Les Mille et une nuits

CXXXVII NUIT.

Sire, la vieille dame continuant de rapporterau jeune homme malade d’amour l’entretien qu’elle avait eu avec lafille du cadi : « Vous vous souvenez bien, madame,ajoutai-je, avec quelle rigueur vous me traitâtes dernièrement,lorsque je voulus vous parler de sa maladie et vous proposer unmoyen de le délivrer du danger où il était. Je retournai chez luiaprès vous avoir quittée, et il ne connut pas plus tôt en mevoyant, que je ne lui apportais pas une réponse favorable, que sonmal en redoubla. Depuis ce temps-là, madame, il est prêt à perdrela vie, et je ne sais si vous pourriez la lui sauver quand vousauriez pitié de lui. »

« Voilà ce que je lui dis, ajouta lavieille. La crainte de votre mort l’ébranla et je vis son visagechanger de couleur : « Ce que vous me racontez, dit-elle,est-il bien vrai, et n’est-il effectivement malade que pour l’amourde moi ? – Ah ! madame, repartis-je, cela n’est que tropvéritable : plût à Dieu que cela fût faux ! – Hé !croyez-vous, reprit-elle, que l’espérance de me voir et de meparler pût contribuer à le tirer du péril où il est ? –Peut-être bien, lui dit-je, et si vous me l’ordonnez j’essaierai ceremède. – Hé bien ! répliqua-t-elle en soupirant, faites-luidonc espérer qu’il me verra, mais il ne faut pas qu’il s’attende, àd’autres faveurs à moins qu’il n’aspire à m’épouser et que mon pèrene consente à ce mariage. – Madame, m’écriai-je, vous avez bien dela bonté ! je vais trouver ce jeune seigneur et lui annoncerqu’il aura le plaisir de vous entretenir. – Je ne vois pas un tempsplus commode à lui faire cette grâce, dit-elle, que vendrediprochain, pendant que l’on fera la prière de midi. Qu’il observequand mon père sera sorti pour y aller et qu’il vienne aussitôt seprésenter devant la maison, s’il se porte assez bien pour cela. Jele verrai arriver par ma fenêtre et je descendrai pour lui ouvrir.Nous nous entretiendrons durant le temps de la prière, et il seretirera avant le retour de mon père. »

« Nous sommes au mardi, continua lavieille, vous pouvez jusqu’à vendredi reprendre vos forces et vousdisposer à cette entrevue. » À mesure que la bonne dameparlait, je sentais diminuer mon mal, ou plutôt je me trouvai guérià la fin de son discours. « Prenez, lui dis-je, en lui donnantma bourse qui était toute pleine ; c’est à vous seule que jedois ma guérison ; je tiens cet argent mieux employé que celuique j’ai donné aux médecins, qui n’ont fait que me tourmenterpendant ma maladie. »

« La dame m’ayant quitté, je me sentisassez de force pour me lever. Mes parents, ravis de me voir en sibon état, me firent des compliments et se retirèrent chez eux.

« Le vendredi matin, la vieille arrivadans le temps que je commençais à m’habiller et que je choisissaisl’habit le plus propre de ma garde-robe. « Je ne vous demandepas, me dit-elle, comment vous vous portez ; l’occupation oùje vous vois me fait assez connaître ce que je dois penserlà-dessus : mais ne vous baignerez-vous pas avant que d’allerchez le premier cadi ? – Cela consumerait trop de temps, luirépondis-je ; je me contenterai de faire venir un barbier etde me faire raser la tête et la barbe. » Aussitôt j’ordonnai àun de mes esclaves d’en chercher un qui fût habile dans saprofession et fort expéditif.

« L’esclave m’amena ce malheureux barbierque vous voyez, qui me dit après m’avoir salué :« Seigneur, il paraît à votre visage que vous ne vous portezpas bien. » Je lui répondis que je sortais d’une maladie.« Je souhaite, reprit-il, que Dieu vous délivre de toutessortes de maux et que sa grâce vous accompagne toujours. –J’espère, lui répliquai-je, qu’il exaucera ce souhait, dont je voussuis fort obligé. – Puisque vous sortez d’une maladie, dit-il, jeprie Dieu qu’il vous conserve la santé ; dites-moiprésentement de quoi il s’agit : j’ai apporté mes rasoirs etmes lancettes, souhaitez-vous que je vous rase ou que je vous tiredu sang ? – Je viens de vous dire, repris-je, que je sors demaladie, et vous devez bien juger que je ne vous ai fait venir quepour me raser ; dépêchez-vous et ne perdons pas le temps àdiscourir, car je suis pressé, et l’on m’attend à midiprécisément. »

Scheherazade se tut en achevant ces paroles, àcause du jour qui paraissait. Le lendemain, elle reprit sondiscours de cette sorte :

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