Les Mille et une nuits

CX NUIT.

Le marchand chrétien poursuivant sonhistoire : « Quand je vis, me dit le jeune homme, que ladame se retirait, je sentis bien que mon cœur s’intéressait pourelle. Je la rappelai : « Madame, lui dis-je, faites-moila grâce de revenir ; peut-être trouverai-je le moyen de vouscontenter l’un et l’autre. » Elle revint en me disant quec’était pour l’amour de moi. « Seigneur Bedreddin, dis-jealors au marchand, combien dites-vous que vous voulez vendre cetteétoffe qui m’appartient ? – Onze cents drachmes d’argent,répondit-il, je ne puis la donner à moins. – Livrez-la donc à cettedame, repris-je, et qu’elle l’emporte. Je vous donne cent drachmesde profit, et je vais vous faire un billet de la somme, à prendresur les autres marchandises que vous avez à moi. Effectivement, jefis le billet, le signai et le mis entre les mains de Bedreddin.Ensuite, présentant l’étoffe à la dame : « Vous pouvezl’emporter, madame, lui dis-je, et quant à l’argent, vous mel’enverrez demain ou un autre jour, ou bien je vous fais présent del’étoffe, si vous voulez. – Ce n’est pas comme je l’entends,reprit-elle : vous en usez avec moi d’une manière si honnêteet si obligeante, que je serais indigne de paraître devant leshommes si je ne vous en témoignais pas de la reconnaissance. QueDieu, pour vous en récompenser, augmente vos biens, vous fassevivre longtemps après moi, vous ouvre la porte des cieux, à votremort, et que toute la ville publie votregénérosité ! »

« Ces paroles me donnèrent de lahardiesse. « Madame, lui dis-je, laissez-moi voir votre visagepour prix de vous avoir fait plaisir : ce sera me payer avecusure. » À ces mots, elle se retourna de mon côté, ôta lamousseline qui lui couvrait le visage, et offrit à mes yeux unebeauté surprenante. J’en fus tellement frappé, que je ne pus luirien dire pour lui exprimer ce que j’en pensais. Je ne me seraisjamais lassé de la regarder : mais elle se recouvritpromptement le visage, de peur qu’on ne l’aperçût, et après avoirabaissé le crépon, elle prit la pièce d’étoffe et s’éloigna de laboutique, où elle me laissa dans un état bien différent de celui oùj’étais en y arrivant. Je demeurai longtemps dans un trouble, dansun désordre étrange. Avant que de quitter le marchand, je luidemandai s’il connaissait la dame. « Oui, me répondit-il, elleest fille d’un émir qui lui a laissé en mourant des biensimmenses. »

« Quand je fus de retour au khan deMesrour, mes gens me servirent à souper ; mais il me futimpossible de manger. Je ne pus même fermer l’œil de toute la nuit,qui me parut la plus longue de ma vie. Dès qu’il fut jour, je melevai dans l’espérance de revoir l’objet qui troublait monrepos : et dans le dessein de lui plaire, je m’habillai plusproprement encore que le jour précédent. Je retournai à la boutiquede Bedreddin. »

Mais, sire, dit Scheherazade, le jour, que jevois paraître, m’empêche de continuer mon récit. Après avoir ditces paroles elle se tut, et la nuit suivante elle reprit sanarration dans ces termes :

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