Oeuvres completès de Paul Verlaine

SCÈNE IX

LES PRÉCÉDENTS, CHLORIS, MYRTIL

CHLORIS

Allons, encore un peu de franchise, beau sire
Ténébreux. Avouez votre cas tout à fait.
Le silence, n’est-il pas vrai ? vous étouffait,
Et l’obligation banale où vous vous crûtes
D’imiter à tout bout de champ la voix des flûtes
Pour quelque madrigal bien fade à mon endroit
Vous étouffait, ainsi qu’un pourpoint trop étroit ?
Votre cœur qui battait pour elle dut me taire
Par politesse et par prudence son mystère ;
Mais à présent que j’ai presque tout deviné,
Pourquoi continuer ce mutisme obstiné ?
Parlez d’elle, cela d’abord sera sincère.
Puis vous souffrirez moins, et, s’il est nécessaire
De vous intéresser aux souffrances d’autrui,
J’ai besoin en retour de vous parler de lui

MYRTIL

Et quoi, vous aussi, vous ?

CHLORIS

Moi-même, hélas ! moi-même,
Puis-je encore espérer que mon bien-aimé m’aime ?
Nous étions tous les deux, Sylvandre, si bien faits
L’un pour l’autre ! Quel sort jaloux, quel dieu mauvais
Fit ce malentendu cruel qui nous sépare ?
Hélas ! il fut frivole encor plus que barbare,
Et son esprit surtout fit que son cœur pécha.

MYRTIL

Espérez, car peut-être il se repent déjà,
Si j’en juge d’après mes remords…

(Il sanglote.)

Et mes larmes.

(Sylvandre et Rosine se pressent la main.)

ROSALINDE, survenant.

Les pleurs délicieux ! Cher instant plein de charmes !

MYRTIL

C’est affreux !

CHLORIS

O douleur !

ROSALINDE, sur la pointe du pied et très bas.

Chloris !

CHLORIS

Vous étiez là ?

ROSALINDE

Le sort capricieux qui nous désassembla
A remis, faisant trêve à son ire inhumaine,
Sylvandre en bonnes mains, et je vous le ramène
Jurant son grand serment qu’on ne l’y prendrait plus
Est-il trop tard ?

SYLVANDRE, à Chloris.

O point de refus absolus !
De grâce ayez pitié quelque peu. La vengeance
Suprême, c’est d’avoir un aspect d’indulgence,
Punissez-moi sans trop de justice et daignez
Ne me point accabler de traits plus indignés
Que n’en méritent, — non mes crimes, — mais ma tête
Folle, mais mon cœur faible et lâche…

(Il tombe à genoux.)

CHLORIS

Êtes-vous bête ?
Relevez-vous, je suis trop heureuse à présent
Pour vous dire quoi que ce soit de déplaisant,
Et je jette à ton cou mes bras de lierre.
Nous nous expliquerons plus tard (Et ma première
Querelle et mon premier reproche seront pour
L’air de doute dont tu reçus mon pauvre amour
Qui, s’il a quelques tours étourdis et frivoles,
N’en est pas moins, par ses apparences folles,
Quelque chose de tout dévoué pour toujours).
Donc, chassons ce nuage, et reprenons le cours
De la charmante ivresse où s’exalta notre âme.

(À Rosalinde.)

Et quant à vous, soyez sûre, bonne Madame,
De notre amitié franche, et baisez votre sœur.

(Les deux femmes s’embrassent.)

SYLVANDRE

O si joyeuse avec toute douceur !

ROSALINDE, à Myrtil.

Que diriez-vous, Myrtil, si je faisais comme elle ?

MYRTIL

Dieu ! elle a pardonné, clémente autant que belle.

(À Rosalinde.)

O laissez-moi baiser vos mains pieusement !

ROSALINDE

Voilà qui finit bien et c’est un cher moment
Que celui-ci. Sans plus parler de ces tristesses,
Soyons heureux.

(À Chloris et à Sylvandre.)

Sachez enlacer vos jeunesses.
Doux amis, et joyeux que vous êtes, cueillez
La fleur rouge de vos baisers ensoleillés.

(Se tournant vers Myrtil.)

Pour nous, amants anciens sur qui gronde la vie,
Nous vous admirerons sans vous porter envie,
Ayant, nous, nos bonheurs discrets d’après-midi,

(Tous les personnages de la scène 1re reviennent se grouper comme au lever du rideau.)

Et voyez, aux rayons du soleil attiédi,
Voici tous nos amis qui reviennent des danses
Comme pour recevoir nos belles confidences.

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