Mémoires de Vidocq – Tome II

Mémoires de Vidocq – Tome II

d’ Eugene-Francois Vidocq
CHAPITRE XV.

Un receleur. – Dénonciation. – Premiers rapports avec la police. – Départ de Lyon. – La méprise.

D’après les dangers que je courais en restant avec Roman et sa troupe, on peut se faire une idée de la joie que je ressentis de les avoir quittés. Il était évident que le gouvernement, une fois solidement assis, prendrait les mesures les plus efficaces pour la sûreté de l’intérieur. Les débris de ces bandes qui, sous le nom de Chevaliers du Soleil ou de Compagnie de Jésus, devaient leur formation à l’espoir d’une réaction politique, ajournée indéfiniment, ne pouvaient manquer d’être anéantis, aussitôt qu’on le voudrait. Le seul prétexte honnête de leur brigandage, le royalisme, n’existait plus,et quoique les Hiver, les Leprêtre, les Boulanger, les Bastide, les Jausion, et autres fils de famille, se fissent encore une gloire d’attaquer les courriers, parce qu’ils y trouvaient leur profit, il commençait à n’être plus du bon ton de prouver que l’on pensait bien en s’appropriant par un coup de main l’argent de l’état. Tous ces incroyables, à qui il avait semblé piquant d’entraver,le pistolet au poing, la circulation des dépêches et la concentration du produit des impôts, rentraient dans leurs foyers,ceux qui en avaient, ou tâchaient de se faire oublier ailleurs,loin du théâtre de leurs exploits. En définitive, l’ordre se rétablissait, et l’on touchait au terme où des brigands, quelque fût leur couleur ou leur motif, ne jouiraient plus de la moindre considération. J’aurais eu le désir, dans de telles circonstances,de m’enrôler dans une bande de voleurs, que, abstraction faite de l’infamie que je ne redoutais plus, je m’en fusse bien gardé, parla certitude d’arriver promptement à l’échafaud. Mais une autrepensée m’animait, je voulais fuir, à quelque prix que ce fut, lesoccasions et les voies du crime ; je voulais rester libre.J’ignorais comment ce vœu se réaliserait ; n’importe, monparti était pris : j’avais fait, comme on dit, une croix surle bagne. Pressé que j’étais de m’en éloigner de plus en plus, jeme dirigeai sur Lyon, évitant les grandes routes jusqu’aux environsd’Orange ; là, je trouvai des rouliers provençaux, dont lechargement m’eut bientôt révélé qu’ils allaient suivre le mêmechemin que moi. Je liai conversation avec eux, et comme ils meparaissaient d’assez bonnes gens, je n’hésitai pas à leur dire quej’étais déserteur, et qu’ils me rendraient un très grand service,si, pour m’aider à mettre en défaut la vigilance des gendarmes, ilsconsentaient à m’impatroniser parmi eux. Cette proposition ne leurcausa aucune espèce de surprise : il semblait qu’ils sefussent attendus que je réclamerais l’abri de leur inviolabilité. Àcette époque, et surtout dans le midi, il n’était pas rare derencontrer des braves, qui, pour fuir leurs drapeaux, s’enremettaient ainsi prudemment à la garde de Dieu. Il étaitdonc tout naturel que l’on fût disposé à m’en croire sur parole.Les rouliers me firent bon accueil ; quelque argent que jelaissai voir à dessein acheva de les intéresser à mon sort. Il futconvenu que je passerais pour le fils du maître des voitures quicomposaient le convoi. En conséquence, on m’affubla d’uneblouse ; et comme j’étais censé faire mon premier voyage, onme décora de rubans et de bouquets, joyeux insignes qui, danschaque auberge, me valurent les félicitations de tout le monde.

Nouveau Jean de Paris, je m’acquittaiassez bien de mon rôle ; mais les largesses nécessaires pourle soutenir convenablement portèrent à ma bourse de si rudesatteintes, qu’en arrivant à la Guillotière, où je me séparai demes gens, il me restait en tout vingt-huit sous. Avec desi minces ressources, il n’y avait pas à songer aux hôtels de laplace des Terreaux. Après avoir erré quelque temps dans les ruessales et noires de la seconde ville de France, je remarquai, ruedes Quatre-Chapeaux, une espèce de taverne, où je pensais que l’onpourrait me servir un souper proportionné à l’état de mes finances.Je ne m’étais pas trompé : le souper fut médiocre, et trop tôtterminé. Rester sur son appétit est déjà un désagrément ; nesavoir où trouver un gîte en est un autre. Quand j’eus essuyé moncouteau, qui pourtant n’était pas trop gras, je m’attristai parl’idée que j’allais être réduit à passer la nuit à la belle étoile,lorsqu’à une table, voisine de la mienne, j’entendis parler cetallemand corrompu, qui est usité dans quelques cantons desPays-Bas, et que je comprenais parfaitement. Les interlocuteursétaient un homme et une femme déjà sur le retour ; je lesreconnus pour des Juifs. Instruit qu’à Lyon, comme dans beaucoupd’autres villes, les gens de cette caste tiennent des maisonsgarnies, où l’on admet volontiers les voyageurs en contrebande, jeleur demandai s’ils ne pourraient pas m’indiquer une auberge. Je nepouvais mieux m’adresser : le Juif et sa femme étaient deslogeurs. Ils offrirent de devenir mes hôtes, et je les accompagnaichez eux, rue Thomassin. Six lits garnissaient le local dans lequelon m’installa ; aucun d’eux n’était occupé, et pourtant ilétait dix heures ; je crus que je n’aurais pas de camarades dechambrée, et je m’endormis dans cette persuasion.

À mon réveil, des mots d’une langue quim’était familière, viennent jusqu’à moi.

– « Voilà six plombes etune mèche qui crossent, dit une voix qui nem’était pas inconnue ;… tu pioncesencore. (Voilà sixheures et demie qui sonnent ; tu dors encore.)

– » Je crois bien ;… nous avonsvoulu maquiller à la sargue chez un orphelin,mais le pautre était chaud ; j’ai vu le moment où ilfaudrait jouer du vingt-deux ;… et alors il y auraiteu du raisinet. (Nous avons voulu voler cette nuit chez unorfèvre, mais le bourgeois était sur ses gardes ; j’ai vu lemoment où il faudrait jouer du poignard ; et alors il y auraiteu du sang !)

– » Ah ! ah ! tu as peurd’aller à l’abbaye de Monte-à-regret… Mais engoupinant comme çà, on n’affurepasd’auber. (Ah ! ah ! tu as peur d’aller à laguillotine… Mais en travaillant de la sorte, on n’attrape pasd’argent.)

– » J’aimerais mieux faire suerle chêne sur le grand trimard, que d’écornerles boucards : on a toujours les lièges surle dos. (J’aimerais mieux assassiner sur la grande route que deforcer des boutiques ;… on a toujours les gendarmes sur ledos.)

– » Enfin, vous n’avez riengrinchi… Il y avait pourtant de belles foufières,des coucous, des brides d’Orient.Le guinal n’aurarien à mettre au fourgat. (Enfin, vous n’avez rien pris…Il y avait pourtant de belles tabatières, des montres, des chaînesd’or. Le Juif n’aura rien à recéler.)

– » Non. Le carouble s’estesquinté dans la serrante ; lerifflard a battu morasse, et il a fallu sedonner de l’air. (Non. La fausse clef s’est cassée dans laserrure ; le bourgeois a crié au secours, et il a fallu sesauver.)

– » Hé ! les autres, dit untroisième interlocuteur, ne balancez donc pas tant le chiffonrouge ; il y a là un chêne qui peut prêterloche. (Ne remuez pas tant la langue ; il y a là unhomme qui peut prêter l’oreille.)

L’avis était tardif : cependant on setut. J’entr’ouvris les yeux pour voir la figure de mes compagnonsde chambrée, mais mon lit étant le plus bas de tous, je ne pus rienapercevoir. Je restais immobile pour faire croire à mon sommeil,lorsqu’un des causeurs s’étant levé, je reconnus un évadé du bagnede Toulon, Neveu, parti quelques jours avant moi. Son camaradesaute du lit,… c’est Cadet-Paul, autre évadé ;… un troisième,un quatrième individu se mettent sur leur séant, ce sont aussi desforçats.

Il y avait de quoi se croire encore à la sallen° 3. Enfin, je quitte à mon tour le grabat ; à peineai-je mis le pied sur le carreau, qu’un cri général s’élève :« C’est Vidocq ! ! ! On s’empresse ; on mefélicite. L’un des voleurs du garde-meuble, Charles Deschamps, quis’était sauvé peu de jours après moi, me dit que tout le bagneétait dans l’admiration de mon audace et de mes succès. Neuf heuressonnent : on m’emmène déjeûner aux Brotaux, où je trouve lesfrères Quinet, Bonnefoi, Robineau, Métral, Lemat, tous fameux dansle midi. On m’accable de prévenances, on me procure de l’argent,des habits, et jusqu’à une maîtresse.

J’étais là, comme on voit, dans lamême position qu’à Nantes. Je ne me souciais pas plus qu’enBretagne, d’exercer le métier de mes amis,mais je devaisrecevoir de ma mère un secours pécuniaire, et il fallait vivre enattendant. J’imaginai que je parviendrais à me faire nourrirquelque temps sans travailler. Je me proposaisrigoureusement de n’être qu’en subsistance parmi les voleurs ;mais l’homme propose, et Dieu dispose. Les évadés, mécontents de ceque, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, j’évitais deconcourir aux vols qu’ils commettaient chaque jour, me firentdénoncer sous main pour se débarrasser d’un témoin importun, et quipouvait devenir dangereux. Ils présumaient bien que je parviendraisà m’échapper, mais ils comptaient qu’une fois reconnu par lapolice, et n’ayant plus d’autre refuge que leur bande, je medéciderais à prendre parti avec eux. Dans cette circonstance, commedans toutes celles du même genre où je me suis trouvé, si l’ontenait tant à m’embaucher, c’est que l’on avait une haute opinionde mon intelligence, de mon adresse, et surtout de ma force,qualité précieuse dans une profession où le profit est trop souventrapproché du péril.

Arrêté, passage Saint-Côme, chez Adèle Buffin,je fus conduit à la prison de Roanne. Des les premiers mots de moninterrogatoire, je reconnus que j’avais été vendu. Dans la fureuroù me jeta cette découverte, je pris un parti violent, qui fut enquelque sorte mon début dans une carrière tout à fait nouvelle pourmoi. J’écrivis à M. Dubois, commissaire général de police,pour lui demander à l’entretenir en particulier. Le même soir, onme conduisit dans son cabinet. Après lui avoir expliqué maposition, je lui proposai de le mettre sur les traces des frèresQuinet, alors poursuivis pour avoir assassiné la femme d’un maçonde la rue Belle-Cordière. J’offris en outre de donner les moyens dese saisir de tous les individus logés tant chez le Juif que chezCaffin, menuisier, rue Écorche-Bœuf. Je ne mettais à ce serviced’autre prix que la liberté de quitter Lyon. M. Dubois devaitavoir été plus d’une fois dupe de pareilles propositions ; jevis qu’il hésitait à s’en rapporter à moi. « Vous doutez de mabonne foi, lui dis-je, la suspecteriez-vous encore, si m’étantéchappé dans le trajet pour retourner à la prison, je revenais meconstituer votre prisonnier ? – Non, me répondit-il.– Eh bien ! vous me reverrez bientôt, pourvu que vousconsentiez à ne faire à mes surveillants aucune recommandationparticulière. » Il accéda à ma demande : l’on m’emmena.Arrivé au coin de la rue de la Lanterne, je renverse les deuxestafiers qui me tenaient sous les bras, et je regagne à toutesjambes l’Hôtel de Ville, où je retrouve M. Dubois. Cetteprompte apparition le surprit beaucoup ; mais, certain dèslors qu’il pouvait compter sur moi, il permit que je me retirasseen liberté.

Le lendemain, je vis le Juif, qu’on nommaitVidal ; il m’annonça que nos amis étaient allés loger à laCroix-Rousse, dans une maison qu’il m’indiqua. Je m’y rendis. Onconnaissait mon évasion, mais, comme on était loin de soupçonnermes relations avec le commissaire général de police, et qu’on nesupposait pas que j’eusse deviné d’où partait le coup qui m’avaitfrappé, on me fit un accueil fort amical. Dans la conversation, jerecueillis sur les frères Quinet des détails que je transmis lamême nuit à M. Dubois, qui, bien convaincu de ma sincérité, memit en rapport avec M. Garnier, secrétaire général de police,aujourd’hui commissaire à Paris. Je donnai à ce fonctionnaire tousles renseignements nécessaires, et je dois dire qu’il opéra de soncôté avec beaucoup de tact et d’activité.

Deux jours avant qu’on effectuât, d’après mesindications, une descente chez Vidal, je me fis arrêter de nouveau.On me reconduisit dans la prison de Roanne, où arrivèrent lelendemain Vidal lui-même, Caffin, Neveu, Cadet-Paul, Deschamps, etplusieurs autres qu’on avait pris du même coup de filet ; jerestai d’abord sans communication avec eux, parce que j’avais jugéconvenable de me faire mettre au secret. Quand j’en sortis, au boutde quelques jours, pour être réuni aux autres prisonniers, jefeignis une grande surprise de trouver là tout mon monde. Personnene paraissait avoir la moindre idée du rôle que j’avais joué dansles arrestations. Neveu, seul, me regardait avec une espèce dedéfiance ; je lui en demandai la cause ; il m’avoua qu’àla manière dont on l’avait fouillé et interrogé, il ne pouvaits’empêcher de croire que j’étais le dénonciateur. Je jouail’indignation, et, dans la crainte que cette opinion ne prît de laconsistance, je réunis les prisonniers, je leur fis part dessoupçons de Neveu, en leur demandant s’ils me croyaient capable devendre mes camarades ; tous répondirent négativement, et Neveuse vit contraint de me faire des excuses. Il était bien importantpour moi que ces soupçons se dissipassent ainsi, car j’étaisréservé à une mort certaine s’ils se fussent confirmés. On avait vuà Roanne plusieurs exemples de cette justice distributive que lesdétenus exerçaient entre eux. Un nommé Moissel, soupçonné d’avoirfait des révélations, relativement à un vol de vases sacrés, avaitété assommé dans les cours, sans qu’on pût jamais découvrir aveccertitude quel était l’assassin. Plus récemment, un autre individu,accusé d’une indiscrétion du même genre, avait été trouvé un matinpendu avec un lien de paille aux barreaux d’une fenêtre ; lesrecherches n’avaient pas eu plus de succès.

Sur ces entrefaites, M. Dubois me manda àson cabinet, où, pour écarter tout soupçon, on me conduisit avecd’autres détenus, comme s’il se fût agi d’un interrogatoire.J’entrai le premier : le commissaire général me dit qu’ilvenait d’arriver à Lyon plusieurs voleurs de Paris, fort adroits,et d’autant plus dangereux, que, munis de papiers en règle, ilspouvaient attendre en toute sécurité l’occasion de faire quelquecoup, pour disparaître aussitôt après : c’étaient Jallier ditBoubance, Bouthey dit Cadet,Garard, Buchard,Mollin dit le Chapellier, Marquis ditMain-d’Or,et quelques autres moins fameux. Ces noms, souslesquels ils me furent désignés, m’étaient alors tout à faitinconnus ; je le déclarai à M. Dubois, en ajoutant qu’ilétait possible qu’ils fussent faux. Il voulait me faire relâcherimmédiatement, pour qu’en voyant ces individus dans quelque lieupublic, je pusse m’assurer s’ils ne m’avaient jamais passé sous lesyeux ; mais je lui fis observer qu’une mise en liberté aussibrusque ne manquerait pas de me compromettre vis-à-vis des détenus,dans le cas où le bien du service exigerait qu’on m’écrouât denouveau. La réflexion parut juste, et il fut convenu qu’onaviserait au moyen de me faire sortir le lendemain sansinconvénient.

Neveu, qui se trouvait parmi les détenusextraits en même temps que moi pour subir l’interrogatoire, mesuccéda dans le cabinet du commissaire général. Après quelquesinstants, je l’en vis sortir fort échauffé : je lui demandaice qui lui était advenu.

« – Croirais-tu, me dit-il, que lecurieux m’ademandé si je voulais macaroner des pègresde la grande vergne, qui viennent d’arriver ici ?… S’iln’y a que moi pour les enflaquer, ils pourront biendécarer de belle. (Croirais-tu que le commissaire m’ademandé si je voulais faire découvrir des voleurs qui viennentd’arriver de Paris ? S’il n’y a que moi pour les fairearrêter, ils sont bien sûrs de se sauver.)

» – Je ne te croyais pas siJob, repris-je, songeant rapidement au moyen de tirerparti de cette circonstance… J’ai promis de reconobrertous les grinchisseurs, et de les faire arquepincer.(Je ne te croyais pas si niais… Moi, j’ai promis dereconnaître tous les voleurs, et de les faire arrêter.)

» – Comment ! tu te feraiscuisinier ;… d’ailleurs tu ne les conobrespas. (Comment ! tu te ferais mouchard ;… d’ailleurs tu neles connais pas.)

» – Qu’importe ?… on melaissera fourmiller dans la vergne, et jetrouverai bien moyen de me cavaler, tandis que tu serasencore avec le chat. (Qu’importe ? on me laisseracourir la ville, et je trouverai bien moyen de m’évader, tandis quetoi tu resteras avec le geôlier.) »

Neveu fut frappé de cette idée ; iltémoignait un vif regret d’avoir repoussé les offres du commissairegénéral ; et comme je ne pouvais me passer de lui pour aller àla découverte, je le pressai fortement de revenir sur sa premièredécision ; il y consentit, et M. Dubois, que j’avaisprévenu, nous fît conduire tous deux un soir, à la porte du grandthéâtre, puis aux Célestins, où Neveu me signala tous nos hommes.Nous nous retirâmes ensuite, escortés par les agents de police, quinous serraient de fort près. Pour le succès de mon plan et pour nepas me rendre suspect, il fallait pourtant faire une tentative, quiconfirmât au moins l’espoir que j’avais donné à moncompagnon ; je lui fis part de mon projet : en passantrue Mercière, nous entrâmes brusquement dans un passage, dont jetirai la porte sur nous, et pendant que les agents couraient àl’autre issue, nous sortîmes tranquillement par où nous étionsentrés. Lorsqu’ils revinrent, tout honteux de leur gaucherie, nousétions déjà loin.

Deux jours après, Neveu, dont on n’avait plusbesoin, et qui ne pouvait plus me soupçonner, fut arrêté denouveau. Pour moi, connaissant alors les voleurs qu’on voulaitdécouvrir, je les signalai aux agents de police, dans l’église deSaint-Nizier, où ils s’étaient réunis un dimanche, dans l’espoir defaire quelque coup à la sortie du salut. Ne pouvant plus être utileà l’autorité, je quittai ensuite Lyon pour me rendre à Paris, où,grâce à M. Dubois, j’étais sûr d’arriver sans êtreinquiété.

Je partis en diligence par la route de laBourgogne ; on ne voyageait alors que de jour. À Lucy-le-Bois,où j’avais couché comme tous les voyageurs, on m’oublia au momentdu départ, et lorsque je m’éveillai, la voiture était partie depuisplus de deux heures ; j’espérais la rejoindre à la faveur desinégalités de la route, qui est très montueuse dans cescantons ; mais, en approchant Saint-Brice, je pus meconvaincre qu’elle avait trop d’avance sur moi pour qu’il me fûtpossible de la rattraper ; je ralentis alors le pas. Unindividu qui cheminait dans la même direction, me voyant tout ennage, me regarda avec attention, et me demanda si je venais deLucy-le-Bois ; je lui dis qu’effectivement j’en venais, et laconversation en resta là. Cet homme s’arrêta à Saint-Brice, tandisque je poussai jusqu’à Auxerre. Excédé de fatigue, j’entrai dansune auberge, où, après avoir dîné, je m’empressai de demander unlit.

Je dormais depuis quelques heures, lorsque jefus réveillé par un grand bruit qui se faisait à ma porte. Onfrappait à coups redoublés ; je me lève demi habillé ;j’ouvre, et mes yeux encore troublés par le sommeil entrevoient desécharpes tricolores, des culottes jaunes et des parements rouges.C’est le commissaire de police flanqué d’un maréchal-des-logis etde deux gendarmes ; à cet aspect, je ne suis pas maître d’unepremière émotion : « Voyez comme il pâlit, dit-on à mescôtés… Il n’y a pas de doute, c’est lui. » Je lève les yeux,je reconnais l’homme qui m’avait parlé à Saint-Brice, mais rien nem’expliquait encore le motif de cette subite invasion.

– « Procédons méthodiquement, dit lecommissaire… : cinq pieds cinq pouces,… c’est bien çà,…cheveux blonds,… sourcils et barbe idem,… frontordinaire,… yeux gris,… nez fort,… bouche moyenne,… menton rond,…visage plein,… teint coloré,… assez forte corpulence. »

– C’est lui, s’écrient lemaréchal-des-logis, les deux gendarmes et l’homme deSaint-Brice.

– « Oui, c’est bien lui, dit à sontour le commissaire… Redingote bleue,… culotte de casimir gris,…gilet blanc,… cravate noire. C’était à peu près moncostume. »

– « Eh bien ! ne l’avais-je pasdit, observe avec une satisfaction marquée l’officieux guide dessbires… c’est un des voleurs ! »

Le signalement s’accordait parfaitement avecle mien, Pourtant je n’avais rien volé ; mais dans masituation, je ne devais pas moins en concevoir des inquiétudes.Peut-être n’était-ce qu’une méprise ; peut-être aussi…l’assistance s’agitait, transportée de joie. « Paix doncs’écria le commissaire, puis tournant le feuillet, il continua. Onle reconnaîtra facilement à son accent italien très prononcé… Il ade plus le pouce de la main droite fortement endommagé par un coupde feu. » Je parlai devant eux ; je montrai ma maindroite, elle était en fort bon état. Tous les assistants seregardèrent ; l’homme de Saint-Brice, surtout, parutsingulièrement déconcerté ; pour moi, je me sentais débarrasséd’un poids énorme. Le commissaire, que je questionnai à mon tour,m’apprit que la nuit précédente un vol considérable avait étécommis à Saint-Brice. Un des individus soupçonnés d’y avoirparticipé portait des vêtements semblables aux miens, et il y avaitidentité de signalement. C’était à ce concours de circonstances, àcet étrange jeu du hasard qu’était due la désagréable visite que jevenais de recevoir. On me fit des excuses que j’accueillis de bonnegrâce, fort heureux d’en être quitte à si bon marché ;toutefois, dans la crainte de quelque nouvelle catastrophe, jemontai le soir même dans une patache qui me transporta à Paris,d’où je filai aussitôt sur Arras.

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