Les Mille et une nuits

XLII NUIT.

Dinarzade ne manqua pas d’appeler la sultanede meilleure heure que le jour précédent. Ma chère sœur, luidit-elle, si vous ne dormez pas, reprenez, je vous prie, le contedu second calender. – J’y consens, répondit Scheherazade. En mêmetemps elle le continua dans ces termes :

« Me voilà donc, madame, dit le calender,seul, blessé, destitué de tout secours, dans un pays qui m’étaitinconnu. Je n’osai reprendre le grand chemin, de peur de retomberentre les mains de ces voleurs. Après avoir bandé ma plaie, quin’était pas dangereuse, je marchai le reste du jour et j’arrivai aupied d’une montagne, où j’aperçus à demi-côte l’ouverture d’unegrotte : j’y entrai et j’y passai la nuit peu tranquillement,après avoir mangé quelques fruits que j’avais cueillis en monchemin.

« Je continuai de marcher le lendemain etles jours suivants, sans trouver d’endroit où m’arrêter. Mais aubout d’un mois je découvris une grande ville très-peuplée et situéed’autant plus avantageusement qu’elle était arrosée, aux environs,de plusieurs rivières, et qu’il y régnait un printempsperpétuel.

« Les objets agréables qui seprésentèrent alors à mes yeux me causèrent de la joie, etsuspendirent pour quelques moments la tristesse mortelle où j’étaisde me voir en l’état où je me trouvais. J’avais le visage, lesmains et les pieds d’une couleur basanée, car le soleil me lesavait brûlés, et à force de marcher, ma chaussure s’était usée, etj’avais été réduit à marcher nu-pieds : outre cela, mes habitsétaient tout en lambeaux.

« J’entrai dans la ville pour prendrelangue et m’informer du lieu où j’étais ; je m’adressai à untailleur qui travaillait à sa boutique. À ma jeunesse et à mon airqui marquait autre chose que ce que je paraissais, il me fitasseoir près de lui. Il me demanda qui j’étais, d’où je venais etce qui m’avait amené. Je ne lui déguisai rien de tout ce quim’était arrivé, et je ne fis pas même difficulté de lui découvrirma condition.

« Le tailleur m’écouta avec attention,mais lorsque j’eus achevé de parler, au lieu de me donner de laconsolation, il augmenta mes chagrins. « Gardez-vous bien, medit-il, de faire confidence à personne de ce que vous venez dem’apprendre, car le prince qui règne en ces lieux est le plus grandennemi qu’ait le roi votre père, et il vous ferait sans doutequelque outrage, s’il était informé de votre arrivée en cetteville. Je ne doutai point de la sincérité du tailleur quand ilm’eut nommé le prince. Mais comme l’inimitié qui est entre mon pèreet lui n’a pas de rapport avec mes aventures, vous trouverez bon,madame, que je la passe sous silence.

« Je remerciai le tailleur de l’avisqu’il me donnait, et lui témoignai que je me remettais entièrementà ses bons conseils et que je n’oublierais jamais le plaisir qu’ilme ferait. Comme il jugea que je ne devais pas manquer d’appétit,il me fit apporter à manger et m’offrit même un logement chez lui,ce que j’acceptai.

« Quelques jours après mon arrivée,remarquant que j’étais assez remis de la fatigue du long et péniblevoyage que je venais de faire, et n’ignorant pas que la plupart desprinces de notre religion, par précaution contre les revers de lafortune, apprennent quelque art ou quelque métier, pour s’en serviren cas de besoin, il me demanda si j’en savais quelqu’un dont jepusse vivre sans être à charge à personne. Je lui répondis que jesavais l’un et l’autre droits, que j’étais grammairien, poète,etc., et surtout que j’écrivais parfaitement bien. « Avec toutce que vous venez de dire, répliqua-t-il, vous ne gagnerez pas dansce pays-ci de quoi vous avoir un morceau de pain : rien n’estici plus inutile que ces sortes de connaissances. Si vous voulezsuivre mon conseil, ajouta-t-il, vous prendrez un habit court, etcomme vous me paraissez robuste et d’une bonne constitution, vousirez dans la forêt prochaine faire du bois à brûler : vousviendrez l’exposer en vente à la place, et je vous assure que vousvous ferez un petit revenu dont vous vivrez indépendamment depersonne. Par ce moyen, vous vous mettrez en état d’attendre que leciel vous soit favorable et qu’il dissipe le nuage de mauvaisefortune qui traverse le bonheur de votre vie et vous oblige àcacher votre naissance. Je me charge de vous faire trouver unecorde et une cognée. »

« La crainte d’être reconnu et lanécessité de vivre me déterminèrent à prendre ce parti, malgré labassesse et la peine qui y étaient attachées.

« Dès le jour suivant, le tailleurm’acheta une cognée et une corde avec un habit court, et merecommandant à de pauvres habitants qui gagnaient leur vie de lamême manière, il les pria de me mener avec eux. Ils me conduisirentà la forêt, et dès le premier jour, j’en rapportai sur ma tête unegrosse charge de bois, que je vendis une demi-pièce de monnaie d’ordu pays, car, quoique la forêt ne fût pas éloignée, le bois nelaissait pas d’être cher en cette ville, à cause du peu de gens quise donnaient la peine d’en aller couper. En peu de temps je gagnaibeaucoup, et je rendis au tailleur l’argent qu’il avait avancé pourmoi.

« Il y avait plus d’une année que jevivais de cette sorte lorsqu’un jour, ayant pénétré dans la forêtplus avant que de coutume, j’arrivai dans un endroit fort agréable,où je me mis à couper du bois. En arrachant une racine d’arbre,j’aperçus un anneau de fer attaché à une trappe de mêmemétal ; j’ôtai aussitôt la terre qui la couvrait, je la levai,et je vis un escalier par où je descendis avec ma cognée.

« Quand je fus au bas de l’escalier, jeme trouvai dans un vaste palais, qui me causa une grande admirationpar la lumière qui l’éclairait, comme s’il eût été sur la terredans l’endroit le mieux exposé. Je m’avançai par une galeriesoutenue de colonnes de jaspe, avec des bases et des chapiteauxd’or massif ; mais voyant venir au-devant de moi une dame,elle me parut avoir un air si noble, si aisé, et une beauté siextraordinaire, que, détournant mes yeux de tout autre objet, jem’attachai uniquement à la regarder. »

Là, Scheherazade cessa de parler, parcequ’elle vit qu’il était jour. Ma chère sœur, dit alors Dinarzade,je vous avoue que je suis fort contente de ce que vous avez racontéaujourd’hui, et je m’imagine que ce qui vous reste à raconter n’estpas moins merveilleux. – Vous ne vous trompez pas, répondit lasultane, car la suite de l’histoire de ce second calender est plusdigne de l’attention du sultan mon seigneur que tout ce qu’il aentendu jusqu’à présent. – J’en doute, dit Schahriar en selevant ; mais nous verrons cela demain.

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