Les Mille et une nuits

HISTOIRE DES TROIS POMMES.

Sire, j’ai déjà eu l’honneur d’entretenirvotre majesté d’une sortie que le calife Haroun Alraschid fit, unenuit, de son palais. Il faut que je vous en raconte une autre. Unjour, ce prince avertit le grand vizir Giafar de se trouver aupalais la nuit prochaine : « Vizir, lui dit-il, je veuxfaire le tour de la ville et m’informer de ce qu’on y dit, etparticulièrement si l’on est content de mes officiers de justice.S’il y en a dont on ait raison de se plaindre, nous les déposeronspour en mettre d’autres à leurs places, qui s’acquitteront mieux deleur devoir. Si au contraire il y en a dont on se loue, nous auronspour eux les égards qu’ils méritent. » Le grand vizir s’étantrendu au palais à l’heure marquée, le calife, lui et Mesrour, chefdes eunuques, se déguisèrent pour n’être pas connus, et sortirenttous trois ensemble.

Ils passèrent par plusieurs places et parplusieurs marchés, et en entrant dans une petite rue, ils virent auclair de la lune un bon homme à barbe blanche, qui avait la taillehaute et qui portait des filets sur sa tête ; il avait au brasun panier pliant de feuilles de palmier et un bâton à la main.« À voir ce vieillard, dit le calife, il n’est pas riche.Abordons-le et lui demandons l’état de sa fortune. – Bon homme, luidit le vizir, qui es-tu ? – Seigneur, lui répondit levieillard, je suis pêcheur, mais le plus pauvre et le plusmisérable de ma profession. Je suis sorti de chez moi tantôt, surle midi, pour aller pêcher, et depuis ce temps-là jusqu’à présentje n’ai pas pris le moindre poisson. Cependant j’ai une femme et depetits enfants, et je n’ai pas de quoi les nourrir. »

Le calife, touché de compassion, dit aupêcheur : « Aurais-tu le courage de retourner sur tes paset de jeter tes filets encore une fois seulement ? Nous tedonnerons cent sequins de ce que tu amèneras. » Le pêcheur, àcette proposition, oubliant toute la peine de la journée, prit lecalife au mot et retourna vers le Tigre avec lui, Giafar etMesrour, en disant en lui-même : « Ces seigneursparaissent trop honnêtes et trop raisonnables pour ne pas merécompenser de ma peine, et quand ils ne me donneraient que lacentième partie de ce qu’ils me promettent, ce serait encorebeaucoup, pour moi. »

Ils arrivèrent au bord du Tigre ; lepêcheur y jeta ses filets, puis, les ayant tirés, il amena uncoffre bien fermé et fort pesant qui s’y trouva. Le calife lui fitcompter aussitôt cent sequins par le grand vizir et le renvoya.Mesrour chargea le coffre sur ses épaules par l’ordre de sonmaître, qui, dans l’empressement de savoir ce qu’il y avait dedans,retourna au palais en diligence. Là, le coffre ayant été ouvert, ony trouva un grand panier pliant de feuilles de palmier, fermé etcousu par l’ouverture avec un fil de laine rouge. Pour satisfairel’impatience du calife, on ne se donna pas la peine de découdre, oncoupa promptement le fil avec un couteau, et l’on tira du panier unpaquet enveloppé dans un méchant tapis et lié avec de la corde. Lacorde déliée et le paquet défait, on vit avec horreur le corpsd’une jeune dame plus blanc que de la neige et coupé parmorceaux.

Scheherazade, en cet endroit, remarquant qu’ilétait jour, cessa de parler. Le lendemain, elle reprit la parole decelle manière :

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