Les Mille et une nuits

HISTOIRE RACONTÉE PAR LE MÉDECINJUIF.

« Sire, pendant que j’étudiais enmédecine à Damas, et que je commençais à y exercer ce bel art avecquelque réputation, un esclave me vint quérir pour aller voir unmalade chez le gouverneur de la ville. Je m’y rendis et l’onm’introduisit dans une chambre, où je trouvai un jeune hommetrès-bien fait, fort abattu du mal qu’il souffrait. Je le saluai enm’asseyant près de lui ; il ne répondit point à moncompliment ; mais il me fit un signe des yeux pour me marquerqu’il m’entendait et qu’il me remerciait. « Seigneur, luidis-je, je vous prie de me donner la main, que je vous tâte lepouls. » Au lieu de tendre la main droite, il me présenta lagauche, de quoi je fus extrêmement surpris. « Voilà, dis-je enmoi-même, une grande ignorance de ne savoir pas que l’on présentela main droite à un médecin et non pas la gauche. » Je nelaissai pas de lui tâter le pouls, et après avoir écrit uneordonnance je me retirai.

« Je continuai mes visites pendant neufjours, et toutes les fois que je lui voulus tâter le pouls il metendit la main gauche. Le dixième jour, il me parut se bien porter,et je lui dis qu’il n’avait plus besoin que d’aller au bain. Legouverneur de Damas, qui était présent, pour me marquer combien ilétait content de moi, me fit revêtir en sa présence d’une robetrès-riche, en me disant qu’il me faisait médecin de l’hôpital dela ville et médecin ordinaire de sa maison, où je pouvais allerlibrement manger à sa table quand il me plairait.

« Le jeune homme me fit aussi de grandesamitiés et me pria de l’accompagner au bain. Nous y entrâmes, etquand ses gens l’eurent déshabillé, je vis que la main droite luimanquait. Je remarquai même qu’il n’y avait pas longtemps qu’on lalui avait coupée : c’était aussi la cause de sa maladie, quel’on m’avait cachée, et, tandis qu’on y appliquait des médicamentspropres à le guérir promptement, on m’avait appelé pour empêcherque la fièvre qui l’avait pris n’eût de mauvaises suites. Je fusassez surpris et fort affligé de le voir en cet état ; il leremarqua bien sur mon visage : « Médecin, me dit-il, nevous étonnez pas de me voir la main coupée : je vous en diraiquelque jour le sujet, et vous entendrez une histoire des plussurprenantes. »

« Après que nous fûmes sortis du bain,nous nous mîmes à table ; nous nous entretînmes ensuite, et ilme demanda s’il pouvait, sans intéresser sa santé, s’aller promenerhors de la ville, au jardin du gouverneur. Je lui répondis quenon-seulement il le pouvait, mais qu’il lui était très-salutaire deprendre l’air. « Si cela est, répliqua-t-il, et que vousvouliez bien me tenir compagnie, je vous conterai là monhistoire. » Je repartis que j’étais tout à lui le reste de lajournée. Aussitôt il commanda à ses gens d’apporter de quoi fairela collation, puis nous partîmes et nous rendîmes au jardin dugouverneur. Nous y fîmes deux ou trois tours de promenade, et,après nous être assis sur un tapis que ses gens étendirent sous unarbre qui faisait un bel ombrage, le jeune homme me fit de cettesorte le récit de son histoire :

« Je suis né à Moussoul, et ma familleest une des plus considérables de la ville. Mon père était l’aînéde dix enfants que mon aïeul laissa, en mourant, tous en vie etmariés. Mais, de ce grand nombre de frères, mon père fut le seulqui eut des enfants, encore n’eut-il que moi. Il prit un très-grandsoin de mon éducation, et me fit apprendre tout ce qu’un enfant dema condition ne devait pas ignorer… » Mais, sire, ditScheherazade en se reprenant dans cet endroit, l’aurore, quiparaît, m’impose silence. À ces mots elle se tut et le sultan seleva.

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