Oeuvres completès de Paul Verlaine

II

CAUCHEMAR
J’ai vu passer dans mon rêve
— Tel l’ouragan sur la grève,
D’une main tenant un glaive
Et de l’autre un sablier,
          Ce cavalier
Des ballades d’Allemagne
Qu’à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon,
          Un étalon
Rouge-flamme et noir d’ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne,
Ni hop ! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
          Toujours ! toujours !
Un grand feutre à longue plume
Ombrait son œil qui s’allume
Et s’éteint. Tel, dans la brume,
Eclate et meurt l’éclair bleu
          D’une arme à feu.
Comme l’aile d’une orfraie
Qu’un subit orage effraie,
Par l’air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
          Claquait au vent,
Et montrait d’un air de gloire
Un torse d’ombre et d’ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
          Trente-deux dents.

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