Les Mille et une nuits

CXIX NUIT.

La sultane ayant été réveillée par sa sœurDinarzade, adressa la parole au sultan : Sire, dit-elle, lemarchand continua de cette sorte le récit qu’il avaitcommencé : « La dame s’assit dans ma boutique, et,remarquant qu’il n’y avait personne que l’eunuque et moi dans lebezestan, elle se découvrit le visage pour prendre l’air. Je n’aijamais rien vu de si beau : la voir et l’aimer passionnémentce fut la même chose pour moi. J’eus toujours les yeux attachés surelle. Il me parut que mon attention ne lui était pas désagréable,car elle me donna tout le temps de la regarder à mon aise, et ellene se couvrit le visage que lorsque la crainte d’être aperçue l’yobligea.

« Après qu’elle se fut remise au mêmeétat qu’auparavant, elle me dit qu’elle cherchait plusieurs sortesd’étoffes des plus belles et des plus riches, qu’elle me nomma, etelle me demanda si j’en avais. « Hélas ! madame, luirépondis-je, je suis un jeune marchand qui ne fais que commencer àm’établir. Je ne suis pas encore assez riche pour faire un si grandnégoce, et c’est une mortification pour moi de n’avoir rien à vousprésenter de ce qui vous a fait venir au bezestan ; mais, pourvous épargner la peine d’aller de boutique en boutique, d’abord queles marchands seront venus, j’irai, si vous le trouvez bon, prendrechez eux tout ce que vous souhaitez : ils m’en diront le prixau juste, et, sans aller plus loin, vous ferez ici vos emplettes.Elle y consentit, et j’eus avec elle un entretien qui dura d’autantplus longtemps, que je lui faisais accroire que les marchandsqu’elle demandait n’étaient pas encore arrivés.

« Je ne fus pas moins charmé de sonesprit que je l’avais été de la beauté de son visage ; mais ilfallut enfin me priver du plaisir de sa conversation : jecourus chercher les étoffes qu’elle désirait, et quand elle eutchoisi celles qui lui plurent, nous en arrêtâmes le prix à cinqmille drachmes d’argent monnayé. J’en fis un paquet que je donnai àl’eunuque, qui le mit sous son bras. Elle se leva ensuite et partitaprès avoir pris congé de moi. Je la conduisis des yeux jusqu’à laporte du bezestan, et je ne cessai de la regarder qu’elle ne fûtremontée sur sa mule.

« La dame n’eut pas plus tôt disparu, queje m’aperçus que l’amour m’avait fait faire une grande faute. Ilm’avait tellement troublé l’esprit que je n’avais pas pris gardequ’elle s’en allait sans payer, et ne lui avais pas seulementdemandé qui elle était ni où elle demeurait. Je fis réflexionpourtant que j’étais redevable d’une somme considérable à plusieursmarchands qui n’auraient peut-être pas la patience d’attendre.J’allai m’excuser auprès d’eux le mieux qu’il me fut possible, enleur disant que je connaissais la dame. Enfin je revins chez moi,aussi amoureux qu’embarrassé d’une si grosse dette. »

Scheherazade en cet endroit vit paraître lejour, cessa de parler. La nuit suivante elle continua de cettemanière :

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