Les Mille et une nuits

XLIV NUIT.

Quelque temps avant le jour, Dinarzade s’étantréveillée, dit à la sultane : Ma sœur, si vous ne dormez pas,apprenez-nous, je vous en supplie, ce qui arriva dans le palaissouterrain après que le prince eut brisé le talisman. – Je vaisvous le dire, répondit Scheherazade. Et aussitôt reprenant sanarration, elle continua de parler ainsi sous la personne du secondcalender.

« Le talisman ne fut pas si tôt rompu quele palais s’ébranla, prêt à s’écrouler, avec un bruit effroyable etpareil à celui du tonnerre, accompagné d’éclairs redoublés et d’unegrande obscurité. Ce fracas épouvantable dissipa en un moment lesfumées du vin et me fit connaître, mais trop tard, la faute quej’avais faite. « Princesse, m’écriai-je, que signifiececi ? » Elle me répondit, tout effrayée et sans penser àson propre malheur : « Hélas ! c’est fait de vous sivous ne vous sauvez. »

« Je suivis son conseil, et mon épouvantefut si grande que j’oubliai ma cognée et mes pabouches[27]. J’avais à peine gagné l’escalier paroù j’étais descendu, que le palais enchanté s’entr’ouvrit et fit unpassage au génie. Il demanda en colère à la princesse :« Que vous est-il arrivé et pourquoi m’appelez-vous ? –Un mal de cœur, lui répondit la princesse, m’a obligée d’allerchercher la bouteille que vous voyez : j’en ai bu deux outrois coups ; par malheur, j’ai fait un faux pas et je suistombée sur le talisman, qui s’est brisé ; Il n’y a pas autrechose. »

« À cette réponse, le génie, furieux, luidit : « Vous êtes une impudente, une menteuse : lacognée et les pabouches que voilà, pourquoi se trouvent-ellesici ? – Je ne les ai jamais vues qu’en ce moment, reprit laprincesse. De l’impétuosité dont vous êtes venu, vous les avezpeut-être enlevées avec vous en passant par quelque endroit, etvous les avez apportées sans y prendre garde. »

« Le génie ne repartit que par desinjures et par des coups, dont j’entendis le bruit. Je n’eus pas lafermeté d’ouïr les pleurs et les cris pitoyables de la princessemaltraitée d’une manière si cruelle. J’avais déjà quitté l’habitqu’elle m’avait fait prendre, et repris le mien, que j’avais portésur l’escalier le jour précédent à la sortie du bain. Ainsij’achevai de monter, d’autant plus pénétré de douleur et decompassion que j’étais la cause d’un si grand malheur, et qu’ensacrifiant la plus belle princesse de la terre à la barbarie d’ungénie implacable, je m’étais rendu criminel et le plus ingrat detous les hommes.

« Il est vrai, disais-je, qu’elle estprisonnière depuis vingt-cinq ans ; mais, la liberté à part,elle n’avait rien à désirer pour être heureuse. Mon emportement metfin à son bonheur et la soumet à la cruauté d’un démon impitoyable.J’abaissai la trappe, la recouvris de terre et retournai à laville, avec une charge de bois, que j’accommodai sans savoir ce queje faisais, tant j’étais troublé et affligé.

« Le tailleur mon hôte marqua une grandejoie de me revoir. » Votre absence, me dit-il, m’a causébeaucoup d’inquiétude à cause du secret de votre naissance que vousm’avez confié. Je ne savais ce que je devais penser, et jecraignais que quelqu’un ne vous eût reconnu. Dieu soit loué devotre retour. Je le remerciai de son zèle et de sonaffection ; mais je ne lui communiquai rien de ce qui m’étaitarrivé, ni de la raison pourquoi je retournais sans cognée et sansbabouches. Je me retirai dans ma chambre, où je me reprochai millefois l’excès de mon imprudence. Rien, disais-je, n’aurait égalé lebonheur de la princesse et le mien si j’eusse pu me contenir et queje n’eusse pas brisé le talisman.

« Pendant que je m’abandonnais à cespensées affligeantes, le tailleur entra et me dit : « Unvieillard que je ne connais pas vient d’arriver avec votre cognéeet vos babouches, qu’il a trouvées en son chemin, à ce qu’il dit.Il a appris de vos camarades qui vont au bois avec vous que vousdemeuriez ici. Venez lui parler, il veut vous les rendre en mainpropre. »

« À ce discours je changeai de couleur ettout le corps me trembla. Le tailleur m’en demandait le sujet,lorsque le pavé de ma chambre s’entr’ouvrit. Le vieillard, quin’avait pas eu la patience d’attendre, parut et se présenta à nousavec la cognée et les babouches. C’était le génie ravisseur de labelle princesse de l’île d’Ébène, qui s’était ainsi déguisé, aprèsl’avoir traitée avec la dernière barbarie. « Je suis génie,nous dit-il, fils de la fille d’Eblis, prince des génies. N’est-cepas là ta cognée ? ajouta-t-il en s’adressant à moi. Nesont-ce pas là tes babouches ? »

Scheherazade, en cet endroit, aperçut le jouret cessa de parler. Le sultan trouvait l’histoire du secondcalender trop belle pour ne pas vouloir en entendre davantage.C’est pourquoi il se leva dans l’intention d’en apprendre la suitele lendemain.

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