Les Mille et une nuits

LXXXVI NUIT.

Sire, le grand vizir Giafar continuant deparler au calife : « Au bout de quelques jours, dit-il,la fille du vizir Schemseddin Mohammed s’aperçut qu’elle étaitgrosse, et en effet elle accoucha d’un fils dans le terme de neufmois. On donna une nourrice à l’enfant, avec d’autres femmes et desesclaves pour le servir, et son aïeul le nomma Agib.

« Lorsque le jeune Agib eut atteint l’âgede sept ans, le vizir Schemseddin Mohammed, au lieu de lui faireapprendre à lire au logis, l’envoya à l’école chez un maître quiavait une grande réputation, et deux esclaves avaient soin de leconduire et de le ramener tous les jours. Agib jouait avec sescamarades : comme ils étaient tous d’une condition au-dessousde la sienne, ils avaient beaucoup de déférence pour lui, et encela ils se réglaient sur le maître d’école, qui lui passait biendes choses qu’il ne pardonnait pas à eux. La complaisance aveuglequ’on avait pour Agib le perdit : il devint fier,insolent ; il voulait que ses compagnons souffrissent tout delui, sans vouloir rien souffrir d’eux. Il dominait partout, et siquelqu’un avait la hardiesse de s’opposer à ses volontés, il luidisait mille injures et allait souvent jusqu’aux coups. Enfin il serendit insupportable à tous les écoliers, qui se plaignirent de luiau maître d’école. Il les exhorta d’abord à prendre patience ;mais quand il vit qu’ils ne faisaient qu’irriter par là l’insolenced’Agib, et fatigué lui-même des peines qu’il lui faisait :« Mes enfants, dit-il à ses écoliers, je vois bien qu’Agib estun petit insolent ; je veux vous enseigner un moyen de lemortifier de manière qu’il ne vous tourmentera plus ; je croismême qu’il ne reviendra plus à l’école. Demain, lorsqu’il sera venuet que vous voudrez jouer ensemble, rangez-vous tous autour de lui,et que quelqu’un dise tout haut : Nous voulons jouer, maisc’est à condition que ceux qui joueront diront leur nom, celui deleur mère et de leur père. Nous regarderons comme des bâtards ceuxqui refuseront de le faire, et nous ne souffrirons pas qu’ilsjouent avec nous. Le maître d’école leur fit comprendre l’embarrasoù ils jetteraient Agib par ce moyen, et ils se retirèrent chez euxavec bien de la joie.

« Le lendemain, dès qu’ils furent tousassemblés, ils ne manquèrent pas de faire ce que leur maître leuravait enseigné. Ils environnèrent Agib, et l’un d’entre eux prenantla parole : « Jouons, dit-il, à un jeu, mais à conditionque celui qui ne pourra pas dire son nom, le nom de sa mère et deson père, n’y jouera pas. » Ils répondirent tous, et Agiblui-même, qu’ils y consentaient. Alors celui qui avait parlé lesinterrogea l’un après l’autre, et ils satisfirent tous à lacondition, excepté Agib, qui répondit : « Je me nommeAgib, ma mère s’appelle Dame de Beauté, et mon père SchemseddinMohammed, vizir du sultan. »

« À ces mots, tous les enfantss’écrièrent : « Agib, que dites-vous ? ce n’estpoint là le nom de votre père, c’est celui de votre grand-père. –Que Dieu vous confonde ! répliqua-t-il en colère ;quoi ! vous osez dire que le vizir Schemseddin Mohammed n’estpas mon père ! » Les écoliers lui repartirent avec degrands éclats de rire : « Non, non, il n’est que votreaïeul, et vous ne jouerez pas avec nous ; nous nous garderonsbien même de nous approcher de vous. » En disant cela ilss’éloignèrent de lui en le raillant, et ils continuèrent de rireentre eux. Agib fut fort mortifié de leurs railleries et se mit àpleurer.

« Le maître d’école, qui était auxécoutes et qui avait tout entendu, entra sur ces entrefaites, ets’adressant à Agib : « Agib, lui dit-il, ne savez-vouspas encore que le vizir Schemseddin Mohammed n’est pas votrepère ? Il est votre aïeul, père de votre mère Dame de Beauté.Nous ignorons comme vous le nom de votre père. Nous savonsseulement que le sultan avait voulu marier votre mère avec un deses palefreniers qui était bossu, mais qu’un génie coucha avecelle. Cela est fâcheux pour vous, et doit vous apprendre à traitervos camarades avec moins de fierté que vous n’avez fait jusqu’àprésent. »

Scheherazade, en cet endroit, remarquant qu’ilétait jour, mit fin à son discours. Elle en reprit le fil la nuitsuivante, et dit au sultan des Indes :

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