Les Mille et une nuits

CXXX NUIT.

« Quand je vis, dit le jeune homme deMoussoul, que la dame était entrée dans ma maison, je me levai, jefermai la porte, et je la fis entrer dans une salle où je la priaide s’asseoir. « Madame, lui dis-je, j’ai eu des étoffes quiétaient dignes de vous être montrées, mais je n’en ai plusprésentement et j’en suis très-fâché. » Elle ôta le voile quilui couvrait le visage et fit briller à mes yeux une beauté dont lavue me fit sentir des mouvements que je n’avais point encoresentis. « Je n’ai pas besoin d’étoffes, me répondit-elle, jeviens seulement pour vous voir et passer la soirée avec vous sivous l’avez pour agréable : je ne vous demande qu’une légèrecollation. »

« Ravi d’une si bonne fortune, je donnaiordre à mes gens de nous apporter plusieurs sortes de fruits et desbouteilles de vin. Nous fûmes servis promptement, nous mangeâmes,nous bûmes, nous nous réjouîmes jusqu’à minuit : enfin jen’avais point encore passé de nuit si agréablement que je passaicelle-là. Le lendemain matin je voulus mettre dix scherifs dans lamain de la dame, mais elle la retira brusquement : « Jene suis pas venue vous voir, dit-elle, dans un esprit d’intérêt, etvous me faites une injure. Bien loin de recevoir de l’argent devous, je veux que vous en receviez de moi, autrement je ne vousreverrai plus : » en même temps elle tira dix scherifs desa bourse et me força de les prendre. « Attendez-moi danstrois jours, me dit-elle, après le coucher du soleil. » À cesmots, elle prit congé de moi et je sentis qu’en partant elleemportait mon cœur avec elle.

« Au bout de trois jours, elle ne manquapas de revenir à l’heure marquée, et je ne manquai pas de larecevoir avec toute la joie d’un homme qui l’attendaitimpatiemment. Nous passâmes la soirée et la nuit comme la premièrefois, et le lendemain, en me quittant, elle promit de me revenirvoir encore dans trois jours ; mais elle ne voulut pointpartir que je n’eusse reçu dix nouveaux scherifs.

« Étant revenue pour la troisième fois,et lorsque le vin nous eut échauffés tous deux, elle me dit :« Mon cher cœur, que pensez-vous de moi ? ne suis-je pasbelle et amusante ? – Madame, lui répondis-je, cette questionest assez inutile ; toutes les marques d’amour que je vousdonne doivent vous persuader que je vous aime ; je suis charméde vous voir et de vous posséder ; vous êtes ma reine, masultane ; vous faites tout le bonheur de ma vie. – Ah !je suis assurée, me dit-elle, que vous cesseriez de tenir celangage si vous aviez vu une dame de mes amies qui est plus jeuneet plus belle que moi ; elle a l’humeur si enjouée qu’elleferait rire les gens les plus mélancoliques. Il faut que je vousl’amène ici : je lui ai parlé de vous, et sur ce que je lui enai dit, elle meurt d’envie de vous voir. Elle m’a priée de luiprocurer ce plaisir ; mais je n’ai pas osé la satisfaire sansvous en avoir parlé auparavant. – Madame, repris-je, vous ferez cequ’il vous plaira, mais quelque chose que vous me puissiez dire devotre amie, je défie tous ses attraits de vous ravir mon cœur, quiest si fortement attaché à vous que rien n’est capable de l’endétacher. – Prenez-y bien garde, répliqua-t-elle, je vous avertisque je vais mettre votre amour à une étrange épreuve. »

« Nous en demeurâmes là, et le lendemain,en me quittant, au lieu de dix scherifs, elle m’en donna quinze,que je fus forcé d’accepter : « Souvenez-vous, medit-elle, que vous aurez dans deux jours une nouvelle hôtesse,songez à la bien recevoir ; nous viendrons à l’heureaccoutumée, après le coucher du soleil. » Je fis orner lasalle et préparer une belle collation pour le jour qu’ellesdevaient venir. »

Scheherazade s’interrompit en cet endroitparce qu’elle remarqua qu’il était jour. La nuit suivante, ellereprit la parole dans ces termes :

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer