Les tromperies des charlatans descouvertes

Les tromperies des charlatans descouvertes

de Thomas Sonnet de Courval

 

Il n’y a rien qui entretienne & conserve tant les Empires,Monarchies, & Republiques em leur splendeur : rien qui leur cause une plus longue durée, ny qui leur donne un plus solide& asseuré fondement, que l’ordre & police establie enicelles, par les Superieurs & Magistrats. Cela se remarque évidemment en la fabrique & composition de ceste grande &admirable Republique de l’Univers, laquelle combien qu’elle soit bastie & façonnée de tant de differentes & diverses parties, tant de parties heterogenées, tant de qualitez directement repugnantes ; si est-ce neantmoins que de ses discords,naissent & resultent de si beaux accords, de ses inegalitez tant d’egalité, de ses diapentes, sistemes & diapassons une si douce & agreable harmonie, de ses antipathies une telle liaison& sympathie ; qu’il semble en un mot que ce soit qu’un mesme rapport, & n’y a rien qui tant entretienne cet accord qu’une belle police, laquelle prevoit aux desordres, & corrigeles abus qui luy glissent ; Que si elle fut oncques necessaire, c’est singulierement à l’endroit des Charlatans, qui pipent le simple peuple.

Vous verrez quelquefois un effronté & escervelé Charlatan,lequel pourveu qu’il sache bien cajoller, & demesurément apprecier & vanter ses drogues, voudra effrontément accuser d’erreur & d’ignorance devant une sotte populace, un brave,docte, & galant homme tres-expert en son art, & ne voudra permettre le susdit Charlatan, d’estre repris & censuré d’aucun, encor qu’il faille & erre grandement en l’art dont il se mesle avec beaucoup de presomption & d’effronterie.Tellement qu’à ce compte, les actions loüables & vituperables sont mesurées par l’ignorant populaire, à mesme aulne, & pezées à mesme balance sans aucune distinction, de sorte que la vertu cede le plus souvent au vice, la doctrine à l’ignorance, l’experience à l’incapacité.

Ce qu’estant bien consideré, & remarqué par les plus prudens Magistrats des Republiques bien reglees & policees, ils se sont advisez pour retrancher telles illegitimes usurpations, d’establir& ordonner une maitrise, licence, ou degré en chaque art ;tant mechanique que liberal, dessendant expressément qu’aucun ne fust si ozé, de professer ou exercer publiquement un art, sandestre passé maistre, & avoir obtenu quelque credit, licence, ou maistrise, avoir eu au prealable fait son apprentissage, ou chef-d’œuvre chez les meilleurs & plus experimentez ouvriers del’art & science dont il se mesle : Or comme c’estoit un regle & ordonnance sainctement instituée, & religieusement observée en plusieurs estats, tant Liberaux que mechaniques,beaucoup plus estroitement le devroit-elle estre principalement enl’art & science de Medecine, où nous la voyons aujourd’huytotalement negligée & aneantie, encor qu’elle deust estre observée & gardée avec plus de rigueur en cet art, qu’en tous les autres qui sont au monde ; d’autant qu’il y va de la vie d’un chacun à joindre que les fautes qui s’y commettent sontirreparables, & les pertes qui en proviennent sansressource.

 

Car si aux autres arts, lemoindre erreur commis,

Ne doit estre d’aucun tolleré nypermis,

Beaucoup moins le doit-il, enl’art de Medecine,

Dont la plus moindre fauteapporte une ruine,

Qu’onne peut nullement remettreou reparer,

Et faire que la vie on puisserestaurer.

 

Et de fait, tout ainsi que la legitime & fidelleadministration de la pratticque de Medecine, conserve la santé,& prolonge la vie : de mesme l’illegitime & fausseadministration d’icelle, pleine de Charlatanerie, d’ignorance, debabil, & d’impudence, cause une si rande & pernicieuseruine au corps humain, qu’elle ne peut en façon quelconque estreréparée. Car comme remonstre doctement Gallien. La matiere & lesujet de la Medecine, n’est ny le bois, la brique, la terre, lespierres, dont se servent les Architectes, massons, & autresartisans mechaniques, sur lesquels sujets & matieres s’ilscommettent d’aventure par ignorance ou autrement quelque insignefaute, dont s’en ensuit perte ou dommage desdites matieres, c’estchose qu’ils peuvent reparer facilement en cherchant à leursdespens d’autre bois, pierre, tuille, & chosessemblables : mais en l’art de Medecine, lequel comme j’aidesja dit, n’a pour object que le corps humain, la plus legere& moindre faute commise par le Pseudomedecin & Charlatanignorant, precipite l’homme en un extreme danger, & biensouvent luy fait perdre la vie.

Or pour descouvrir clairement & mettre en plain jour, l’ame& le cœur de tels abuseurs & imposteurs, & sonder lesressorts & mouvemens occultes de leurs tromperies. Il m’asemblé bon de les distinguer en trois sectes, sur lesquelles jelascheray un foudre à trois pointes pour les terrasser &foudroyer. Sous l’estandart ou enseigne de la premiere secte, jerangeray les Theriacleurs, Charlatans, Coureurs, Estalonsd’assemblées qui vagabondent de ville en ville, de bourgade enbourgade, par les marchez plus signalez, & foires pluscelebres. Soubs la seconde les Alchimistes & Spagyriques,extracteurs de Quinctessences, distilateurs, fondeurs d’or potable,Maistres de l’Elixir ou grand œuvre. Sous la troisiesme lesIatromages ou Medecins Magiciens ; qui usent de billets,charmes, parolles, caracteres, incantations & chimagréessuperstitions à la cure des maladies. Toutes lesquelles sectesjoinctes ensemble marchent à la campagne, soubs la Cornettegeneralle des Empyriques, ce que facilement croyent non seulementceux qui ne sont versez en l’art & science de Medecine, commele populaire ignorant, ains aussi plusieurs des plus accords &advisez, lesquels par curiosité ou nouveauté adjoustent foy à laCharlatanerie & tromperie de tels imposteurs, advoüent &fomentent leur impietez : de sorte qu’il leur est permis parlicence ou faux donner à entendre au Prince & à la Justice,d’abuser & decevoir le peuple, & en prendre tel pied &accroissement, qu’ils seront en fin cause de la ruine universelle,non seulement de l’art & science de Medecine, mais de toute laRepublique : si ceux qui tiennet les resnes & legouvernail de la Justice, n’y mettent en bref quelque police &reglement. Car telles gents adulterent par leurs subtiles poisons& mixtions, non seulement les metaux, mais aussi ils gâtent& alterent avec iceux les corps humains. C’est pourquoy ilssont plus à reprendre & à punir que cruels homicides &assassinateurs, & seroit bien necessaire de banir & exillerà perpetuité telle canaille d’imposteurs de la patrie, comme gensque l’on doit fuir & detester, ainsi que serpenstres-dangeureux & pestilentieux.

Car l’un pour confirmer son Theriacage, affichera par lescarrefours & lieux publics des villes & bourgades, & aufrontispice de son theatre de tres-amples lettres patentes,remplies & farcies de mensonges, de vantances & depromesses ampoulées à l’Espagnole, lesquelles lettres il auraobtenües des Roys, Princes, & Magistrats, sur les Terres,Royaume, ou Domaine desquels il aura exercé pour quelque temps sabourrelle Empyrie, pour luy servir de tesmoisgnages des curesadmirables, & belles experiences qu’il aura faictes sur lesTerres & pays de leur obeyssance, lesquelles lettres dis-jeauront esté comme est l’ordinaire, supposees, ou subtillementcrochetées à la faveur de quelques uns de leurs amis, qui pour lorssera son quartier en Cour, à la suite desdits Roys & Princescomme leurs domestiques & confidens.

Se sont veuz plusieurs Charlatans en Avignin, lesquels pourfaire l’experience de leurs unguens & baumes miraculeux, sepersoient les bras & autres membres de leurs corps, avec despoignards, dissimulans courageusement la douleur, asseurans aupeuple l’entiere et parfaicte guarison des playes qu’eux mesmess’estoient faictes, dans vingtquatre heures, par la seuleapplication & singulieres vertus de leurs unguents & baumessouverains, & de faict lors qu’ils paroissent le lendemain enpublic, pour faire monstre de’estat de leurs playes, lesspectateurs estoient tous estonnez, qu’il n’y apparoissoit qu’unelegere cicatrice, tant ils sçavoient dextrement & subtilementfaire refermer la playe avec leur baume. Mais ce n’estoit qu’untrompeur artifice, & une artificieuse tromperie, car on estoittout estonne que huict jours apres leur playe estoit fort offenseeen ses fonds, & n’estoit guarie que superficiellement.

Il y a quelque temps qu’à Paris un insigne & effrontéCharlatan, qui s’appelloit il signore Hieronymo lequelavoit fait eriger un theatre en la court du Palais, sur lequelestant monté en bonne conche & superbe equipage, la grossechaine d’or au col, il desployoit les maistresses voilles de soncajol, & descochoit les mieux empennées fleches qu’il eust enla trousse de ses artifices, pour loüanger & esleuer par millemensonmges, vanteries & vaines ostentations les vertus occultes& admirables proprietez de ses unguents, baumes, huiles,extractions, quintessences, distillations, calcinations, &autres fantasques confections.

Et afin qu’il ne manquast rien à sa Charlatanerie, & qu’ellefust omnibus partibus & numeris absoluta, il avoitquatre excellens joüeurs de violon, qui avoient seance aux quatrecoings de son theatre, lesquels faisoient merveilles, assistez d’uninsigne bouffon, ou plaisant de l’hostel de Bourgongne, nomméGalinette la Galina, qui de sa part faisoit millesingeries, tours de souplesse & bouffonneries, pour attirer& amuser le peuple, lequel s’approchoit comme à la foulle deson theatre, tant pour repaistre ses yeux en la contemplation dubouffon, que pour contenter ses oreilles en la douce harmonie &harmonieuse douceur des instrumens, sans qu’aucun autre dessein lesy eust portez. Si est-ce neantmoins qu’ils se trouvoient tellementchargez par le cajol affecté & babil effronté dudit Charlatan,qu’ils estoient contraints d’acheter de ses drogues, tant lacuriosité & la persuasion avoient gaigné sur eux. Et pourexperimenter les vertus divines & admirables d’un unguent qu’ilse vantoit avoir pour les bruslures, il se brusloit publiquementles mains avec un flambeau allumé, jusques à se les rendre toutesampoulées, puis se faisoit appliquer son unguent, qui lesguarissoit en deux heures, chose qui sembloit miraculeuse auxassistans qui n’avoient sondé & descouvert l’artifice & laruze dont il se servoit : car avant que de monter sur sontheatre, il se lavoit secrettement les mains de certaine eauëartificielle, laquelle estoit doüée de ceste vertu particuliere,que le feu ne peut brusler (si ce n’estoit par un long temps) lapartie qui en a esté fraichement lavée, de façon que l’on enduresuperficiellement la flamme, sans sentir que peu ou point dedouleur. Davantage cette eauë a encor cette admirable proprieté,que la flamme agissant sur la peau qu en a esté nouvellement lavée,se convertit en pustulles en sa superficie, sand l’endommagernullement non pas seulement en son epiderme, & soudain qu’onapplique quelque chose sur ladicte peau ampoulée tout s’en va enpoussiere, & en fumée, laissant la peau de la main ou autrepartie en son entier, sans qu’il y apparoisse puis apres aucunemarque ou vestige : laquelle ruze & tromperie s’estpractiquée en Languedoc, à un brave & expert Charlatan de leurcaballe. Artifice qui n’est pas de difficile creance, si onconsidere seulement la qualité & proprieté de l’eau de vie,laquelle se brusle & consomme sur un mouchoir qui en aura estélavé, sans que le feu le puisse endommager. Voila donc la tromperiedu susdit Charlatan touchant son unguent pour les brusleures. Etpour experimeter le baume souverain & admirable que tant ilvantoit pour les blessures, il se donnoit publiquement des coupsd’espée à travers les muscles de l’Epigastre, principalement ceuxqui ont leur situation vers les Hypocondres, & soudainappliquoit son baume sur lesdites blessures, & le lendemainn’apparoissoit aux aussitans qui s’approchoient en grande affluencede son theatre, que la cicatrice desdites playes, tant ellesestoient estroictements rejointes & reunis avec leur peaunaturelle par l’application de son baume, si qu’à peine pouvoit-onrecognoistre la place où les coups avopient esté donnés : Maisc’estoit une guarison paliative, une Cure Charlatanesque &trompeuse, pour piper le monde & attirer de l’argent, carlesdites playes estoient encore toutes fraiches & recentes enleurs fonds, & n’estoient guaries qu’en apparence &superficiellement. Et pour decevoir & attirer le peuple plusfacilement sous le voille de charité & de courtoisie, &pour s’achalander & se mettre en credit, il tiroit &arrachoit les dents de ceux qui en vouloient faire tirer sansprendre aucun argent de sa peine, usant à ceste fin d’un grand& merveilleux artifice de les tirer & arracher, sansexciter aucune douleur, ny mesme sans user d’aucun instrument oupolican que de ses deux doigts, à sçavoir le poulce, & l’index,mais pour descouvrir la tromperie & la trouver en son gisteavant que d’arracher la dent que le patient vouloit faire oster, illa touchoit de ses deux doigts, au bout de l’un desquels il mettoitsubtilement en babillant un peu de poudre narcotique oustupefactoire, pour endormir & engourdir la partie, à fin de larendre stupide & sans aucun sentiment, & à l’autre doigt ilmettoit une poudre merveilleusement caustique, laquelle estoitd’operation si soudaine, qu’en un moment elle faisoit esquarre& ouverture en la gencive, deschaussant & desracinanttellement la dent, qu’aussi tost qu’il la touchoit de ses deuxdoigts seulement, il l’arachoit, & quelquefois tomboit sans ytoucher. Voila donc les ruses et tromperies dont se servoit leditCharlatan pour pipper les plus credules, butins du credit,s’acquerir de la reputation, & bastir le fondement de sapseudopratique Charlatanesque sur les masures & ruynes de lasanté du pauvre peuple. En somme voyla les mal’heurs, incommoditez& miseres qui arrivent ordinairement à ceux, lesquels ayantdelaisse les bons & experimentés Medecins & Chirurgiens semettent entre les mains de cette canaille de Theriacleurs, &Charlatans ; desquels qui voudroit ici examiner par le menutoutes les ruzes, tromperies & subtilitez ; ce seroitentreprendre de nettoyer l’Estable d’Augee du fumier que troismille bœufs avoient rendu en plusieurs années, il vaut donc mieuxles laisser cachées soubs le voille du silence que de lesdescouvrir & exposer au jour, les fuyr que les rechercher, lesrechercher que les imiter, les ignorer que les sçavoir, sinon pours’en prendre garde & s’en tenir ver le quartier des Suisses,plus loin que pres, ny ayant que de la honte d’en parler, dudesplaisir de les cognoistre, & du regret de les souffrir &endurer parmy nous, exercer leurs meurtres, & faire jouer lasappe & la mine de leurs tromperies, à la ruyne & confusionde la Republique, & du pauvre peuple, qu’ils deçoivent &appipent par leurs paroles succrées & affecté jargon, recouvertde belle apparence, tout ainsi que la faulse Monnoye, dont lamonstre est fort belle, & l’usage de nulle valeur.

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