Les Mille et une nuits

XCVI NUIT.

Sire, le vizir Giafar continuant de parler aucalife : « Bedreddin Hassan, dit-il, avait beau demanderen chemin, aux personnes qui l’emmenaient, ce que l’on avait trouvédans sa tarte à la crème, on ne lui répondait rien. Enfin il arrivasous les tentes, où on le fit attendre jusqu’à ce que SchemseddinMohammed fût revenu de chez le gouverneur de Damas.

« Le vizir, étant de retour, demanda desnouvelles du pâtissier. On le lui amena. « Seigneur, lui ditBedreddin, les larmes aux yeux, faites-moi la grâce de me dire enquoi je vous ai offensé. – Ah ! malheureux, répondit le vizir,n’est-ce pas toi qui as fait la tarte à la crème que tu m’asenvoyée ? – J’avoue que c’est moi, repartit Bedreddin :quel crime ai-je commis en cela ? – Je te châtierai comme tule mérites, répliqua Schemseddin Mohammed, et il t’en coûtera lavie pour avoir fait une si méchante tarte. – Hé ! bon Dieu,s’écria Bedreddin, qu’est-ce que j’entends ! Est-ce un crimedigne de mort d’avoir fait une méchante tarte à la crème ? –Oui, dit le vizir, et tu ne dois pas attendre de moi un autretraitement. »

« Pendant qu’ils s’entretenaient ainsitous deux, les dames, qui s’étaient cachées, observaient avecattention Bedreddin, qu’elles n’eurent pas de peine à reconnaîtremalgré le long temps qu’elles ne l’avaient vu. La joie qu’elles eneurent fut telle qu’elles en tombèrent évanouies. Quand ellesfurent revenues de leur évanouissement elles voulaient s’allerjeter au cou de Bedreddin ; mais la parole qu’elles avaientdonnée au vizir de ne se point montrer l’emporta sur les plustendres mouvements de la nature.

« Comme Schemseddin Mohammed avait résolude partir cette même nuit, il fit plier les tentes et préparer lesvoitures pour se mettre en marche, et à l’égard de Bedreddin, ilordonna qu’on le mît dans une caisse bien fermée et qu’on lechargeât sur un chameau. D’abord que tout fut prêt pour le départ,le vizir et les gens de sa suite se mirent en chemin. Ilsmarchèrent le reste de la nuit et le jour suivant sans se reposer.Ils ne s’arrêtèrent qu’à l’entrée de la nuit. Alors on tiraBedreddin Hassan de la caisse pour lui faire prendre de lanourriture ; mais on eut soin de le tenir éloigné de sa mèreet de sa femme, et pendant vingt jours que dura le voyage, on letraita de la même manière.

« En arrivant au Caire, on campa auxenvirons de la ville par ordre du vizir Schemseddin Mohammed, quise fit amener Bedreddin, devant lequel il dit à un charpentierqu’il avait fait venir : « Va chercher du bois et dressepromptement un poteau. – Hé ! seigneur, dit Bedreddin, queprétendez-vous faire de ce poteau ? – T’y attacher, repartitle vizir, et te faire ensuite promener par tous les quartiers de laville, afin qu’on voie en ta personne un indigne pâtissier qui faitdes tartes à la crème sans y mettre de poivre. » À ces mots,Bedreddin Hassan s’écria d’une manière si plaisante, queSchemseddin Mohammed eut bien de la peine à garder sonsérieux : « Grand Dieu, c’est donc pour n’avoir pas misde poivre dans une tarte à la crème qu’on veut me faire souffrirune mort aussi cruelle qu’ignominieuse ! »

En achevant ces mots, Scheherazade, remarquantqu’il était jour, se tut, et Schahriar se leva en riant de tout soncœur de la frayeur de Bedreddin, et fort curieux d’entendre lasuite de cette histoire, que la sultane reprit de cette sorte lelendemain, avant le jour :

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