Les Mille et une nuits

XXVII NUIT.

Dinarzade, à l’heure ordinaire, ne manqua pasd’appeler la sultane : Ma chère sœur, dit-elle, si vous nedormez pas, je vous prie de nous raconter quel fut le sort de lareine magicienne, comme vous me l’avez promis. Scheherazade tintaussitôt sa promesse et parla de cette sorte :

La magicienne, ayant fait l’aspersion, n’eutpas plus tôt prononcé quelques paroles sur les poissons et surl’étang, que la ville reparut à l’heure même. Les poissonsredevinrent hommes, femmes ou enfants, mahométans, chrétiens,persans ou juifs, gens libres ou esclaves : chacun reprit saforme naturelle. Les maisons et les boutiques furent bientôtremplies de leurs habitants, qui y trouvèrent toutes choses dans lamême situation et dans le même ordre où elles étaient avantl’enchantement. La suite nombreuse du sultan, qui se trouva campéedans la plus grande place, ne fut pas peu étonnée de se voir en uninstant au milieu d’une ville belle, vaste et bien peuplée.

Pour revenir à la magicienne, dès qu’elle eutfait ce changement merveilleux, elle se rendit en diligence auPalais des Larmes, pour en recueillir le fruit : « Moncher seigneur, s’écria-t-elle en entrant, je viens me réjouir avecvous du retour de votre santé ; j’ai fait tout ce que vousavez exigé de moi : levez-vous donc, et me donnez la main. –Approche, » lui dit le sultan en contrefaisant toujours le langagedes noirs. Elle s’approcha. « Ce n’est pas assez, reprit-il,approche-toi davantage. » Elle obéit. Alors il se leva, et lasaisit par le bras si brusquement, qu’elle n’eut pas le temps de sereconnaître ; et, d’un coup de sabre, il sépara son corps endeux parties, qui tombèrent l’une d’un côté, et l’autre de l’autre.Cela étant fait, il laissa le cadavre sur la place, et sortant duPalais des Larmes, il alla trouver le jeune prince des Îles Noires,qui l’attendait avec impatience : « Prince, lui dit-il enl’embrassant, réjouissez-vous, vous n’avez plus rien àcraindre : votre cruelle ennemie n’est plus. »

Le jeune prince remercia le sultan d’unemanière qui marquait que son cœur était pénétré de reconnaissance,et pour prix de lui avoir rendu un service si important, il luisouhaita une longue vie avec toutes sortes de prospérités :« Vous pouvez désormais, lui dit le sultan, demeurer paisibledans votre capitale, à moins que vous ne vouliez venir dans lamienne, qui en est si voisine ; je vous y recevrai avecplaisir, et vous n’y serez pas moins honoré et respecté que chezvous. – Puissant monarque à qui je suis si redevable, répondit leroi, vous croyez donc être fort près de votre capitale ? –Oui, répliqua le sultan, je le crois ; il n’y a pas plus dequatre ou cinq heures de chemin. – Il y a une année entière devoyage, reprit le jeune prince. Je veux bien croire que vous êtesvenu ici de votre capitale dans le peu de temps que vous dites,parce que la mienne était enchantée ; mais depuis qu’elle nel’est plus, les choses ont bien changé. Cela ne m’empêchera pas devous suivre, quand ce serait pour aller aux extrémités de la terre.Vous êtes mon libérateur, et, pour vous donner toute ma vie desmarques de ma reconnaissance, je prétends vous accompagner, etj’abandonne sans regret mon royaume. »

Le sultan fut extraordinairement surprisd’apprendre qu’il était si loin de ses états, et il ne comprenaitpas comment cela se pouvait faire. Mais le jeune roi des ÎlesNoires le convainquit si bien de cette possibilité, qu’il n’endouta plus : « Il n’importe, reprit alors le sultan, lapeine de m’en retourner dans mes états est suffisamment récompenséepar la satisfaction de vous avoir obligé et d’avoir acquis un filsen votre personne : car, puisque vous voulez bien me fairel’honneur de m’accompagner, et que je n’ai point d’enfant, je vousregarde comme tel, et je vous fais dès à présent mon héritier etmon successeur. »

L’entretien du sultan et du roi des ÎlesNoires se termina par les plus tendres embrassements. Après quoi,le jeune prince ne songea qu’aux préparatifs de son voyage. Ilsfurent achevés en trois semaines, au grand regret de toute sa couret de ses sujets, qui reçurent de sa main un de ses proches parentspour leur roi.

Enfin, le sultan et le jeune prince se mirenten Chemin avec cent chameaux chargés de richesses inestimables,tirées des trésors du jeune roi, qui se fit suivre par cinquantecavaliers bien faits, parfaitement bien montés et équipés. Leurvoyage fut heureux ; et lorsque le sultan, qui avait envoyédes courriers pour donner avis de son retardement et de l’aventurequi en était la cause, fut près de sa capitale, les principauxofficiers qu’il y avait laissés vinrent le recevoir, etl’assurèrent que sa longue absence n’avait apporté aucun changementdans son empire. Les habitants sortirent aussi en foule, lereçurent avec de grandes acclamations, et firent des réjouissancesqui durèrent plusieurs jours.

Le lendemain de son arrivée, le sultan fit àtous ses courtisans assemblés un détail fort ample des choses qui,contre son attente, avaient rendu son absence si longue. Il leurdéclara ensuite l’adoption qu’il avait faite du roi des quatre ÎlesNoires, qui avait bien voulu abandonner un grand royaume pourl’accompagner et vivre avec lui. Enfin, pour reconnaître lafidélité qu’ils lui avaient tous gardée, il leur fit des largessesproportionnées au rang que chacun tenait à sa cour.

Pour le pêcheur, comme il était la premièrecause de la délivrance du jeune prince, le sultan le combla debiens, et le rendit, lui et sa famille, très-heureux le reste deleurs jours.

Scheherazade finit là le conte du pêcheur etdu génie. Dinarzade lui marqua qu’elle y avait pris un plaisirinfini, et Schahriar lui ayant témoigné la même chose, elle leurdit qu’elle en savait un autre plus beau que celui-là, et que si lesultan le lui voulait permettre, elle le raconterait le lendemain,car le jour commençait à paraître. Schahriar, se souvenant du délaid’un mois qu’il avait accordé à la sultane, et curieux d’ailleursde savoir si ce nouveau conte serait aussi agréable qu’elle lepromettait, se leva dans le dessein de l’entendre la nuitsuivante.

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