Les Liaisons dangereuses

Lettre XCIV

Cécile Volanges au Chevalier Danceny

Je ne conçois rien à votre lettre, sinon la peine qu’elle me cause. Qu’est-ce que M. de Valmont vous a donc mandé et qu’est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus ? Cela serait peut-être bien heureux pour moi, car sûrement j’en serais moins tourmentée, et il est bien dur quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j’ai tort, et qu’au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe et que je vous dis ce qui n’est pas ! vous avez là une jolie idée de moi ! Quand je serais menteuse comme vous me le reprochez, quel intérêt y aurais-je ? Assurément, si je ne vous aimais plus je n’aurais qu’à le dire et tout le monde m’en louerait ; mais par malheur c’est plus fort que moi, et il faut que ce soit pour quelqu’un qui ne m’en a pas d’obligation du tout !

Qu’est-ce que j’ai donc fait pour vous tant fâcher ? Je n’ai pas osé prendre une clef, parce que je craignais que maman ne s’en aperçût, et que cela ne me causât encore du chagrin et à vous aussi à cause de moi, et puis encore, parce qu’il me semble que c’est mal fait. Mais ce n’était que M. de Valmont qui m’en avait parlé ; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n’en saviez rien. A présent que je sais que vous le désirez, est-ce que je refuse de la prendre cette clef ? Je la prendrai dès demain, et puis nous verrons ce que vous aurez encore à dire,

M. de Valmont a beau être votre ami, je crois que je vous aime bien autant qu’il peut vous aimer, pour le moins, et cependant c’est toujours lui qui a raison et moi j’ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fâchée. Ça vous est bien égal parce que vous savez que je m’apaise tout de suite ; mais à présent que j’aurai la clef je pourrai vous voir quand je voudrai, et je vous assure que je ne voudrai pas quand vous agirez comme ça. J’aime mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi que s’il me venait de vous : voyez ce que vous voulez faire.

Si vous vouliez, nous nous aimerions tant ! et au moins n’aurions-nous de peines que celles qu’on nous fait ! Je vous assure bien que si j’étais maîtresse, vous n’auriez jamais à vous plaindre de moi ; mais si vous ne me croyez pas nous serons toujours bien malheureux, et ce ne sera pas ma faute. J’espère que bientôt nous pourrons nous voir et qu’alors nous n’aurons plus d’occasions de nous chagriner comme à présent.

Si j’avais pu prévoir ça, j’aurais pris cette clef tout de suite ; mais en vérité je croyais bien faire. Ne m’en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste et aimez-moi toujours autant que je vous aime ; alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami.

Du château de…, ce 28 septembre 17**.

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