Les Mille et une nuits

CXLIX NUIT.

« La vieille, dit le barbier, continua deparler à Bakbarah : « Il ne vous reste plus,ajouta-t-elle, qu’une seule chose à faire, et ce n’est qu’unebagatelle. Vous saurez que ma maîtresse a coutume, lorsqu’elle a unpeu bu comme aujourd’hui, de ne se pas laisser approcher par ceuxqu’elle aime qu’ils ne soient nus en chemise. Quand ils sont en cetétat, elle prend un peu d’avantage, et se met à courir devant euxpar la galerie, et de chambre en chambre, jusqu’à ce qu’ils l’aientattrapée. C’est encore une de ses bizarreries. Quelque avantagequ’elle puisse prendre, léger et dispos comme vous êtes, vous aurezbientôt mis la main sur elle. Mettez-vous vite en chemise,déshabillez-vous sans faire de façons. »

« Mon bon frère en avait trop fait pourreculer. Il se déshabilla, et cependant la jeune dame se fit ôtersa robe et demeura en jupon pour courir plus légèrement. Lorsqu’ilsfurent tous deux en état de commencer la course, la jeune dame pritun avantage d’environ vingt pas, et se mit à courir d’une vitessesurprenante. Mon frère la suivit de toute sa force, non sansexciter les rires de toutes les esclaves, qui frappaient des mains.La jeune dame, au lieu de perdre quelque chose de l’avantagequ’elle avait pris d’abord, en gagnait encore sur mon frère :elle lui fit faire deux ou trois tours de galerie, et puis enfilaune longue allée obscure, où elle se sauva par un détour qui luiétait connu. Bakbarah, qui la suivait toujours, l’ayant perdue devue dans l’allée, fut obligé de courir moins vite à cause lel’obscurité. Il aperçut enfin une lumière, vers laquelle ayantrepris sa course, il sortit par une porte qui fut fermée sur luiaussitôt. Imaginez-vous s’il eut lieu d’être surpris de se trouverau milieu d’une rue de corroyeurs[54]. Ils nele furent pas moins de le voir en chemise, les yeux peints derouge, sans barbe et sans moustache. Ils commencèrent à frapper desmains, à le huer, et quelques-uns coururent après lui et luicinglèrent les fesses avec des peaux. Ils l’arrêtèrent même, lemirent sur un âne qu’ils rencontrèrent par hasard, et lepromenèrent par la ville, exposé à la risée de toute lapopulace.

« Pour comble de malheur, en passantdevant la maison du juge de police, ce magistrat voulut savoir lacause de ce tumulte. Les corroyeurs lui dirent qu’ils avaient vusortir mon frère dans l’état où il était, par une porte del’appartement des femmes du grand vizir, qui donnait sur la rue.Là-dessus, le juge fit donner au malheureux Bakbarah cent coups debâton sur la plante des pieds, et le fit conduire hors de la ville,avec défense d’y rentrer jamais.

« Voilà, commandeur des croyants, dis-jeau calife Mostanser Billah, l’aventure de mon second frère que jevoulais raconter à votre majesté. Il ne savait pas que les dames denos seigneurs les plus puissants se divertissent quelquefois àjouer de semblables tours aux jeunes gens qui sont assez sots pourdonner dans de semblables pièges. »

Scheherazade fut obligée de s’arrêter en cetendroit, à cause du jour qu’elle vit paraître. La nuit suivanteelle reprit sa narration, et dit au sultan des Indes :

FIN du TOME PREMIER

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