Les Linottes

Les Linottes

de Georges Courteline

 

À ANDRÉ CORNEAU

Humble hommage d’un vieil ami

G.C.

 

AVANT-PROPOS

 

De tous les livres que j’ai écrits, il n’en est pas qui m’ait donné plus de joie et de douceur à l’écrire que celui dont les pages suivent et dont chaque phrase, chaque ligne, chaque syllabe est un rappel des heures lointaines qui furent les débuts de ma vie. C’est à Montmartre que je les vécus,ces heures, tant il semble que, Montmartre et moi, ayons été faits l’un pour l’autre, de 1865 qui me vit, le derrière montré aux passants, occupé à tapoter des pâtés de sable du plat de ma pelle de bois blanc, à 1871, époque où la vie de famille fit place pour moi à la vie de collège et la vagabonderie turbulente de la rue aux tristesses provinciales qui devaient pleuvoir sur moi de 1871 à1878, du haut de la Cathédrale de Meaux, avec les heures, leurs demies et leurs quarts.

La maison où je grandis aux côtés de mes parents et que j’ai tenté, dans les Linottes, d’évoquer sous le nom de la Villa Bon-Abri, occupait le N° 40 de la rue de la Fontenelle, devenue plus tard rue de la Barre. Entre deux séries de jardins qu’isolaient les uns des autres des haies de sureaux nains et de volubilis, elle dégringolait en pente raide jusqu’à la rue Saint-Vincent où elle prenait fin dans les chaumes d’une habitation de paysan jadis donnée à la belle Gabrielle d’Estrées, en remerciement de son baiser, par le roi galant Henri IV. À deux pas de là, le jardinet paternel que nous étions venus occuper en remplacement de Charles Monselet, longeait l’envers des murs oùquelque temps après les généraux Clément Thomas et Lecomtedevaient, adossés côte à côte, venir présenter leurs poitrines auxchassepots insurrectionnels.

Montmartre se présentait alors, et,pendant de longues années encore, devait se présenter sous l’aspectd’un village – qu’il était en réalité – avec ses pensionnats devolailles dans l’effarement desquelles le passant perdait pied, etses ménages de canards barbotant à la queue leu leu par lesruisseaux de la place du Tertre. Des fermes y voisinaient le longde la rue Norvins, entrebâillant leurs lourdes portes, d’oùpartaient des tiédeurs odorantes de crèches, sur des croupesd’acajou encroûtées de bouses séchées. À travers l’accumulation desannées laissées derrière moi, tout à la fois si lointaines et siproches, je revois la magnificence du jardin de la rue de laFontenelle, les nuits bleues et les aubes dorées qui en baignaientles ormeaux et les hêtres et aux douceurs desquelles le paysagisteLépine retrempait chaque matin son inspiration ; je revois lesdimanches de beau temps, les invasions de Parisiens grimpés ausommet de la Butte chargés de boustifailles diverses, de paniersdont se soulevaient les couvercles sur des pâtés aux allures deforteresses, des quartiers de veau en gelée, des goulots deChampagne et des litres de café froid. C’était alors les agapes bonenfant dans les herbes des pelouses parsemées de pâquerettes, lesfusées de rire, les chansons à la mode, lancée naguère parThérésa : la Gardeuse d’ours, le Chemin du moulin, le Sapeur.Et la journée passait vite, s’achevait enfin dans le crépusculevenu des lointains horizons, tandis que des lampions bleus etrouges s’allumaient, tout seuls semblait-il, dans les feuillagesdes platanes.

 

La nuit venue et la lune levée, la villareprenait son calme et les Montmartrois d’occasion, leurs batteriesde cuisine et leurs paniers d’osier, lâchés maintenant par la rueRavignan ou par les pentes de la rue Lepic qu’emplissait d’unegaieté bruyante l’orchestre du Moulin de la Galette, à la recherchedu seul omnibus qui desservît vraiment la Butte, la reliât au cœurde Paris : celui de la Halle-aux-Vins à la place Pigalle,vieux serviteur, resté fidèle au poste, d’ailleurs, et toujoursvert, ainsi que chacun a le droit de s’en assurer. Et, tandis quemaman me fourrait dans le dodo où venait aussitôt me rejoindre leminet, compagnon chéri de mon enfance, dont le ronron berçait monsommeil toutes les nuits, mon père se remettait au travail,achevait la tirade, commencée le matin, du capitaine Van Ostebal,héros du Canard à 3 becs que les Folies-Dramatiques allaient mettreen répétitions. Heures vécues ! Souvenirs exhumés ! Jeles donne pour ce qu’ils valent, et, comme dit Choppart dans leCourrier de Lyon : « Ce n’est pas un bien beau cadeau queje vous fais là ! »

N’importe ! C’est à eux et à ellesque je dois d’avoir crayonné les coins les plus sincères de cesLinottes dont les pages suivent. Commencées dans l’Écho de Paris,elles furent continuées au Journal, puis aboutirent chez Flammarionqui les publia dans le courant de 1912 en un volume illustré de laplus heureuse façon par un jeune débutant du nom de CharlesRoussel. Enfin, habilement adaptées à la scène par Robert Dieudonnéet C.-A. Carpentier, sous la forme d’une opérette dont ÉdouardMathé écrivit la musique, – musique parfaitement délicieuse,d’ailleurs, et dont le succès personnel fut très grand – ellesvirent le jour sur la petite scène du Perchoir que dirigeait RenéBussy, le 1er avril 1923, passèrent de là aux Nouveautésde Léon Deutsch, lequel les recueillit le 16 mai et les mena à la100e qui fut amicalement fêtée le verre en main, aucabaret de la Savoyarde à Montmartre, le 23 juin suivant, pour êtreprécis.

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