Les Mille et une nuits

LXI NUIT.

L’officieuse Dinarzade s’étant réveillée assezlongtemps avant le jour, appela la sultane : Si vous ne dormezpas, ma sœur, lui dit-elle, songez qu’il est temps de raconter ausultan, notre seigneur, la suite de l’histoire que vous avezcommencée. Scheherazade alors s’adressant à Schahriar, luidit : Sire, votre majesté saura que le calender poursuivitainsi son histoire :

« Madame, dit-il, le discours de cesbelles princesses me causa une véritable douleur. Je ne manquai pasde leur témoigner que leur absence me causerait beaucoup de peine,et je les remerciai des bons avis qu’elles me donnaient. Je lesassurai que j’en profiterais et que je ferais des choses encoreplus difficiles pour me procurer le bonheur de passer le reste demes jours avec des dames d’un si rare mérite. Nos adieux furent desplus tendres ; je les embrassai toutes l’une aprèsl’autre ; elles partirent ensuite, et je restai seul dans lechâteau.

« L’agrément de la compagnie, la bonnechère, les concerts, les plaisirs m’avaient tellement occupé durantl’année, que je n’avais pas eu le temps ni la moindre envie de voirles merveilles qui pouvaient être dans ce palais enchanté. Jen’avais pas même fait attention à mille objets admirables quej’avais tous les jours devant les yeux, tant j’avais été charmé dela beauté des dames et du plaisir de les voir uniquement occupéesdu soin de me plaire. Je fus sensiblement affligé de leur départ,et, quoique leur absence ne dût être que de quarante jours, il meparut que j’allais passer un siècle sans elles.

« Je me promettais bien de ne pas oublierl’avis important qu’elles m’avaient donné de ne pas ouvrir la ported’or ; mais comme, à cela près, il m’était permis desatisfaire ma curiosité, je pris la première des clefs des autresportes, qui étaient rangées par ordre.

« J’ouvris la première porte et j’entraidans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’yen a point qui lui soit comparable. Je ne pense pas même que celuique notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser.La symétrie, la propreté, la disposition admirable des arbres,l’abondance et la diversité des fruits de mille espèces inconnues,leur fraîcheur, leur beauté, tout ravissait ma vue. Je ne dois pasnégliger, madame, de vous faire remarquer que ce jardin délicieuxétait arrosé d’une manière fort singulière : des rigoles,creusées avec art et proportion, portaient de l’eau abondamment àla racine des arbres qui en avaient besoin pour pousser leurspremières feuilles et leurs fleurs ; d’autres en portaientmoins à ceux dont les fruits étaient déjà noués, d’autres encoremoins à ceux où ils grossissaient ; d’autres n’en portaientque ce qu’il en fallait précisément à ceux dont le fruit avaitacquis la grosseur convenable et n’attendait plus que samaturité ; mais cette grosseur surpassait de beaucoup celledes fruits ordinaires de nos jardins. Les autres rigoles, enfin,qui aboutissaient aux arbres dont le fruit était mûr, n’avaientd’humidité que ce qui était nécessaire pour le conserver dans lemême état sans le corrompre.

« Je ne pouvais me lasser d’examiner etd’admirer un si beau lieu, et je n’en serais jamais sorti si jen’eusse pas conçu dès lors une plus grande idée des autres chosesque je n’avais point vues. J’en sortis l’esprit rempli de cesmerveilles ; je fermai la porte, et ouvris celle quisuivait.

« Au lieu d’un jardin de fruits, j’entrouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans songenre : il renfermait un parterre spacieux, arrosé, non pasavec la même profusion que le précédent, mais avec un plus grandménagement, pour ne pas fournir plus d’eau que chaque fleur n’enavait besoin. La rose, le jasmin, la violette, le narcisse,l’hyacinthe, l’anémone, la tulipe, la renoncule, l’œillet, le lis,et une infinité d’autres fleurs, qui ne fleurissent ailleurs qu’endifférents temps, se trouvaient là fleuries toutes à la fois ;et rien n’était plus doux que l’air qu’on respirait dans cejardin.

« J’ouvris la troisième porte ; jetrouvai une volière très-vaste ; elle était pavée de marbre deplusieurs sortes de couleurs, du plus fin, du moins commun ;la cage était de sandal et de bois d’aloès ; elle renfermaitune infinité de rossignols, de chardonnerets, de serins,d’alouettes, et d’autres oiseaux encore plus harmonieux, dont jen’avais entendu parler de ma vie. Les vases où étaient leur grainet leur eau étaient de jaspe ou d’agate la plus précieuse.

« D’ailleurs, cette volière était d’unegrande propreté ; à voir sa capacité, je jugeai qu’il nefallait pas moins de cent personnes pour la tenir aussi nettequ’elle était. Personne, toutefois, n’y paraissait, non plus quedans les jardins où j’avais été, dans lesquels je n’avais pasremarqué une mauvaise herbe, ni la moindre superfluité qui m’eûtblessé la vue.

« Le soleil était déjà couché, et je meretirai charmé du ramage de cette multitude d’oiseaux, quicherchaient alors à se percher dans l’endroit le plus commode, pourjouir du repos de la nuit. Je me rendis à mon appartement, résolud’ouvrir les autres portes les jours suivants, à l’exception de lacentième.

« Le lendemain, je ne manquai pas d’allerouvrir la quatrième porte. Si ce que j’avais vu le jour précédentavait été capable de me causer de la surprise, ce que je vis alorsme ravit en extase. Je mis le pied dans une grande cour environnéed’un bâtiment d’une architecture merveilleuse dont je ne vous feraipoint la description, pour éviter la prolixité.

« Ce bâtiment avait quarante portestoutes ouvertes, dont chacune donnait entrée dans un trésor ;et de ces trésors, il y en avait plusieurs qui valaient mieux queles plus grands royaumes. Le premier contenait des monceaux deperles ; et, ce qui passe toute croyance, les plus précieuses,qui étaient grosses comme des œufs de pigeon, surpassaient ennombre les médiocres ; dans le second trésor, il y avait desdiamants, des escarboucles et des rubis ; dans le troisième,des émeraudes ; dans le quatrième, de l’or en lingots ;dans le cinquième, du monnayé ; dans le sixième, de l’argenten lingots ; dans les deux suivants, du monnayé. Les autrescontenaient des améthystes, des chrysolites, des topazes, desopales, des turquoises, des hyacinthes, et toutes les autrespierres fines que nous connaissons, sans parler de l’agate, dujaspe, de la cornaline et du corail, dont il y avait un magasinrempli, non-seulement de branches, mais même d’arbres entiers.

« Rempli de surprise et d’admiration, jem’écriai, après avoir vu toutes ces richesses : Non, quandtous les trésors de tous les rois de l’univers seraient assemblésen un même lieu, ils n’approcheraient pas de ceux-ci. Quel est monbonheur de posséder tous ces biens avec tant d’aimablesprincesses !

« Je ne m’arrêterai point, madame, à vousfaire le détail de toutes les autres choses rares et précieuses queje vis les jours suivants. Je vous dirai seulement qu’il ne mefallut pas moins de trente-neuf jours pour ouvrir lesquatre-vingt-dix-neuf portes et admirer tout ce qui s’offrit à mavue. Il ne restait plus que la centième porte, dont l’ouverturem’était défendue…… »

Le jour, qui vint éclairer l’appartement dusultan des Indes, imposa silence à Scheherazade en cet endroit.Mais cette histoire faisait trop de plaisir à Schahriar pour qu’iln’en voulût pas entendre la suite le lendemain. Ce prince se levadans cette résolution.

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