Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

d’ Eugène Nyon

AVANT-PROPOS

Une affiche placardée sur tous les murs de la Capitale annonçait, il y a quelque temps, que l’ouverture de la chasse aurait lieu le 25 août.

– Ah ! ah ! me dis-je, en me frottant les mains, bravo !

J’ai toujours été grand amateur de chasse.Malheureusement, je dois vous avouer ici que je suis loin d’y être aussi adroit que Nemrod, ce fameux chasseur devant le Seigneur ; car il m’est arrivé souvent, et il m’arrive encore, après une longue journée de promenade au milieu des luzernes et des regains, de revenir au logis sans la moindre petite alouette. Je ne suis pas, comme vous le voyez, de ceux à qui elles tombent toutes rôties dans le bec ; aussi, pour dissimuler ma honte, me suis-je vu forcé souvent de commettre un larcin que je confesse en toute humilité. Je passais ma fureur sur d’infortunées betteraves fort inoffensives, et, entassant mes victimes dans les profondeurs de mon carnier, je pouvais alors rentrer à Paris sans me voir exposé aux mille quolibets des passants, réduits au silence par l’aspect formidable de mon sac à gibier.

Néanmoins la vue de la bienheureuse affiche me fit tressaillir de joie ; et le 25 août ; plein d’une noble ardeur et fort galamment équipé, je me mis en route le fusilsur l’épaule. Vous dire que ce jour-là je ne fus pas heureux, ceserait mentir, et je m’en garderai bien, car c’est un fort vilainpéché ; seulement la chasse que je fis est d’une nature toutedifférente de celle que vous supposez. Vous allez en juger.

Il était environ midi, et je marchais àtravers champs depuis le matin, effrayant de mes coups de fusil lesperdrix et les cailles qui se sauvaient en me narguant, quand jefis la rencontre d’un jeune homme de fort bonne mine. Il pouvaitavoir environ dix-huit ans ; et, à son accoutrement de chassedes plus élégants, il était aisé de voir que la fortune prodiguaitses faveurs à ce jeune homme. Telles étaient au moins lesréflexions que je faisais à part moi, au moment où il m’aborda.

– Chut !… me dit-il, silence !…ne bougez pas !

En effet, son chien venait de tomber en arrêt.Par une manœuvre adroite, le jeune homme, tournant l’animal, seplaça de manière que la pièce de gibier partît devant lui.

« Pille ! Médor, pillelà ! » fit-il ; et une compagnie de perdrix s’envolaavec bruit. Ses deux coups portèrent, et Médor ne tarda pas à luirapporter deux superbes perdrix rouges qu’il mit avec beaucoup desang-froid dans son carnier. Je l’avais regardé faire, sans songerque j’avais un fusil entre les mains.

– Ah çà, à quoi diable pensez-vous donc,Monsieur ? me dit-il. Comment, mon chien fait partir unecompagnie entière, au moins douze pièces ; vous savez que jen’ai que deux coups, et vous ne tirez pas ?

– Ma foi ! lui répondis-je,j’admirais votre adresse, et j’avais assez à faire.

Il se mit à rire tout en rechargeant sonfusil, et je le vis tirer de son carnier un énorme cahier depapier, auquel il allait arracher de quoi faire des bourres.

– Peste ! m’écriai-je, vous nemanquerez pas de bourres aujourd’hui !

– Ni demain… ni après-demain, répondit-ilen riant toujours ; j’en ai au moins pour un mois… C’est uneexécution que je fais, Monsieur ; ce cahier contient bien dessouvenirs de mon enfance, et comme ces souvenirs n’ont rien deflatteur pour moi, je veux les anéantir.

– Vous avez eu une enfanceorageuse ? lui demandai-je en me rapprochant.

– Ah ! ah ! reprit-il en meregardant finement, je vous crois plus habile questionneur quechasseur adroit ; votre question frise la curiosité,savez-vous ?

– Eh ! pourquoi ne l’avouerais-jepas ?… Oui, ma curiosité est vivement excitée ; vous avezlà un cahier qui contient les impressions de votre enfance…

– Dites les tribulations, interrompit-il.Tenez, Monsieur, lisez le titre…

Il me passa le cahier, et je lus sur lapremière page, tracés en gros caractères, ces deux mots :Mes Escapades.

– La première, continua-t-il, a entraînétoutes les autres. Et c’est là l’histoire de tous ceux qui font unpas en dehors de ce qui est bien ; une faute les conduit à unefaute plus grande. C’est un enchaînement inévitable ; et, sice cahier était publié, Monsieur, ce serait une leçon pour lajeunesse.

– Eh bien ! pourquoi ne le serait-ilpas, m’écriai-je avidement.

– Non, jamais !… Ne m’en parlez pas,dit-il avec assez d’agitation. On y verrait des choses que je tiensà cacher ; et ce qui amuserait les autres, ce qui les feraitrire, me ferait mourir de honte. Croiriez-vous, Monsieur, que j’aiservi dans une troupe de baladins… que j’ai étépaillasse ?

– Eh bien ? lui fis-je d’un tonencourageant, qu’importe, si par votre conduite vous avez reconquisune position honorable… si…

– Ici, Monsieur, je vous arrête… Ce n’estpas ma conduite, c’est la Providence qui m’a fait ce que je suisaujourd’hui… Oui, Monsieur, la Providence, qui sans doute eut pitiéde mon repentir et de mes longues tribulations… Il y a dans ma viedu Gil Blas et du Figaro. J’ai déjà fait presquetous les métiers ; j’ai passé de misères en misères, et celaavec des circonstances si comiques, que je me prends quelquefois àen rire tout seul de souvenir. Mais j’en rirais de bien meilleurcœur, si c’était le hasard qui m’eût jeté dans ces positions et nonma faute. Au reste, Monsieur, continua-t-il, vous paraisseztellement curieux de parcourir les pages de ce cahier, si j’en jugeà la manière dont vous y portez les yeux, que je me ferais unreproche de vous priver de ce plaisir. Voici là-bas une touffed’arbres ; allez vous asseoir à l’ombre, et lisez. Moi, jevais continuer ma chasse, si vous voulez bien me donnerquelques-unes de ces bourres dont vous vous êtes fait uncollier ; et je reviendrai vous trouver dans deux heures… Aurevoir, Monsieur.

– Bonne chasse !

– Bonne lecture !

Mon jeune homme fut exact. Au bout de deuxheures il était revenu avec deux lièvres et une demi-douzaine decailles.

– Eh bien ? me dit-il.

– Eh bien ! Monsieur, m’écriai-je,je ne vous quitte plus que vous ne m’ayez permis de publier vosEscapades.

– Y pensez-vous ?

– Si bien, que je vais vous décider d’unmot. Si vous avez à vous reprocher quelques peccadilles, lapublication de ce cahier sera une expiation. Hein ? que ditesvous de cela ?

– Je dis… je dis que votre insistance neme permet pas de refuser… Et puis, peut-être avez-vous raison…Allons ! tenez, je me décide à vous donner MesEscapades ; faites-en ce qu’il vous plaira, et si vousvoulez me débarrasser de ce lièvre et de ces deux perdrix, j’iraidemain matin juger du mérite de votre cuisinière.

– Accepté ! m’écriai-je en serrantvivement le manuscrit, après avoir fourré dans mon carnier lelièvre, dont j’eus bien soin de laisser passer les pattes.

Cette fois, je rentrai à Paris d’un pas ferme,le jarret tendu, regardant fièrement les passants, comme le geaiparé des plumes du paon, et tout joyeux de la chasse manuscrite quej’avais faite. À peine arrivé chez moi, je me hâtai de me mettre àmon bureau, afin de vous composer, chers lecteurs, avec ma chasse,un plat de mon métier.

Il ne me reste plus qu’à faire des vœux pourque vous le trouviez à votre goût ; car le succès de son livreest pour l’auteur mille fois plus agréable que ne le sont pour lemélomane les plus doux accords du plus harmonieux piano.

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