Les Mille et une nuits

CXXII NUIT.

Quelques moments avant le jour, la sultane desIndes s’étant réveillée, poursuivit de cette manière l’histoire dumarchand de Bagdad : « L’officier des eunuques,continua-t-il, fâché de ce qu’on avait interrompu son sommeil,querella fort la favorite de ce qu’elle revenait si tard.« Vous n’en serez pas quitte à si bon marché que vous vousl’imaginez, lui dit-il ; pas un de ces coffres ne passera queje ne l’aie fait ouvrir et que je ne l’aie exactementvisité. » En même temps, il commanda aux eunuques de lesapporter devant lui l’un après l’autre, et de les ouvrir. Ilscommencèrent par celui où j’étais enfermé : ils le prirent etle portèrent. Alors je fus saisi d’une frayeur que je ne puisexprimer : je me crus au dernier moment de ma vie.

« La favorite, qui avait la clef,protesta qu’elle ne la donnerait pas et ne souffrirait jamais qu’onouvrit ce coffre-là. « Vous savez bien, dit-elle, que je nefais rien venir qui ne soit pour le service de Zobéide, votremaîtresse et la mienne. Ce coffre particulièrement est rempli demarchandises précieuses, que des marchands nouvellement arrivésm’ont confiées. Il y a de plus un nombre de bouteilles d’eau de lafontaine de Zemzem, envoyées de la Mecque. Si quelqu’une venait àse casser, les marchandises en seraient gâtées et vous enrépondriez : la femme du commandeur des croyants, saurait biense venger de votre insolence. Enfin elle parla avec tant defermeté, que l’officier n’eut pas la hardiesse de s’opiniâtrer àvouloir faire la visite ni du coffre où j’étais ni des autres.« Passez donc, dit-il en colère, marchez ! » Onouvrit l’appartement des dames, et l’on y porta tous lescoffres.

« À peine y furent-ils que j’entendiscrier tout à coup : « Voilà le calife ! voilà lecalife ! » Ces paroles augmentèrent ma frayeur à unpoint, que je ne sais comment je n’en mourus pas sur-le-champ.C’était effectivement le calife. « Qu’apportez-vous dans cescoffres ? dit-il à la favorite. – Commandeur des croyants,répondit-elle, ce sont des étoffes nouvellement arrivées, quel’épouse de votre majesté a souhaité qu’on lui montrât. – Ouvrez,ouvrez, reprit le calife, je les veux voir aussi. » Ellevoulut s’en excuser, en lui représentant que ces étoffes n’étaientpropres que pour des dames, et que ce serait ôter à son épouse leplaisir qu’elle se faisait de les voir la première. « Ouvrez,vous dis-je, répliqua-t-il, je vous l’ordonne. » Elle luiremontra encore que sa majesté, en l’obligeant à manquer defidélité à sa maîtresse, l’exposait à sa colère. « Non, non,repartit-il, je vous promets qu’elle ne vous en fera aucunreproche : ouvrez, seulement, et ne me faites pas attendreplus longtemps. »

« Il fallut obéir, et je sentis alors desi vives alarmes, que j’en frémis encore toutes les fois que j’ypense. Le calife s’assit, et la favorite fit porter devant lui tousles coffres l’un après l’autre et les ouvrit. Pour tirer les chosesen longueur, elle lui faisait remarquer toutes les beautés dechaque étoffe en particulier : elle voulait mettre sa patienceà bout, mais elle n’y réussit pas. Comme elle n’était pas moinsintéressée que moi à ne pas ouvrir le coffre où j’étais, elle nes’empressait pas de le faire apporter, et il ne restait plus quecelui-là à visiter. « Achevons, dit le calife, voyons encorece qu’il y a dans ce coffre. » Je ne puis dire si j’étais vifou mort en ce moment ; mais je ne croyais pas échapper d’un sigrand danger. »

Scheherazade, à ces derniers mots, vitparaître le jour. Elle interrompit sa narration ; mais elle lacontinua de cette sorte sur la fin de la nuit suivante :

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