Les Mille et une nuits

IX NUIT.

« Ma chère sœur, s’écria Dinarzade, lelendemain à l’heure ordinaire, je vous supplie en attendant lejour, qui paraîtra bientôt, de me raconter la suite du conte dupêcheur. Je meurs d’envie de l’entendre. – Je vais vous donnercette satisfaction, » répondit la sultane. En même temps elledemanda la permission au sultan, et lorsqu’elle l’eut obtenue, ellereprit en ces termes le conte du pêcheur :

Sire, quand le pêcheur affligé d’avoir faitune si mauvaise pêche, eut raccommodé ses filets, que la carcassede l’âne avait rompus en plusieurs endroits, il les jeta uneseconde fois. En les tirant, il sentit encore beaucoup derésistance, ce qui lui fit croire qu’ils étaient remplis depoissons ; mais il n’y trouva qu’un grand panier plein degravier et de fange. Il en fut dans une extrême affliction.« Ô fortune ! s’écria-t-il d’une voix pitoyable, cessed’être en colère contre moi, et ne persécute point un malheureuxqui te prie de l’épargner ! Je suis parti de ma maison pourvenir ici chercher ma vie, et tu m’annonces ma mort. Je n’ai pasd’autre métier que celui-ci pour subsister, et malgré tous lessoins que j’y apporte, je puis à peine fournir aux plus pressantsbesoins de ma famille. Mais j’ai tort de me plaindre de toi, tuprends plaisir à maltraiter les honnêtes gens, et à laisser degrands hommes dans l’obscurité, tandis que tu favorises lesméchants, et que tu élèves ceux qui n’ont aucune vertu qui lesrende recommandables. »

En achevant ces plaintes, il jeta brusquementle panier, et après avoir bien lavé ses filets que la fange avaitgâtés, il les jeta pour la troisième fois. Mais il n’amena que despierres, des coquilles et de l’ordure. On ne saurait expliquer quelfut son désespoir : peu s’en fallut qu’il ne perdît l’esprit.Cependant, comme le jour commençait à paraître, il n’oublia pas defaire sa prière en bon musulman[8], ensuite ilajouta celle-ci : « Seigneur, vous savez que je ne jettemes filets que quatre fois chaque jour. Je les ai déjà jetés troisfois sans avoir tiré le moindre fruit de mon travail. Il ne m’enreste plus qu’une ; je vous supplie de me rendre la merfavorable, comme « vous l’avez rendue à Moise[9]. »

Le pêcheur, ayant fini cette prière, jeta sesfilets pour la quatrième fois. Quand il jugea qu’il devait y avoirdu poisson, il les tira comme auparavant avec assez de peine. Iln’y en avait pas pourtant ; mais il y trouva un vase de cuivrejaune, qui, à sa pesanteur, lui parut plein de quelque chose ;et il remarqua qu’il était fermé et scellé de plomb, avecl’empreinte d’un sceau. Cela le réjouit : « Je le vendraiau fondeur, disait-il, et de l’argent que j’en ferai, j’enachèterai une mesure de blé. »

Il examina le vase de tous côtés, il le secouapour voir si ce qui était dedans ne ferait pas de bruit. Iln’entendit rien, et cette circonstance, avec l’empreinte du sceausur le couvercle de plomb, lui fit penser qu’il devait être remplide quelque chose de précieux. Pour s’en éclaircir, il prit soncouteau, et, avec un peu de peine, il l’ouvrit. Il en penchaaussitôt l’ouverture contre terre, mais il n’en sortit rien, ce quile surprit extrêmement. Il le posa devant lui ; et pendantqu’il le considérait attentivement, il en sortit une fumée fortépaisse qui l’obligea de reculer deux ou trois pas en arrière.

Cette fumée s’éleva jusqu’aux nues ets’étendant sur la mer et sur le rivage, forma un gros brouillard.Spectacle qui causa, comme on peut se l’imaginer, un étonnementextraordinaire au pêcheur. Lorsque la fumée fut toute hors du vase,elle se réunit et devint un corps solide, dont il se forma un géniedeux fois aussi haut que le plus grand de tous les géants. Àl’aspect d’un monstre d’une grandeur si démesurée, le pêcheurvoulut prendre la fuite ; mais il se trouva si troublé et sieffrayé, qu’il ne put marcher.

« Salomon[10], s’écriad’abord le génie, Salomon, grand prophète de Dieu, pardon, pardon,jamais je ne m’opposerai à vos volontés. J’obéirai à tous voscommandements… » Scheherazade, apercevant le jour, interrompitlà son conte.

Dinarzade prit alors la parole :« Ma sœur, dit-elle, on ne peut mieux tenir sa promesse quevous tenez la vôtre. Ce conte est assurément plus surprenant queles autres. – Ma sœur, répondit la sultane, vous entendrez deschoses qui vous causeront encore plus d’admiration, si le sultan,mon seigneur, me permet de vous les raconter. » Schahriaravait trop d’envie d’entendre le reste de l’histoire du pêcheur,pour vouloir se priver de ce plaisir. Il remit donc encore aulendemain la mort de la sultane.

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