Les Louves de Machecoul – Tome II

Les Louves de Machecoul – Tome II

d’ Alexandre Dumas
XLVI – Où maître Jacques tient le serment qu’il a fait à Aubin Courte-Joie

Effectivement, le bruit que le baron Michel et Petit-Pierre avaient entendu, du côté par où Courtin venait de disparaître, se changeait en un fracas tumultueux qui allait toujours se rapprochant ; et, deux minutes après, une douzaine de chasseurs, lancés au galop sur les traces ou plutôt sur le bruit que faisait en fuyant le cheval du marquis de Souday, – lequel accompagnait sa fuite de hennissements furieux, – passèrent comme une tempête à dix pas de Petit-Pierre et de son compagnon, qui se redressant au fur et à mesure que les cavaliers s’éloignaient, les suivirent de l’œil dans leur course enragée.

– Ils vont bien, dit Petit-Pierre ; mais,c’est égal, je doute qu’ils le rattrapent.

– D’autant plus, répondit le baron, qu’ils vont justement passer à l’endroit où nos amis nous attendent, et que le marquis me paraît tout à fait d’humeur à ralentir leur poursuite.

– Bataille, alors ! fit Petit-Pierre.Hier dans l’eau, aujourd’hui dans le feu ; j’aime mieux cela !

Et il essaya d’entraîner le baron Michel du côté où il comptait que la bataille allait avoir lieu.

– Oh ! non, non, dit Michel résistant ; non, je vous en prie, n’y allez pas !

– N’êtes-vous pas curieux de combattre sous les yeux de votre belle, baron ? Elle est là,cependant !

– Je le crois, dit tristement le jeune homme ; mais, vous le voyez, les soldats sillonnent la campagne dans toutes les directions ; si l’on tire quelques coups de fusil, ils accourront au feu ; nous pouvons tomber dans un de leurs partis, et, si j’accomplissais si malheureusementla mission dont je me suis chargé, je n’oserais plus jamais meprésenter devant le marquis…

– Voyons, dites devant sa fille.

– Eh bien, oui.

– Alors, pour ne pas vous brouiller avec votrebelle amie, je vous promets de vous obéir.

– Merci, merci, dit Michel saisissant vivementles mains de Petit-Pierre.

Puis, s’apercevant de l’inconvenance qu’ilcommettait :

– Oh ! pardon, pardon, dit-il en faisantvivement un pas en arrière.

– Bon ! dit Petit-Pierre, ne faites pasattention. Où le marquis de Souday m’avait-il ménagé unasile ?

– Chez moi, dans une métairie à moi.

– Pas dans celle de Courtin,j’espère ?

– Non, dans une autre, parfaitement isolée,perdue dans les bois, de l’autre côté de Légé… Vous savez levillage où était la maison de Tinguy ?

– Oui ; mais connaissez-vous les cheminsqui y conduisent ?

– Parfaitement.

– Je me défie un peu de cet adverbe-là enFrance ; mon pauvre Bonneville, lui aussi, connaissaitparfaitement les chemins, et cependant il s’est égaré.

Petit-Pierre poussa un soupir etmurmura :

– Pauvre Bonneville !… Hélas ! C’estpeut-être cette erreur qui est la cause de sa mort.

Ce retour que faisait Petit-Pierre en arrièrele ramenait naturellement aux pensées mélancoliques qui avaientdéjà occupé son esprit lorsqu’il avait quitté la maison où s’étaitaccomplie la catastrophe qui avait coûté la vie à son premiercompagnon ; il redevint silencieux, et, après un signe deconsentement, il se mit à suivre son nouveau guide, ne répondantque par des monosyllabes aux rares questions que lui adressaitMichel.

Quant à celui-ci, il se tira de ses nouvellesfonctions avec infiniment plus d’adresse et de bonheur que l’onn’aurait pu s’y attendre. Il se jeta sur la gauche, et, traversantla plaine, il gagna un ruisseau qu’il connaissait pour y avoirmaintes fois pêché des écrevisses dans son enfance ; ceruisseau traverse d’un bout à l’autre le vallon de la Benaste,remonte vers le sud pour redescendre au nord et rejoindre laBoulogne auprès de Saint-Colombin.

Les deux rives, bordées de prairies, offraientun chemin à la fois sûr et commode. Michel le suivit quelque tempsen portant Petit-Pierre sur ses épaules comme avait fait le pauvreBonneville.

Puis, sortant du ruisseau après y avoir faitun kilomètre environ, il appuya de nouveau à gauche, gravit unecolline et montra à Petit-Pierre les masses sombres de la forêt deTouvois, que, dans l’obscurité, on entrevoyait au pied de lacolline sur laquelle ils étaient parvenus.

– Est-ce donc déjà votre métairie ?demanda Petit-Pierre.

– Non ; nous avons encore à traverser laforêt de Touvois ; mais, dans trois quarts d’heure, nous yserons arrivés.

– Et la forêt de Touvois est-ellesûre ?

– C’est probable : les soldats saventbien qu’il n’y a rien de bon, pour eux, à traverser nos forêts lanuit.

– Et vous ne craignez pas de vous yperdre ?

– Non ; car nous n’irons point à traversle fourré ; nous n’y entrerons même que quand nous auronstrouvé le chemin de Machecoul à Légé ; en suivant la lisièrede l’est, nous devons nécessairement le rencontrer.

– Et alors ?

– Alors, nous n’aurons plus qu’à le suivre enremontant.

– Allons, allons, dit Petit-Pierre, je rendraibon compte de vous, mon jeune guide, et, ma foi, il ne tiendra pasà Petit-Pierre que votre courageux dévouement n’obtienne larécompense qu’il ambitionne. Mais voici un chemin à peu prèspraticable ; ne serait-ce pas celui que nouscherchons ?

– C’est bien facile à reconnaître : ildoit y avoir un poteau à droite… Et ! tenez, le voici !C’est cela même. Et, maintenant, Petit-Pierre, j’ose vous promettreune bonne nuit.

– Tant mieux ! dit Petit-Pierre ensoupirant ; car je ne puis pas vous cacher que les terriblesémotions de la journée ont mal réparé les fatigues de l’autrenuit.

Petit-Pierre n’avait pas achevé ces mots,qu’une silhouette noire se dressa sur le revers du fossé, bonditsur la route, et qu’un homme le saisissant violemment au collet,lui cria d’une voix de tonnerre :

– Arrêtez, ou vous êtes mort !

Michel s’élança au secours de son jeunecompagnon en assenant sur la tête de l’agresseur un vigoureux coupde la pomme de plomb de sa cravache.

Mais il faillit payer cher sa généreuseintervention.

L’homme, sans lâcher Petit-Pierre, qu’ilcontenait de la main gauche, tira un pistolet de dessous sa vesteet fit feu sur le baron Michel.

Heureusement pour le pauvre jeune homme que,quelle que fût la faiblesse de Petit-Pierre, ce n’était point ungaillard à se tenir aussi parfaitement tranquille que l’eûtsouhaité l’homme au pistolet : il vit le geste, et, d’un gesteplus rapide encore, il releva si à propos le bras qui ajustaitl’arme meurtrière, que la balle, qui, sans ce mouvement, traversaitinfailliblement la poitrine du baron Michel, ne fit que luilabourer le haut de l’épaule.

Il revenait à la charge et l’assaillantsortait un second pistolet de sa ceinture, lorsque deux autresindividus s’élancèrent hors des buissons et le saisirentpar-derrière.

Alors, l’homme, le voyant hors d’état denuire, se contenta de dire à ses deux coopérateurs :

– Fusillez-moi ce gaillard-là ! et, quandvous en aurez fini avec lui, vous me débarrasserez de celui-ci.

– Mais, se hasarda de dire Petit-Pierre, dequel droit nous arrêtez-vous de la sorte ?

– Du droit de ceci, répondit l’homme enmontrant la carabine qu’il portait en sautoir sur son épaule.Pourquoi ? Vous le saurez tout à l’heure. Attachez solidementl’homme à la cravache ; quant à celui-ci, ajouta-t-il avecmépris en désignant Petit-Pierre, ce n’est pas la peine : jecrois que nous n’aurons pas grande difficulté à nous en fairesuivre.

– Mais, enfin, où nous conduisez-vous ?demanda Petit-Pierre.

– Oh ! vous êtes bien curieux, mon jeuneami, répondit l’homme.

– Mais encore ?…

– Eh ! pardieu ! marchez, si voustenez tant à le savoir. Vous le verrez tout à l’heure par vospropres yeux.

Et l’homme, prenant le bras de Petit-Pierresous le sien, l’entraîna dans le fourré, tandis que Michel, quiregimbait encore vigoureusement, poussé par les deux acolytes, ypénétrait à son tour.

Ils marchèrent ainsi pendant dix minutes,après lesquelles ils arrivèrent à la clairière que nous connaissonspour la demeure de Jacques, le maître des lapins ; car c’étaitlui qui, pour tenir saintement la promesse qu’il avait faite àCourte-Joie, avait arrêté les deux premiers voyageurs que le hasardavait envoyés sur la route et c’était son coup de pistolet quiavait mis en rumeur tout le camp des réfractaires, ainsi que nousl’avons vu à la fin d’un des chapitres précédents.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer