Les Mille et une nuits

CXXVI NUIT.

Sire, le marchand de Bagdad acheva de raconterainsi son histoire : « Les dames n’appliquèrent passeulement sur mes plaies de la racine que j’ai dite pour étancherle sang, elles y mirent aussi du baume de la Mecque[49], qu’on ne pouvait pas soupçonner d’êtrefalsifié, puisqu’elles l’avaient pris dans l’apothicairerie ducalife. Par la vertu de ce baume admirable je fus parfaitementguéri en peu de jours, et nous demeurâmes ensemble, ma femme etmoi, dans la même union que si je n’eusse jamais mangé de ragoût àl’ail. Mais comme j’avais toujours joui de ma liberté, jem’ennuyais fort d’être enfermé dans le palais du calife ;néanmoins je n’en voulais rien témoigner à mon épouse de peur delui déplaire. Elle s’en aperçut ; elle ne demandait pas mieuxelle-même que d’en sortir. La reconnaissance seule la retenaitauprès de Zobéide ; mais elle avait de l’esprit, et ellereprésenta si bien à sa maîtresse la contrainte où j’étais de nepas vivre dans la ville avec des gens de ma condition comme j’avaistoujours fait, que cette bonne princesse aima mieux se priver duplaisir d’avoir auprès d’elle sa favorite, que de ne lui pasaccorder ce que nous souhaitions tous deux également.

« C’est pourquoi, un mois après notremariage, je vis paraître mon épouse avec plusieurs eunuques quiportaient chacun un sac d’argent. Quand ils se furentretirés : « Vous ne m’avez rien marqué, dit-elle, del’ennui que vous cause le séjour de la cour. Mais je m’en suis bienaperçu, et j’ai heureusement trouvé moyen de vous rendrecontent : Zobéide, ma maîtresse, nous permet de nous retirerdu palais, et voilà cinquante mille sequins dont elle nous faitprésent, pour nous mettre en état de vivre commodément dans laville. Prenez-en dix mille et allez nous acheter unemaison. »

« J’en eus bientôt trouvé une pour cettesomme, et l’ayant fait meubler magnifiquement, nous y allâmesloger. Nous prîmes un grand nombres d’esclaves de l’un et del’autre sexe, et nous nous donnâmes un fort bel équipage. Enfinnous commençâmes à mener une vie fort agréable ; mais elle nefut pas de longue durée : au bout d’un an ma femme tombamalade et mourut en peu de jours.

« J’aurais pu me remarier et continuer devivre honorablement à Bagdad, mais l’envie de voir le mondem’inspira un autre dessein. Je vendis ma maison, et, après avoiracheté plusieurs sortes de marchandises, je me joignis à unecaravane et passai en Perse. De là je pris la route de Samarcande,d’où je suis venu m’établir en cette ville. »

« Voilà, sire, dit le pourvoyeur quiparlait au sultan de Casgar, l’histoire que raconta hier cemarchand de Bagdad à la compagnie où je me trouvai. – Cettehistoire, dit le sultan, a quelque chose d’extraordinaire ;mais elle n’est pas comparable à celle du petit bossu. » Alorsle médecin juif s’étant avancé, se prosterna devant le trône de ceprince et lui dit en se relevant : « Sire, si votremajesté veut avoir aussi la bonté de m’écouter, je me flattequ’elle sera satisfaite de l’histoire que j’ai à lui conter. – Hébien ! parle, lui dit le sultan ; mais si elle n’est pasplus surprenante que celle du bossu, n’espère pas que je te donnela vie. »

La sultane Scheherazade s’arrêta en cetendroit parce qu’il était jour. La nuit suivante, elle reprit ainsison discours :

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