Les Mille et une nuits

CXV NUIT.

Sur la fin de la nuit suivante, la sultaneadressa ainsi la parole à Schahriar : Sire, le jeune homme deBagdad poursuivant son histoire : « Lorsque le lieutenantde police, dit-il, eut la bourse entre les mains, il demanda aucavalier si elle était à lui et combien il y avait mis d’argent. Lecavalier la reconnut pour celle qui lui avait été prise, et assuraqu’il y avait dedans vingt sequins. Le juge l’ouvrit, et après yavoir effectivement trouvé vingt sequins, il la lui rendit.Aussitôt il me fit venir devant lui. « Jeune homme, me dit-il,avouez-moi la vérité. Est-ce vous qui avez pris la bourse de cecavalier ? N’attendez pas que j’emploie les tourments pourvous le faire confesser. » Alors, baissant les yeux, je dis enmoi-même : « Si je nie le fait, la bourse dont on m’atrouvé saisi me fera passer pour un menteur. » Ainsi, pouréviter un double châtiment, je levai la tête et confessai quec’était moi. Je n’eus pas plus tôt fait cet aveu que le lieutenantde police, après avoir pris des témoins, commanda qu’on me coupâtla main, et la sentence fut exécutée sur-le-champ, ce qui excita lapitié de tous les spectateurs : je remarquai même sur levisage du cavalier qu’il n’en était pas moins touché que lesautres. Le lieutenant de police voulait encore me faire couper unpied ; mais je suppliai le cavalier de demander magrâce : il la demanda et l’obtint.

« Lorsque le juge eut passé son chemin,le cavalier s’approcha de moi : « Je vois bien, me dit-ilen me présentant la bourse, que c’est la nécessité qui vous a faitfaire une action si honteuse et si indigne d’un jeune homme aussibien fait que vous ; mais, tenez, voilà cette bourse fatale,je vous la donne et je suis très-fâché du malheur qui vous estarrivé. » En achevant ces paroles il me quitta, et commej’étais très-faible à cause du sang que j’avais perdu, quelqueshonnêtes gens du quartier eurent la charité de me faire entrer chezeux et de me faire boire un verre de vin. Ils pansèrent aussi monbras et mirent ma main dans un linge que j’emportai avec moiattaché à ma ceinture.

« Quand je serais retourné au khan deMesrour dans ce triste état, je n’y aurais pas trouvé le secoursdont j’avais besoin. C’était aussi hasarder beaucoup que d’aller meprésenter à la jeune dame. Elle ne voudra peut-être plus me voir,disais-je, lorsqu’elle aura appris mon infamie. Je ne laissai pasnéanmoins de prendre ce parti, et afin que le monde qui me suivaitse lassât de m’accompagner, je marchai par plusieurs ruesdétournées et me rendis enfin chez la dame, où j’arrivai si faibleet si fatigué que je me jetai sur le sofa, le bras droit sous marobe, car je me gardai bien de le faire voir.

« Cependant la dame avertie de monarrivée et du mal que je souffrais, vint avec empressement, et mevoyant pâle et défait : « Ma chère âme, me dit-elle,qu’avez-vous donc ? » Je dissimulai : « Madame,lui répondis-je, c’est un grand mal de tête qui metourmente. » Elle en parut très-affligée :« Asseyez-vous, reprit-elle, car je m’étais levé pour larecevoir ; dites-moi comment cela vous est venu : vousvous portiez si bien la dernière fois que j’eus le plaisir de vousvoir ! Il y a quelque autre chose que vous me cachez ;apprenez-moi ce que c’est. » Comme je gardais le silence, etqu’au lieu de répondre, les larmes coulaient de mes yeux :« Je ne comprends pas, dit-elle, ce qui peut vous affliger.Vous en aurais-je donné quelque sujet sans y penser, et venez-vousici exprès pour m’annoncer que vous ne m’aimez plus ? – Cen’est point cela, madame, lui repartis-je en soupirant, et unsoupçon si injuste augmente encore mon mal. »

« Je ne pouvais me résoudre à lui endéclarer la véritable cause. La nuit étant venue, on servit lesouper. Elle me pria de manger ; mais, ne pouvant me servirque de la main gauche, je la suppliai de m’en dispenser, m’excusantsur ce que je n’avais nul appétit : « Vous en aurez, medit-elle, quand vous m’aurez découvert ce que vous me cachez avectant d’opiniâtreté : votre dégoût, sans doute, ne vient que dela peine que vous avez à vous y déterminer. – Hélas ! madame,repris-je, il faudra bien enfin que je m’y détermine. » Jen’eus pas prononcé ces paroles qu’elle me versa à boire, et meprésentant la tasse : « Prenez, dit-elle, et buvez, celavous donnera du courage. » J’avançai donc la main gauche etpris la tasse. »

À ces mots, Scheherazade, apercevant le jour,cessa de parler ; mais la nuit suivante elle poursuivit sondiscours de cette manière :

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