste ! plus triste que quand nous étions séparés tout à fait. Le chagrin que j’éprouvais par les autres, c’est à présent de vous qu’il me vient, et cela fait bien plus de mal.

Depuis quelques jours, maman n’est jamais chez elle, vous le savez bien, et j’espérais que vous essayeriez de profiter de ce temps de liberté ; mais vous ne songez seulement pas à moi ; je suis bien malheureuse ! Vous me disiez tant que c’était moi qui aimais le moins ! je savais bien le contraire, et en voilà bien la preuve. Si vous étiez venu pour me voir, vous m’auriez vue en effet, car moi, je ne suis pas comme vous, je ne songe qu’à tout ce qui peut nous réunir. Vous mériteriez bien que je ne vous dise rien du tout ce que j’ai fait pour ça et qui m’a donné tant de peine ; mais je vous aime trop et j’ai tant d’envie de vous voir que je ne peux m’empêcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien après si vous m’aimez réellement.

J’ai si bien fait que le portier est dans nos intérêts et qu’il m’a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s’il ne vous voyait pas, et nous pouvons bien nous fier à lui, car c’est un bien honnête homme. Il ne s’agit donc plus que d’empêcher qu’on ne vous voie dans la maison, et ça, c’est bien aisé, en n’y venant que le soir et quand il n’y aura plus rien à craindre du tout. Par exemple, depuis que maman sort tous les jours, elle se couche tous les jours à onze heures, ainsi nous aurions bien du temps.

Le portier m’a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper à sa porte, vous n’auriez qu’à frapper à la fenêtre et qu’il vous répondrait tout de suite, et puis, vous trouverez bien le petit escalier, et comme vous ne pourrez pas avoir de la lumière, je laisserai la porte de ma chambre entrouverte, ce qui vous éclairera toujours un peu. Vous prendrez bien garde de ne pas faire de bruit, surtout en passant auprès de la petite porte de maman. Pour celle de ma femme de chambre, c’est égal, parce qu’elle m’a promis qu’elle ne se réveillerait pas ; c’est aussi une bien bonne fille ! Et pour vous en aller, ça sera tout de même. A présent nous verrons si vous viendrez.

Mon Dieu, pourquoi donc le cœur me bat-il si fort en vous écrivant ! Est-ce qu’il doit m’arriver quelque malheur, ou si c’est l’espérance de vous voir qui me trouble comme ça ! Ce que je sens bien, c’est que je ne vous ai jamais tant aimé et que jamais je n’ai tant désiré de vous le dire. Venez donc, mon ami, mon cher ami, que je puisse vous répéter cent fois que je vous aime, que je vous adore, que je n’aimerai jamais que vous.

J’ai trouvé moyen de faire dire à M. de Valmont que j’avais quelque chose à lui dire, et lui, comme il est bien bon ami, il viendra sûrement demain, et je le prierai de vous remettre ma lettre tout de suite. Ainsi je vous attendrai demain au soir, et vous viendrez, sans faute, si vous ne voulez pas que votre Cécile soit bien malheureuse.

Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur.

Paris, ce 4 décembre 17**, au soir.

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