Les Mille et une nuits

LXXVI NUIT.

Sire, dit-elle, le calife écoutait avecbeaucoup d’attention le grand vizir Giafar, qui continua de cettemanière : « Le juif, poursuivit-il, qui se nommait Isaac,après avoir salué Bedreddin Hassan et lui avoir baisé la main, luidit : « Seigneur, oserais-je prendre la liberté de vousdemander où vous allez à l’heure qu’il est, seul en apparence, unpeu agité ? Y a-t-il quelque chose qui vous fasse de lapeine ? – Oui, répondit Bedreddin ; je me suis endormitantôt, et dans mon sommeil mon père s’est apparu à moi. Il avaitle regard terrible, comme s’il eût été dans une grande colèrecontre moi. Je me suis réveillé en sursaut et plein d’effroi, et jesuis parti aussitôt pour venir faire ma prière sur son tombeau. –Seigneur, reprit le juif, qui ne pouvait pas savoir pourquoiBedreddin Hassan était sorti de la ville, comme le feu grand vizirvotre père et mon seigneur d’heureuse mémoire avait chargé enmarchandises plusieurs vaisseaux qui sont encore en mer et qui vousappartiennent, je vous supplie de m’accorder la préférence sur toutautre marchand. Je suis en état d’acheter argent comptant la chargede tous vos vaisseaux ; et pour commencer, si vous voulez bienm’abandonner celle du premier qui arrivera à bon port, je vais vouscompter mille sequins. Je les ai ici dans une bourse, et je suisprêt à vous les livrer d’avance. » En disant cela il tira unegrande bourse qu’il avait sous son bras, par-dessous sa robe, et lalui montra cachetée de son cachet.

« Bedreddin Hassan, dans l’état où ilétait, chassé de chez lui et dépouillé de tout ce qu’il avait aumonde, regarda la proposition du juif comme une faveur du ciel. Ilne manqua pas de l’accepter avec beaucoup de joie. « Seigneur,lui dit alors le juif, vous me donnez donc pour mille sequin lechargement du premier de vos vaisseaux qui arrivera dans ce port. –Oui, je vous le vends mille sequins, répondit Bedreddin Hassan, etc’est une chose faite. » Le juif, aussitôt, lui mit entre lesmains la bourse de mille sequins, en s’offrant de les compter. MaisBedreddin lui en épargna la peine en lui disant qu’il s’en fiaitbien à lui. « Puisque cela est ainsi, reprit le juif, ayez labonté, seigneur, de me donner un mot d’écrit du marché que nousvenons de faire. » En disant cela, il tira son écritoire qu’ilavait à la ceinture, et après en avoir pris une petite canne bientaillée pour écrire, il la lui présenta avec un morceau de papierqu’il trouva dans son porte-lettres, et pendant qu’il tenait lecornet, Bedreddin Hassan écrivit ces mots :

« Cet écrit est pour rendretémoignage que Bedreddin Hassan de Balsora a vendu au juif Isaac,pour la somme de mille sequins qu’il a reçus, le chargement dupremier de ses navires qui abordera dans ce port.

« BEDREDDIN HASSAN DEBALSORA. »

« Après avoir fait cet écrit, il le donnaau juif, qui le mit dans son porte-lettres, et qui prit ensuitecongé de lui. Pendant qu’Isaac poursuivait son chemin vers laville, Bedreddin Hassan continua le sien vers le tombeau de sonpère Noureddin Ali. En y arrivant, il se prosterna la face contreterre, et, les yeux baignés de larmes, il se mit à déplorer samisère. « Hélas ! disait-il, infortuné Bedreddin, quevas-tu devenir ? Où iras-tu chercher un asile contre l’injusteprince qui te persécute ? N’était-ce pas assez d’être affligéde la mort d’un père si chéri ? Fallait-il que la fortuneajoutât un nouveau malheur à mes justes regrets ? » Ildemeura longtemps dans cet état ; mais enfin il se releva, etayant appuyé sa tête sur le sépulcre de son père, ses douleurs serenouvelèrent avec plus de violence qu’auparavant, et il ne cessade soupirer et de se plaindre jusqu’à ce que, succombant ausommeil, il leva la tête de dessus le sépulcre et s’étendit tout deson long sur le pavé, où il s’endormit.

« Il goûtait à peine la douceur du repos,lorsqu’un génie qui avait établi sa retraite dans ce cimetièrependant le jour, se disposant à courir le monde cette nuit, selonsa coutume, aperçut ce jeune homme dans le tombeau de NoureddinAli. Il y entra ; et comme Bedreddin était couché sur le dos,il fut frappé, ébloui de l’éclat de sa beauté… » Le jour quiparaissait ne permit pas à Scheherazade de poursuivre cettehistoire cette nuit : mais le lendemain, à l’heure ordinaire,elle la continua de cette sorte :

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