Les Mille et une nuits

CXVI NUIT.

« Lorsque j’eus la tasse à la main, ditle jeune homme, je redoublai mes pleurs et poussai de nouveauxsoupirs. « Qu’avez-vous donc à soupirer et à pleurer siamèrement, me dit alors la dame, et pourquoi prenez-vous la tassede la main gauche plutôt que de la droite ? – Ah !madame, lui répondis-je, excusez-moi, je vous en conjure :c’est que j’ai une tumeur à la main droite. – Montrez-moi cettetumeur, répliqua-t-elle, je la veux percer. » Je m’en excusaien disant qu’elle n’était pas encore en état de l’être, et je vidaitoute la tasse, qui était très-grande. Les vapeurs du vin, malassitude et l’abattement où j’étais m’eurent bientôt assoupi, etje dormis d’un profond sommeil qui dura jusqu’au lendemain.

« Pendant ce temps-là la dame, voulantsavoir quel mal j’avais à la main droite, leva ma robe, qui lacachait, et vit avec tout l’étonnement que vous pouvez penserqu’elle était coupée et que je l’avais apportée dans un linge. Ellecomprit d’abord sans peine pourquoi j’avais tant résisté auxpressantes instances qu’elle m’avait faites, et elle passa la nuità s’affliger de ma disgrâce, ne doutant pas qu’elle ne me fûtarrivée pour l’amour d’elle.

« À mon réveil, je remarquai fort biensur son visage qu’elle était saisie d’une vive douleur. Néanmoins,pour ne me pas chagriner elle ne me parla de rien. Elle me fitservir un consommé de volaille qu’on m’avait préparé par son ordre,me fit manger et boire pour me donner, disait-elle, les forces dontj’avais besoin. Après cela je voulus prendre congé d’elle, mais meretenant par ma robe : « Je ne souffrirai pas, dit-elle,que vous sortiez d’ici. Quoique vous ne m’en disiez rien, je suispersuadée que je suis la cause du malheur que vous vous êtesattiré. La douleur que j’en ai ne me laissera pas vivrelongtemps ; mais avant que je meure, il faut que j’exécute undessein que je médite en votre faveur. » En disant cela, ellefit appeler un officier de justice et des témoins, et me fitdresser une donation de tous ses biens. Après qu’elle eut renvoyétous ces gens satisfaits de leur peine, elle ouvrit un grand coffreoù étaient toutes les bourses, dont je lui avais fait présentdepuis le commencement de nos amours. « Elles sont toutesentières, me dit-elle, je n’ai pas touché à une seule : tenez,voilà la clef du coffre, vous en êtes le maître. » Je laremerciai de sa générosité et de sa bonté. « Je compte pourrien, reprit-elle, ce que je viens de faire pour vous, et je neserai pas contente que je ne meure encore pour vous témoignercombien je vous aime. » Je la conjurai par tout ce que l’amoura de plus puissant d’abandonner une résolution si funeste ;mais je ne pus l’en détourner, et le chagrin de me voir manchot luicausa une maladie de cinq ou six semaines dont elle mourut.

« Après avoir regretté sa mort autant queje le devais, je me mis en possession de tous ses biens, qu’ellem’avait fait connaître, et le sésame que vous avez pris la peine devendre pour moi en faisait une partie. »

Scheherazade voulait continuer sa narration,mais le jour, qui paraissait l’en empêcha. La nuit suivante, ellereprit ainsi le fil de son discours :

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer