Les Mille et une nuits

CXI NUIT.

Sire, le jeune homme de Bagdad racontant sesaventures au marchand chrétien : « Il n’y avait paslongtemps, dit-il, que j’étais arrivé à la boutique de Bedreddinlorsque je vis venir la dame, suivie de son esclave, et plusmagnifiquement vêtue que le jour d’auparavant. Elle ne regarda pasle marchand, et s’adressant à moi seul : « Seigneur, medit-elle, vous voyez que je suis exacte à tenir la parole que jevous donnai hier. Je viens exprès pour vous apporter la somme dontvous voulûtes bien répondre pour moi sans me connaître, par unegénérosité que je n’oublierai jamais. – Madame, lui répondis-je, iln’était pas besoin de vous presser si fort. J’étais sans inquiétudesur mon argent, et je suis fâché de la peine que vous avez prise. –Il n’était pas juste, reprit-elle, que j’abusasse de votrehonnêteté. » En disant cela, elle me mit l’argent entre lesmains et s’assit près de moi.

« Alors, profitant de l’occasion quej’avais de l’entretenir, je lui parlai de l’amour que je sentaispour elle ; mais elle se leva et me quitta brusquement, commesi elle eût été fort offensée de la déclaration que je venais delui faire. Je la suivis des yeux tant que je la pus voir, et dèsque je ne la vis plus, je pris congé du marchand et sortis dubezestan sans savoir où j’allais. Je rêvais à cette aventurelorsque je sentis qu’on me tirait par derrière. Je me tournaiaussitôt pour voir ce que ce pouvait être, et je reconnus avecplaisir l’esclave de la dame dont j’avais l’esprit occupé.« Ma maîtresse, me dit-elle, qui est cette jeune personne àqui vous venez de parler dans la boutique d’un marchand, voudraitbien vous dire un mot ; prenez, s’il vous plaît, la peine deme suivre. » Je la suivis et trouvai en effet sa maîtresse quim’attendait dans la boutique d’un changeur où elle étaitassise.

« Elle me fit asseoir auprès d’elle, etprenant la parole : « Mon cher seigneur, me dit-elle, nesoyez pas surpris que je vous aie quitté un peu brusquement. Jen’ai pas jugé à propos, devant ce marchand, de répondrefavorablement à l’aveu que vous m’avez fait des sentiments que jevous ai inspirés. Mais, bien loin de m’en offenser, je confesse queje prenais plaisir à vous entendre, et je m’estime infinimentheureuse d’avoir pour amant un homme de votre mérite. Je ne saisquelle impression ma vue a pu faire d’abord sur vous ; mais,pour moi, je puis vous assurer qu’en vous voyant je me suis sentiede l’inclination pour vous. Depuis hier je n’ai fait que penser auxchoses que vous me dites, et mon empressement à vous venir cherchersi matin doit bien vous prouver que vous ne me déplaisez pas. –Madame, repris-je, transporté d’amour et de joie, je ne pouvaisrien entendre de plus agréable que ce que vous avez la bonté de medire. On ne saurait aimer avec plus de passion que je vousaime : depuis l’heureux moment que vous parûtes à mes yeux,ils furent éblouis de tant de charmes, et mon cœur se rendit sansrésistance. – Ne perdons pas le temps en discours inutiles,interrompit-elle ; je ne doute pas de votre sincérité, et vousserez bientôt persuadé de la mienne. Voulez-vous me faire l’honneurde venir chez moi, ou si vous souhaitez que j’aille chezvous ? – Madame, lui répondis-je, je suis un étranger logédans un khan qui n’est pas un lieu propre à recevoir une dame devotre rang et de votre mérite. »

Scheherazade allait poursuivre, mais elle futobligée d’interrompre son discours parce que le jour paraissait. Lelendemain, elle continua de cette sorte, en faisant toujours parlerle jeune homme de Bagdad :

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