Oedipe

Oedipe

de Voltaire
Acte I
Scène I

PHILOCTÈTE, DIMAS.

 

DIMAS.

Philoctète, est-ce vous? Quel coup affreux du sort
Dans ces lieux empestés vous fait chercher la mort?
Venez-vous de nos dieux affronter la colère?
Nul mortel n’ose ici mettre un pied téméraire
Ces climats sont remplis du céleste courroux;
Et la mort dévorante habite parmi nous.
Thèbes, depuis longtemps aux horreurs consacrée,
Du reste des vivants semble être séparée
Retournez … .

PHILOCTÈTE.

Ce séjour convient aux malheureux:
Va, laisse-moi le soin de mes destins affreux,
Et dis-moi si des dieux la colère inhumaine,
En accablant ce peuple, a respecté la reine.

DIMAS.

Oui, seigneur, elle vit; mais la contagion
Jusqu’au pied de son trône apporte son poison.
Chaque instant lui dérobe un serviteur fidèle,
Et la mort par degrés semble s’approcher d’elle.
On dit qu’enfin le ciel, après tant de courroux,
Va retirer son bras appesanti sur nous:
Tant de sang, tant de morts, ont dû le satisfaire.

PHILOCTÈTE.

Eh! quel crime a produit un courroux si sévère?

DIMAS.

Depuis la mort du roi…

PHILOCTÈTE.

Qu’entends-je? quoi! Laïus…

DIMAS.

Seigneur, depuis quatre ans ce héros ne vit plus.

PHILOCTÈTE.

Il ne vit plus! quel mot a frappé mon oreille!
Quel espoir séduisant dans mon coeur se réveille!
Quoi! Jocaste… Les dieux me seraient-ils plus doux?
Quoi! Philoctète enfin pourrait-il être à vous?
Il ne vit plus!… quel sort a terminé sa vie?

DIMAS.

Quatre ans sont écoulés depuis qu’en Béotie
Pour la dernière fois le sort guida vos pas.
A peine vous quittiez le sein de vos États,
A peine vous preniez le chemin de l’Asie,
Lorsque, d’un coup perfide, une main ennemie
Ravit à ses sujets ce prince infortuné.

PHILOCTÈTE.

Quoi! Dimas, votre maître est mort assassiné?

DIMAS.

Ce fut de nos malheurs la première origine
Ce crime a de l’empire entraîné la ruine.
Du bruit de son trépas mortellement frappés,
A répandre des pleurs nous étions occupés,
Quand, du courroux des dieux ministre épouvantable,
Funeste à l’innocent sans punir le coupable,
Un monstre (loin de nous que faisiez-vous alors?),
Un monstre furieux vint ravager ces bords.
Le ciel, industrieux dans sa triste vengeance,
Avait à le former épuisé sa puissance.
Né parmi des rochers, au pied du Cithéron,
Ce monstre à voix humaine, aigle, femme, et lion,
De la nature entière exécrable assemblage,
Unissait contre nous l’artifice à la rage.
Il n’était qu’un moyen d’en préserver ces lieux.
D’un sens embarrassé dans des mots captieux,
Le monstre, chaque jour, dans Thèbe épouvantée,
Proposait une énigme avec art concertée,
Et si quelque mortel voulait nous secourir,
Il devait voir le monstre et l’entendre, ou périr.
A cette loi terrible il nous fallut souscrire.
D’une commune voix Thèbe offrit son empire
A l’heureux interprète inspiré par les dieux
Qui nous dévoilerait ce sens mystérieux.
Nos sages, nos vieillards, séduits par l’espérance,
Osèrent, sur la foi d’une vaine science,
Du monstre impénétrable affronter le courroux:
Nul d’eux ne l’entendit; ils expirèrent tous.
Mais Oedipe, héritier du sceptre de Corinthe,
Jeune, et dans l’âge heureux qui méconnaît la crainte,
Guidé par la fortune en ces lieux pleins d’effroi,
Vint, vit ce monstre affreux, l’entendit, et fut roi.
Il vit, il règne encor; mais sa triste puissance
Ne voit que des mourants sous son obéissance.
Hélas! nous nous flattions que ses heureuses mains
Pour jamais à son trône enchaînaient les destins.
Déjà même les dieux nous semblaient plus faciles:
Le monstre en expirant laissait ces murs tranquilles;
Mais la stérilité, sur ce funeste bord,
Bientôt avec la faim nous rapporta la mort.
Les dieux nous ont conduits de supplice en supplice;
La famine a cessé, mais non leur injustice;
Et la contagion, dépeuplant nos États,
Poursuit un faible reste échappé du trépas.
Tel est l’état horrible où les dieux nous réduisent.
Mais vous, heureux guerrier que ces dieux favorisent,
Qui du sein de la gloire a pu vous arracher?
Dans ce séjour affreux que venez-vous chercher?

PHILOCTÈTE.

J’y viens porter mes pleurs et ma douleur profonde.
Apprends mon infortune et les malheurs du monde.
Mes yeux ne verront plus ce digne fils des dieux,
Cet appui de la terre, invincible comme eux.
L’innocent opprimé perd son dieu tutélaire;
Je pleure mon ami, le monde pleure un père.

DIMAS.

Hercule est mort?

PHILOCTÈTE.

Ami, ces malheureuses mains
Ont mis sur le bûcher le plus grand des humains;
Je rapporte en ces lieux ses flèches invincibles,
Du fils de Jupiter présents chers et terribles;
Je rapporte sa cendre, et viens à ce héros.
Attendant des autels, élever des tombeaux.
Crois-moi; s’il eût vécu; si d’un présent si rare
Le ciel pour les humains eût été moins avare,
J’aurais loin de Jocaste achevé mon destin
Et, dût ma passion renaître dans mon sein,
Tu ne me verrais point, suivant l’amour pour guide,
Pour servir une femme abandonner Alcide.

DIMAS.

J’ai plaint longtemps ce feu si puissant et si doux;
Il naquit dans l’enfance, il croissait avec vous,
Jocaste, par un père à son hymen forcée,
Au trône de Laïus à regret fut placée.
Hélas! par cet hymen qui coûta tant de pleurs,
Les destins en secret préparaient nos malheurs.
Que j’admirais en vous cette vertu suprême,
Ce coeur digne du trône et vainqueur de soi-même!
En vain l’amour parlait à ce coeur agité,
C’est le premier tyran que vous avez dompté.

PHILOCTÈTE.

Il fallut fuir pour vaincre; oui, je te le confesse,
Je luttai quelque temps.; je sentis ma faiblesse
Il fallut m’arracher de ce funeste lieu,
Et je dis à Jocaste un éternel adieu.
Cependant l’univers, tremblant au nom d’Alcide,
Attendait son destin de sa valeur rapide;
A ses divins travaux j’osai m’associer;
Je marchai près de lui, ceint du même laurier.
C’est alors, en effet, que mon âme éclairée
Contre les passions se sentit assurée.
L’amitié d’un grand homme est un bienfait des dieux:
Je lisais mon devoir et mon sort dans ses yeux;
Des vertus avec lui je fis l’apprentissage;
Sans endurcir mon coeur, j’affermis mon courage
L’inflexible vertu m’enchaîna sous sa loi.
Qu’eussé-je été sans lui? rien que le fils d’un roi,
Rien qu’un prince vulgaire, et je serais peut-être
Esclave de mes sens, dont il m’a rendu maître.

DIMAS.

Ainsi donc désormais, sans plainte et sans courroux,
Vous reverrez Jocaste et son nouvel époux?

PHILOCTÈTE.

Comment! que dites-vous? un nouvel hyménée…

DIMAS.

Oedipe à cette reine a joint sa destinée.

PHILOCTÈTE.

Oedipe est trop heureux! je n’en suis point surpris;
Et qui sauva son peuple est digne d’un tel prix:
Le ciel est juste.

DIMAS.

Oedipe en ces lieux va paraître:
Tout le peuple avec lui, conduit par le grand-prêtre,
Vient des dieux irrités conjurer les rigueurs.

PHILOCTÈTE.

Je me sens attendri, je partage leurs pleurs.
O toi, du haut des cieux, veille sur ta patrie;
Exauce en sa faveur un ami qui te prie;
Hercule, sois le dieu de tes concitoyens;
Que leurs voeux jusqu’à toi montent avec les miens!

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