Les Mille et une nuits

LXXIV NUIT.

Sire, le grand vizir Giafar poursuivantl’histoire qu’il racontait au calife : « Deux ans après,dit-il, que Bedreddin Hassan eut été mis entre les mains de cemaître, qui lui enseigna parfaitement bien à lire, il appritl’Alcoran par cœur ; Noureddin Ali, son père, lui donnaensuite d’autres maîtres qui cultivèrent son esprit de telle sorte,qu’à l’âge de douze ans il n’avait plus besoin de leurs secours.Alors, comme tous les traits de son visage étaient formés, ilfaisait l’admiration de tous ceux qui le regardaient.

« Jusque là, Noureddin Ali n’avait songéqu’à le faire étudier, et ne l’avait point encore montré dans lemonde. Il le mena au palais pour lui procurer l’honneur de faire larévérence au sultan, qui le reçut très-favorablement. Les premiersqui le virent dans les rues furent si charmés de sa beauté qu’ilsen firent des exclamations de surprise et qu’ils lui donnèrentmille bénédictions.

« Comme son père se proposait de lerendre capable de remplir un jour sa place, il n’épargna rien pourcela, et il le fit entrer dans les affaires les plus difficiles,afin de l’y accoutumer de bonne heure. Enfin, il ne négligeaitaucune chose pour l’avancement d’un fils qui lui était si cher, etil commençait à jouir déjà du fruit de ses peines lorsqu’il futattaqué tout à coup d’une maladie dont la violence fut telle, qu’ilsentit fort bien qu’il n’était pas éloigné du dernier de ses jours.Aussi ne se flatta-t-il pas, et il se disposa d’abord à mourir envrai musulman. Dans ce moment précieux, il n’oublia pas son cherfils Bedreddin ; il le fit appeler et lui dit :« Mon fils, vous voyez que le monde est périssable ; iln’y a que celui où je vais bientôt passer qui soit véritablementdurable. Il faut que vous commenciez dès à présent à vous mettredans les mêmes dispositions que moi ; préparez-vous à faire cepassage sans regret et sans que votre conscience puisse rien vousreprocher sur les devoirs d’un musulman ni sur ceux d’un parfaithonnête homme. Pour votre religion, vous en êtes suffisammentinstruit et par ce que vous en ont appris vos maîtres et par voslectures. À l’égard de l’honnête homme, je vais vous donnerquelques instructions que vous tâcherez de mettre à profit. Commeil est nécessaire de se connaître soi-même et que vous ne pouvezbien avoir cette connaissance que vous ne sachiez qui je suis, jevais vous l’apprendre.

« J’ai pris naissance en Égypte,poursuivit-il ; mon père, votre aïeul, était premier ministredu sultan du royaume. J’ai moi-même eu l’honneur d’être un desvizirs de ce même sultan avec mon frère votre oncle, qui, je crois,vit encore, et qui se nomme Schemseddin Mohammed. Je fus obligé deme séparer de lui, et je vins en ce pays où je suis parvenu au rangque j’ai tenu jusqu’à présent. Mais vous apprendrez toutes ceschoses plus amplement dans un cahier que j’ai à vousdonner. »

« En même temps, Noureddin Ali tira cecahier qu’il avait écrit de sa propre main et qu’il portaittoujours sur soi, et le donnant à Bedreddin Hassan :« Prenez, lui dit-il, vous le lirez à votre loisir ; vousy trouverez entre autres choses, le jour de mon mariage et celui devotre naissance. Ce sont des circonstances dont vous aurezpeut-être besoin dans la suite, et qui doivent vous obliger à legarder avec soin. » Bedreddin Hassan, sensiblement affligé devoir son père dans l’état où il était, touché de ses discours,reçut le cahier, les larmes aux yeux, en lui promettant de ne s’endessaisir jamais.

« En ce moment, il prit à Noureddin Ali unefaiblesse qui fit croire qu’il allait expirer. Mais il revint àlui, et reprenant la parole : « Mon fils, dit-il, lapremière maxime que j’ai à vous enseigner, c’est de ne vous pasabandonner au commerce de toutes sortes de personnes. Le moyen devivre en sûreté, c’est de se donner entièrement à soi-même et de nese pas communiquer facilement.

« La seconde, de ne faire violence à quique ce soit, car en ce cas, tout le monde se révolterait contrevous, et vous devez regarder le monde comme un créancier à qui vousdevez de la modération, de la compassion et de la tolérance.

« La troisième, de ne dire mot quand onvous chargera d’injures : On est hors de danger, dit leproverbe, lorsque l’on garde le silence. C’est particulièrement encette occasion que vous devez le pratiquer. Vous savez aussi à cesujet qu’un de nos poètes a dit que le silence est l’ornement et lasauvegarde de la vie, qu’il ne faut pas, en parlant, ressembler àla pluie d’orage qui gâte tout. On ne s’est jamais repenti des’être tu, au lieu que l’on a souvent été fâché d’avoir parlé.

« La quatrième, de ne pas boire de vin,car c’est la source de tous les vices.

« La cinquième, de bien ménager vosbiens : si vous ne les dissipez pas, ils vous serviront à vouspréserver de la nécessité ; il ne faut pas pourtant en avoirtrop ni être avare : pour peu que vous en ayez et que vous ledépensiez à propos, vous aurez beaucoup d’amis ; mais si, aucontraire, vous avez de grandes richesses et que vous en fassiezmauvais usage, tout le monde s’éloignera de vous et vousabandonnera. »

« Enfin Noureddin Ali continua jusqu’audernier moment de sa vie à donner de bons conseils à sonfils ; et quand il fut mort on lui fit des obsèquesmagnifiques… » Scheherazade, à ces paroles, apercevant lejour, cessa de parler et remit au lendemain la suite de cettehistoire.

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