SYLVANDRE
Et voilà mon histoire en deux mots.
ROSALINDE
Elle est telle
Que j’y lis à l’envers l’histoire de Myrtil.
Par un pressentiment inquiet et subtil
Vous redoutez l’amour qui venait et sa lèvre
Aux baisers inconnus encore, et lui qu’enfièvre
Le souvenir d’un vieil amour désenlacé,
Stupide autant qu’ingrat, il a peur du passé,
Et tous deux avez tort, allez Sylvandre.
SYLVANDRE
ROSALINDE
Non, tous deux, et vous n’êtes pas quittes,
Et tous deux souffrirez, et ce sera bien fait.
SYLVANDRE
Après tout je ne vois que très mal mon forfait,
Et j’ignore très bien quel sera mon martyre.
ROSALINDE
SYLVANDRE
Je ne ris pas, je dis posément d’une part
Que je ne crois point tant criminel mon départ
D’avec Chloris, coquette aimable mais sujette
A caution, et puis, d’autre part, je projette
D’être heureux avec vous qui m’avez bien voulu
Recueillir quand brisé, désemparé, moulu,
Berné par ma maîtresse et planté là par elle
J’allais probablement me brûler la cervelle
Si j’avais eu quelque arme à feu sous mes dix doigts.
Oui je vais vous aimer, je le veux (je le dois
En outre), je vais vous aimer à la folie…
Donc, arrière regrets, dépit, mélancolie !
Je serai votre chien féal, ton petit loup
Bien doux…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire, encore un coup.
SYLVANDRE
Encore un coup, je ne ris pas. Je vous adore,
J’idolâtre ta voix si tendrement sonore ;
J’aime vos pieds, petits à tenir dans la main,
Qui font un bruit mignard et gai sur le chemin
Et luisent, rêves blancs, sous les pompons des mules.
Quand tes grands yeux, de qui les astres sont émules,
Abaissent jusqu’à nous leurs aimables rayons,
Comparable à ces fleurs d’été que nous voyons
Tourner vers le soleil leur fidèle corolle,
Lors je tombe en extase et reste sans parole,
Sans vie et sans pensée, éperdu, fou, hagard,
Devant l’éclat charmant et fier de ton regard.
Je frémis à ton souffle exquis comme au vent l’herbe,
O ma charmante, ô ma divine, ô ma superbe,
Et mon âme palpite au bout de tes cils d’or…
— A propos, croyez-vous que Chloris m’aime encor ?
ROSALINDE
SYLVANDRE
Question saugrenue
En effet !
ROSALINDE
Voulez-vous la vérité bien nue ?
SYLVANDRE
Non ! Que me fait ? Je suis un sot, et me voici
Confus, et je vous aime uniquement.
ROSALINDE
Ainsi,
Cela vous est égal qu’il soit patent, palpable,
Évident que Chloris vous adore…
SYLVANDRE
Du diable
Si c’est possible ! Elle ! Elle ! Allons donc !
(Soucieux, tout à coup, à part.)
Hélas !
ROSALINDE
SYLVANDRE
Ce cœur volage suit sa loi,
Elle leurre à présent, Myrtil…
ROSALINDE, passionnément.
Elle le leurre.
Dites-vous ? Mais alors il l’aime !…
SYLVANDRE
Que je meure
Si je comprends ce cri jaloux !
ROSALINDE
SYLVANDRE
Un trompeur ! une folle !
ROSALINDE
Es-tu donc pas jaloux
De Myrtil, toi, hein, dis ?
SYLVANDRE, comme frappé subitement d’une idée douloureuse.
Tiens ! la fâcheuse idée
Mais c’est qu’oui ! me voici l’âme tout obsédée…
ROSALINDE, presque joyeuse.
Ah ! vous êtes jaloux aussi, je savais bien !
SYLVANDRE, à part.
Je vous jure qu’il n’en est rien
Et si vraiment je suis jaloux de quelque chose,
Le seul Myrtil du temps jadis en est la cause.
ROSALINDE
Trêve de compliments fastidieux. Je suis
Très triste, et vous aussi. Le but que je poursuis
Est le vôtre. Causons de nos deuils identiques.
Des malheureux ce sont, il paraît, les pratiques,
Cela, dit-on, console. Or nous aimons toujours
Vous Chloris, moi Myrtil, sans espoir de retours
Apparents. Entre nous la seule différence
C’est que l’on m’a trahie, et que votre souffrance
A vous vient de vous-même et n’est qu’un châtiment.
Ai-je tort ?
SYLVANDRE
Vous lisez dans mon cœur couramment,
Chère Chloris, je t’ai méchamment méconnue !
Qui me rendra jamais ta malice ingénue,
Et ta gaîté si bonne, et ta grâce, et ton cœur ?
ROSALINDE
Et moi, par un destin bien autrement moqueur,
Je pleure après Myrtil infidèle…
SYLVANDRE
Infidèle !
Mais c’est qu’alors Chloris l’aimerait. O mort d’elle !
J’enrage et je gémis ! Mais ne disiez-vous pas
Tantôt qu’elle m’aimait encore. — O cieux, là-bas,
Regardez, les voilà !
ROSALINDE
Qu’est-ce qu’ils vont se dire ?
(Ils remontent le théâtre)