Les Mille et une nuits

CXL NUIT.

« Je crus, dit le jeune boiteux deBagdad, que je réussirais mieux en prenant le barbier par ladouceur. « Au nom de Dieu, lui dis-je, laissez là tous vosbeaux discours, et m’expédiez promptement ; une affaire de ladernière importance m’appelle hors de chez moi, comme je vous l’aidéjà dit. » À ces mots il se mit à rire : « Ceserait une chose bien louable, dit-il, si notre esprit demeuraittoujours dans la même situation, si nous étions toujours sages etprudents : je veux croire néanmoins que si vous vous êtes misen colère contre moi, c’est votre maladie qui a causé ce changementdans votre humeur : c’est pourquoi vous avez besoin dequelques instructions, et vous ne pouvez mieux faire que de suivrel’exemple de votre père et de votre aïeul. Ils venaient meconsulter dans toutes leurs affaires, et je puis dire sans vanitéqu’ils se louaient fort de mes conseils. Voyez-vous, seigneur, onne réussit presque jamais dans ce qu’on entreprend si l’on n’arecours aux avis des personnes éclairées : on ne devient pointhabile homme, dit le proverbe, qu’on ne prenne conseil d’un habilehomme ; je vous suis tout acquis, et vous n’avez qu’à mecommander. »

– « Je ne puis donc gagner sur vous,interrompis-je, que vous abandonniez tous ces longs discours, quin’aboutissent à rien qu’à me rompre la tête et qu’à m’empêcher deme trouver où j’ai affaire ? Rasez-moi donc, ouretirez-vous. » En disant cela, je me levai de dépit enfrappant du pied contre terre.

« Quand il vit que j’étais fâché tout debon : « Seigneur, me dit-il, ne vous fâchez pas, nousallons commencer. » Effectivement, il me lava la tête et semit à me raser ; mais il ne m’eut pas donné quatre coups derasoir, qu’il s’arrêta pour me dire : « Seigneur, vousêtes prompt ; vous devriez vous abstenir de ces emportementsqui ne viennent que du démon. Je mérite d’ailleurs que vous ayez dela considération pour moi à cause de mon âge, de ma science et demes vertus éclatantes. »

– Continuez de me raser, lui dis-je enl’interrompant encore, et ne parlez plus. – C’est-à-dire,reprit-il, que vous avez quelque affaire qui vous presse ; jevais parier que je ne me trompe pas. – Et il y a deux heures, luirepartis-je, que je vous le dis. Vous devriez déjà m’avoir rasé. –Modérez votre ardeur, répliqua-t-il ; vous n’avez peut-êtrepas bien pensé à ce que vous allez faire : quand on fait leschoses avec précipitation, on s’en repent presque toujours. Jevoudrais que vous me dissiez quelle est cette affaire qui vouspresse si fort, je vous en dirais mon sentiment : vous avez dutemps de reste, puisque l’on ne vous attend qu’à midi et qu’il nesera midi que dans trois heures. – Je ne m’arrête point à cela, luidis-je ; les gens d’honneur et de parole préviennent le tempsqu’on leur a donné. Mais je ne m’aperçois pas qu’en m’amusant àraisonner avec vous je tombe dans les défauts des barbiersbabillards ; achevez vite de me raser. »

« Plus je témoignais d’empressement, etmoins il en avait à m’obéir. Il quitta son rasoir pour prendre sonastrolabe, puis, laissant son astrolabe, il reprit sonrasoir. ».

Scheherazade voyant paraître le jour, garda lesilence. La nuit suivante, elle poursuivit ainsi l’histoirecommencée :

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