Les Liaisons dangereuses

Lettre LXXXV

La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Enfin, vous serez tranquille et surtout vous me rendrez justice. Écoutez et ne me confondez plus avec les autres femmes. J’ai mis à la fin mon aventure avec Prévan ; à fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire ? A présent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le récit ne sera pas si plaisant que l’action ; aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n’avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revînt autant de plaisir qu’à moi, qui y donnait mon temps et ma peine.

Cependant, si vous avez quelque grand coup à faire, si vous devez entreprendre quelque entreprise ou ce rival dangereux vous paraisse à craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps ; peut-être même ne se relèvera-t-il jamais du coup que je lui ai porté.

Que vous êtes heureux de m’avoir pour amie ! Je suis pour vous une fée bienfaisante. Vous languissez loin de la beauté qui vous engage : je dis un mot et vous vous retrouvez auprès d’elle. Vous voulez vous venger d’une femme qui vous nuit : je vous marque l’endroit où vous devez frapper et la livre à votre discrétion. Enfin, pour écarter de la lice un concurrent redoutable, c’est encore moi que vous invoquez et je vous exauce. En vérité, si vous ne passez pas votre vie à me remercier c’est que vous êtes un ingrat. Je reviens à mon aventure et la reprends d’origine.

Le rendez-vous, donné si haut, à la sortie de l’Opéra27, fut entendu comme je l’avais espéré. Prévan s’y rendit et quand la maréchale lui dit obligeamment qu’elle se félicitait de le voir deux fois de suite à ses jours, il eut soin de répondre que depuis mardi soir il avait défait mille arrangements pour pouvoir ainsi disposer de cette soirée. A bon entendeur, salut ! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j’étais ou non le véritable objet de cet empressement flatteur, je voulus forcer le soupirant nouveau de choisir entre moi et son goût dominant. Je déclarai que je ne jouerais point ; en effet, il trouva, de son côté, mille prétextes pour ne pas jouer, et mon premier triomphe fut sur le lansquenet.

Je m’emparai de l’évêque de… pour ma conversation ; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m’aborder. J’étais bien aise aussi d’avoir un témoin respectable qui pût au besoin déposer de ma conduite et de mes discours. Cet arrangement réussit.

Après les propos vagues et d’usage, Prévan s’étant bientôt rendu maître de la conversation prit tour à tour différents tons pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n’y croyant pas ; j’arrêtai par mon sérieux sa gaieté, qui me parut trop légère pour un début ; il se rabattit sur la délicate amitié, et ce fut sous ce drapeau banal que nous commençâmes notre attaque réciproque.

Au moment du souper, l’évêque ne descendait pas ; Prévan me donna donc la main et se trouva naturellement placé à table à côté de moi. Il faut être juste ; il soutint avec beaucoup d’adresse notre conversation particulière en ne paraissant s’occuper que de la conversation générale, dont il eut l’air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d’une pièce nouvelle qu’on devait donner le lundi suivant au Français. Je témoignai quelques regrets de n’avoir pas ma loge ; il m’offrit la sienne, que je refusai d’abord, comme cela se pratique ; à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l’entendais pas ; qu’à coup sûr il ne ferait pas le sacrifice de sa loge à quelqu’un qu’il ne connaissait pas, mais qu’il m’avertissait seulement que la maréchale en disposerait. Elle se prêta à cette plaisanterie et j’acceptai.

Remonté au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge ; et comme la maréchale, qui le traite avec beaucoup de bonté, la lui promit s’il était sage, il en prit l’occasion d’une de ces conversations à double entente, pour lesquelles vous m’avez vanté son talent. En effet, s’étant mis à ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prétexte de lui demander ses avis et d’implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses et assez tendres, dont il m’était facile de me faire l’application. Plusieurs personnes ne s’étant pas remises au jeu l’après-souper, la conversation fut plus générale et moins intéressante ; mais nos yeux parlèrent beaucoup. Je dis nos yeux : je devrais dire les siens, car les miens n’eurent qu’un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m’étonnais et m’occupais excessivement de l’effet prodigieux qu’il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait ; je n’étais pas moins contente.

Le lundi suivant, je fus au Français, comme nous en étions convenus. Malgré votre curiosité littéraire, je ne puis vous rien dire du spectacle, sinon que Prévan a un talent merveilleux pour la cajolerie et que la pièce est tombée ; voilà tout ce que j’y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirée qui réellement me plaisait beaucoup, et, pour la prolonger, j’offris à la maréchale de venir souper chez moi ; ce qui me fournit le prétexte de le proposer à l’aimable cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dégager, jusque chez les comtesses de P*** 28. Ce nom me rendit toute ma colère ; je vis clairement qu’il allait commencer les confidences ; je me rappelai vos sages conseils et me promis bien… de poursuivre l’aventure ; sûre que je le guérirais de cette dangereuse indiscrétion.

Etranger dans ma société, qui ce soir-là était peu nombreuse, il me devait les soins d’usage, aussi, quand on alla souper, m’offrit-il la main. J’eus la malice, en l’acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement et d’avoir, pendant la marche, les yeux baissés et la respiration haute. J’avais l’air de pressentir ma défaite et de redouter mon vainqueur. Il le remarqua à merveille, aussi le traître changea-t-il sur-le-champ de ton et de maintien. Il était galant, il devint tendre. Ce n’est pas que les propos ne fussent à peu près les mêmes, la circonstance y forçait, mais son regard, devenu moins vif, était plus caressant, l’inflexion de sa voix plus douce, son sourire n’était plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin, dans ses discours, éteignant peu à peu le feu de la saillie, l’esprit fit place à la délicatesse. Je vous le demande, qu’eussiez-vous fait de mieux ?

De mon côté, je devins rêveuse, à tel point qu’on fut forcé de s’en apercevoir, et quand on m’en fit le reproche, j’eus l’adresse de m’en défendre maladroitement et de jeter sur Prévan un coup d’œil prompt, mais timide et déconcerté et propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu’il ne devinât la cause de mon trouble.

Après souper, je profitai du temps où la bonne maréchale contait une de ces histoires qu’elle conte toujours pour me placer sur mon ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rêverie. Je n’étais pas fâchée que Prévan me vît ainsi ; il m’honora, en effet, d’une attention toute particulière. Vous jugez bien que mes timides regards n’osaient chercher les yeux de mon vainqueur ; mais dirigés vers lui d’une manière plus humble, ils m’apprirent bientôt que j’obtenais l’effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais ; aussi quand la maréchale annonça qu’elle allait se retirer, je m’écriai d’une voix molle et tendre : « Ah Dieu ! j’étais si bien là ! » Je me levai pourtant ; mais avant de me séparer d’elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens et de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là-dessus, tout le monde se sépara.

Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitât de l’espèce de rendez-vous que je venais de lui donner ; qu’il n’y vînt d’assez bonne heure pour me trouver seule et que l’attaque ne fût vive ; mais j’étais bien sûre aussi, d’après ma réputation, qu’il ne me traiterait pas avec cette légèreté que, pour peu qu’on ait d’usage, on n’emploie qu’avec les femmes à aventures ou celles qui n’ont aucune expérience, et je voyais mon succès certain s’il prononçait le mot d’amour, s’il avait la prétention, surtout, de l’obtenir de moi.

Qu’il est commode d’avoir affaire à vous autres, gens à principes ! quelquefois un brouillon d’amoureux vous déconcerte par sa timidité, ou vous embarrasse par ses fougueux transports, c’est une fièvre qui, comme l’autre, a ses frissons et son ardeur et quelquefois varie dans ses symptômes. Mais votre marche réglée se devine si facilement ! L’arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dès la veille. Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous suppléerez aisément. Observez seulement que, dans ma feinte défense, je l’aidais de tout mon pouvoir : embarras pour lui donner le temps de parler, mauvaises raisons pour être combattue, crainte et méfiance pour ramener les protestations, et ce refrain perpétuel de sa part, je ne vous demande qu’un mot, et ce silence de la mienne qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage ; au travers de tout cela, une main cent fois prise qui se retire toujours et ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour, nous y passâme une mortelle heure ; nous y serions peut-être encore si nous n’avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contretemps rendit, comme de raison, ses instances plus vives, et moi, voyant le moment arrivé où j’étais à l’abri de toute surprise, après m’être préparée par un long soupir, j’accordai le mot précieux. On annonça, et peu de temps après j’eus un cercle assez nombreux.

Prévan me demanda de venir le lendemain matin, et j’y consentis ; mais, soigneuse de me défendre, j’ordonnai à ma femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d’où vous savez qu’on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, et ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation et ayant tous deux le même désir, nous fûmes bientôt d’accord, mais il fallait se défaire de ce spectateur importun ; c’était où je l’attendais.

Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté et qu’il fallait regarder comme une espèce de miracle celle dont nous avions joui hier, qui même laisserait encore des dangers trop grands pour m’y exposer, puisqu’à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d’ajouter que tous ces usages s’étaient établis parce que, jusqu’à ce jour, ils ne m’avaient jamais contrariée, et j’insistai en même temps sur l’impossibilité de les changer sans me compromettre aux yeux de mes gens. Il essaya de s’attrister, de prendre de l’humeur, de me dire que j’avais peu d’amour, et vous devinez combien tout cela me touchait. Mais voulant frapper le coup décisif, j’appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez. Cet empire qu’il se crut sur moi et l’espoir qu’il en conçut de me perdre à son gré lui tinrent lieu de tout l’amour d’Orosmane.

Ce coup de théâtre passé, nous revînmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupâmes de la nuit ; mais mon suisse devenait un obstacle insurmontable et je ne permettais pas qu’on essayât de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin ; mais je l’avais prévu, et j’y créai un chien qui, tranquille et silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j’entrai dans tous ces détails était bien propre à l’enhardir, aussi vint-il à me proposer l’expédient le plus ridicule, et ce fut celui que j’acceptai.

D’abord son domestique était sûr comme lui-même ; en cela, il ne trompait guère, l’un l’était bien autant que l’autre. J’aurais un grand souper chez moi, il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L’adroit confiant appellerait la voiture, ouvrirait la portière et lui, Prévan, au lieu de monter, s’esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s’en apercevoir en aucune façon ; ainsi sorti pour tout le monde et cependant resté chez moi, il s’agissait de savoir s’il pourrait parvenir à mon appartement. J’avoue que d’abord mon embarras fut de trouver contre ce projet d’assez mauvaises raisons pour qu’il pût avoir l’air de les détruire ; il y répondit par des exemples. A l’entendre, rien n’était plus ordinaire que ce moyen ; lui-même s’en était beaucoup servi ; c’était même celui dont il faisait le plus d’usage, comme le moins dangereux.

Subjuguée par ces autorités irrécusables, je convins, avec candeur, que j’avais bien un escalier dérobé qui conduisait très près de mon boudoir, que je pouvais y laisser la clé et qu’il lui serait facile de s’y enfermer et d’attendre, sans beaucoup de risques, que mes femmes fussent retirées, et puis, pour donner plus de vraisemblance à mon consentement, le moment d’après je ne voulais plus, je ne revenais à consentir qu’à condition d’une soumission parfaite, d’une sagesse… Ah ! quelle sagesse ! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien.

La sortie, dont j’oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin ; il ne s’agissait que d’attendre le point du jour, le cerbère ne dirait plus mot. Pas une âme ne passe à cette heure-là et les gens sont dans le plus fort du sommeil. Si vous vous étonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c’est que vous oubliez notre situation réciproque. Qu’avions-nous besoin d’en faire de meilleurs ? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sût, et moi, j’étais bien sûre qu’on ne le saurait pas. Le jour fut fixé au surlendemain.

Remarquez que voila une affaire arrangée et que personne n’a encore vu Prévan dans ma société. Je le rencontre à souper chez une de mes amies ; il lui offre sa loge pour une pièce nouvelle et j’y accepte une place. J’invite cette femme à souper pendant le spectacle et devant Prévan, je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d’en être. Il accepte et me fait, deux jours après, une visite que l’usage exige. Il vient, à la vérité, me voir le lendemain matin ; mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu’à moi de trouver celle-ci trop leste, et je le remets en effet dans la classe des gens moins liés avec moi, par une invitation écrite pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Annette : Mais voilà tout, pourtant !

Le jour fatal arrivé, ce jour où je devais perdre ma vertu et ma réputation, je donnai mes instructions à ma fidèle Victoire et elle les exécuta comme vous le verrez bientôt.

Cependant le soir vint. J’avais déjà beaucoup de monde chez moi quand on y annonça Prévan. Je le reçus avec une politesse marquée qui constatait mon peu de liaison avec lui, et je le mis à la partie de la maréchale, comme étant celle par qui j’avais fait cette connaissance. La soirée ne produisit rien qu’un très petit billet que le discret amoureux trouva moyen de me remettre et que j’ai brûlé suivant ma coutume. Il m’y annonçait que je pouvais compter sur lui, et ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites d’amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fête.

A minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine29. J’avais le double projet de favoriser l’évasion de Prévan et en même temps de la faire remarquer, ce qui ne pouvait manquer d’arriver, vu sa réputation de joueur. J’étais bien aise aussi qu’on pût se rappeler au besoin que je n’avais pas été pressée de rester seule.

Le jeu dura plus que je n’avais pensé. Le diable me tentait et je succombai au désir d’aller consoler l’impatient prisonnier. Je m’acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu’une fois rendue tout à fait je n’aurais plus sur lui l’empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J’eus la force de résister. Je rebroussai chemin et revins, non sans humeur, reprendre ma place à ce jeu éternel. Il finit pourtant et chacun s’en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite et les renvoyai de même.

Me voyez-vous, vicomte, dans ma toilette légère, marchant d’un pas timide et circonspect, et d’une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur ? Il m’aperçut : l’éclair n’est pas plus prompt. Que vous dirai-je ? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d’avoir pu dire un mot pour l’arrêter ou pour me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode et plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure qui, disait-il, l’éloignait de moi ; il voulait me combattre à armes égales, mais mon extrême timidité s’opposa à ce projet et mes tendres caresses ne lui en laissèrent pas le temps. Il s’occupa d’autre chose.

Ses droits étaient doublés et ses prétentions revinrent ; mais alors : « Écoutez-moi, lui dis-je, vous aurez jusqu’ici un assez agréable récit à faire aux deux comtesses de P*** et à mille autres ; mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l’aventure. » En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup, j’eus mon tour et mon action fut plus vive que sa parole. Il n’avait encore que balbutié quand j’entendis Victoire accourir et appeler les gens qu’elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là, prenant mon ton de reine et élevant la voix : « Sortez, monsieur, continuai-je, et ne reparaissez jamais devant moi. » Là-dessus, la foule de mes gens entra.

Le pauvre Prévan perdit la tête, et croyant voir un guet-apens dans ce qui n’était au fond qu’une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit, car mon valet de chambre, brave et vigoureux, le saisit au corps et le terrassa. J’eus, je l’avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu’on arrêtât et ordonnai qu’on laissât sa retraite libre, en s’assurant seulement qu’il sortît de chez moi. Mes gens m’obéirent, mais la rumeur était grande parmi eux ; ils s’indignaient qu’on eût osé manquer à leur vertueuse maîtresse. Tous accompagnèrent le malheureux chevalier, avec bruit et scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta et nous nous occupâmes pendant ce temps à réparer le désordre de mon lit.

Mes gens remontèrent toujours en tumulte, et moi, encore toute émue, je leur demandai par quel bonheur ils s’étaient encore trouvés levés, et Victoire me raconta qu’elle avait donné à souper à deux de ses amies, qu’on avait veillé chez elle et enfin tout ce dont nous étions convenues ensemble. Je les remerciai tous et les fis retirer en ordonnant pourtant à l’un d’eux d’aller sur-le-champ chercher un médecin. Il me parut que j’étais autorisée à craindre l’effet de mon saisissement mortel, et c’était un moyen sûr de donner du cours et de la célébrité à cette nouvelle.

Il vint en effet, me plaignit beaucoup et ne m’ordonna que du repos. Moi, j’ordonnai de plus à Victoire d’aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage.

Tout a si bien réussi qu’avant midi, et aussitôt qu’il a été jour chez moi, ma dévote voisine était déjà au chevet de mon lit pour savoir la vérité et les détails de cette horrible aventure. J’ai été obligée de me désoler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siècle. Un moment après, j’ai reçu de la maréchale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j’ai vu arriver, à mon grand étonnement, M… 30. Il venait, m’a-t-il dit, me faire ses excuses de ce qu’un officier de son corps avait pu me manquer à ce point. Il ne l’avait appris qu’à dîner chez la maréchale et avait sur-le-champ envoyé ordre à Prévan de se rendre en prison. J’ai demandé grâce et il me l’a refusée. Alors j’ai pensé que, comme complice, il fallait m’exécuter de mon côté et garder au moins de rigides arrêts. J’ai fait fermer ma porte et dire que j’étais incommodée.

C’est à ma solitude que vous devez cette longue lettre. J’en écrirai une à Mme de Volanges dont sûrement elle fera lecture publique et où vous verrez cette histoire telle qu’il faut la raconter.

J’oubliais de vous dire que Belleroche est outré et veut absolument se battre avec Prévan. Le pauvre garçon ! Heureusement, j’aurai le temps de calmer sa tête. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguée d’écrire. Adieu, vicomte.

Du château de.., ce 25 septembre 17**, au soir.

27Voyez la lettre LXXIV.
28Voyez la lettre LXX.
29Quelques personnes ignorent peut-être qu’une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque coupeur a droit de choisir lorsque c’est à lui de tenir la main. C’est une des inventions du siècle.
30Le commandant du corps dans lequel M. de Prévan servait.

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