Pardaillan et Fausta

Pardaillan et Fausta

de Michel Zévaco

>Chapitre 1 LA MORT DE FAUSTA

À l’aube du 21 février 1590, le glas funèbre tinta sur la Rome des papes – la Rome de Sixte Quint. En même temps, la rumeur sourde qui déferlait dans les rues encore obscures indiqua que des foules marchaient vers quelque rendez-vous mystérieux. Ce rendez-vous était sur la place del Popolo. Là se dressait un échafaud. Là, tout à l’heure, la hache qui luit aux mains du bourreau va se lever sur une tête. Cette tête roulera. Cette tête, le bourreau la saisira par les cheveux, la montrera au peuple de Rome, ainsi qu’il est dit dans la sentence… Et ce sera la tête d’une femme jeune et belle,dont le nom prestigieux, évocateur de la plus étrange aventure de ces siècles lointains, est murmuré avec une sorte d’admiration parle peuple qui s’assemble autour de l’échafaud :

– Fausta ! Fausta ! C’est Fausta qui va mourir !…

* * * * *

La princesse Fausta était enfermée au château Saint-Ange depuis dix mois qu’elle avait été faite prisonnière dans cette Rome même où elle avait attiré le chevalier de Pardaillan… le seul homme qu’elle eût aimé… celui à qui elle s’était donnée… celui qu’elle avait voulu tuer enfin, et que sans doute elle croyait mort. C’est ce que la formidable aventurière, qui avait rêvé de renouer avec la tradition de la papesse Jeanne, attendait, le jour où serait exécutée la sentence de mort prononcée contre elle. Chose terrible,il avait été sursis à l’exécution de la sentence parce que, au moment de livrer Fausta au bourreau, on avait su qu’elle allait être mère. Mais maintenant que l’enfant était venu au monde, rienne pouvait la sauver.

Et bientôt l’heure allait sonner pour Fausta d’expier son audaceet sa grande lutte contre Sixte Quint.

Ce matin-là, Fausta devait mourir !

* * * * *

Ce matin-là, dans une de ces salles d’une somptueuse élégancecomme il y en avait au Vatican, deux hommes, debout, face à face,se disaient de tout près et dans la figure des paroles de hainemortelle rendues plus effrayantes par les attitudes immobiles,comme pétrifiées. Ils étaient tous deux dans la force de l’âge etbeaux tous deux. Et tous deux aussi, bien qu’appartenant àl’Église, portaient avec une grâce hautaine l’harmonieux costumedes cavaliers de l’époque : grands seigneurs, à n’en pasdouter. Et c’était bien la même haine qui grondait dans ces deuxcœurs, puisque c’était le même amour qui les avait faitsennemis.

L’un d’eux s’appelait Alexandre Peretti. Peretti ! le nomde famille de Sa Sainteté Sixte Quint. Cet homme, en effet, c’étaitle neveu du pape. Il venait d’être créé cardinal de Montalte. Ilétait ouvertement désigné pour succéder à Sixte Quint, dont ilétait le confident et le conseiller. L’autre s’appelait HerculeSfondrato ; il appartenait à l’une des plus opulentes famillesdes Romagnes, et il exerçait les fonctions de grand juge avec unesévérité qui faisait de lui l’un des plus terribles exécuteurs dela pensée de Sixte Quint.

Et voici ce que ces deux hommes se disaient :

– Écoute, Montalte, écoute ! Voici le glas qui sonne…rien ne peut la sauver maintenant, ni personne !

– J’irai me jeter aux pieds du pape, râlait le neveu deSixte Quint, et j’obtiendrai sa grâce…

– Le pape ! Mais le pape, s’il en avait la force, latuerait de ses mains plutôt que de la sauver. Tu le sais, Montalte,tu le sais, moi seul je puis sauver Fausta. Hier la sentence lui aété lue. Maintenant l’échafaud est dressé. Dans une heure, Faustaaura cessé de vivre si tu ne me jures sur le Christ, sur lacouronne d’épines et sur les plaies que tu renonces à elle…

– Je jure… bégaya Montalte.

Et il s’arrêta, ivre de douleur, de rage et d’horreur.

– Eh bien, gronda Sfondrato, que jures-tu ?

Ils étaient maintenant si près l’un de l’autre qu’ils setouchaient. Leurs yeux hagards se jetèrent une dernière menace etleurs mains tourmentèrent les poignées des dagues.

– Jure, mais jure donc ! répéta Sfondrato.

– Je jure, gronda Montalte, de m’arracher le cœur plutôtque de renoncer à aimer Fausta, dût-elle me haïr d’une haine aussiimpérissable que mon amour. Je jure que, moi vivant, nul ne porterala main sur Fausta, ni bourreau, ni grand juge, ni pape même. Jejure de la défendre à moi seul contre Rome entière s’il le faut. Eten attendant, grand juge, meurs le premier, puisque c’est toi quias prononcé sa sentence.

En même temps, d’un geste de foudre, le cardinal Montalte, neveudu pape Sixte Quint, leva sa dague et l’abattit sur l’épauled’Hercule Sfondrato.

Puis, avec une sorte de râle, qui était peut-être uneimprécation, peut-être une prière, Montalte s’élança au dehors.

Sous le coup, Hercule Sfondrato était tombé sur les genoux. Maispresque aussitôt il se releva, défit rapidement son pourpoint etconstata que le poignard de Montalte n’avait pu traverser la cottede mailles qui ouvrait sa poitrine. Hercule eut un sourire terribleet murmura :

– Ces chemises d’acier que l’on fabrique à Milan sontvraiment de bonne trempe. Je tiens le coup pour reçu,Montalte ! et je te jure que ma dague à moi saura trouver lechemin de ton cœur !

Montalte s’était élancé dans le dédale des couloirs, des sallesimmenses, des cours et des escaliers. Il pénétra dans le passagecouvert qui reliait le Vatican au château Saint-Ange. Il parvint aucachot où Fausta vaincue attendait l’heure de mourir.

Montalte s’approcha en tremblant de la porte que gardaient deuxhallebardiers. Les deux soldats eurent un geste comme pour croiserles hallebardes. Mais sans doute puissante était, dans le Vatican,l’autorité du neveu de Sixte-Quint, ou peut-être sa physionomie, àce moment, était-elle terrible, car les deux gardes reculèrent.

Montalte ouvrit le guichet qui permettait de surveillerl’intérieur du cachot.

Et voici ce que, à travers ce guichet, vit alors le cardinalMontalte… Fugitive, rapide et effrayante vision de rêvefunèbre.

Sur un lit étroit était étendue une jeune femme… La jeune mère…elle… Fausta… un être éblouissant de beauté. Dans ses deux mainselle a saisi l’enfant et elle l’élève d’un geste de force et dedouceur, et elle le contemple de ses yeux larges et profonds quiont l’éclat des diamants noirs.

Au pied du lit se tient une suivante.

Et Fausta, d’une voix étrangement calme, prononce :

– Myrthis, tu le prendras, tu l’emporteras loin de Rome,loin de l’Italie. N’aie crainte, nul ne s’opposera à ta sortie duchâteau Saint-Ange : j’ai obtenu cela que, moi morte, meureaussi la vengeance de Sixte-Quint.

– Je n’aurai nulle crainte, répond Myrthis avec une sortede ferveur exaltée. Puisque, vous morte, je dois vivre encore, jevivrai pour lui.

Fausta esquisse un signe de tête comme pour prendre acte decette promesse. Une minute elle garde le silence ; puis, lesyeux fixés sur l’enfant, elle prononce encore :

– Fils de Fausta !… Fils de Pardaillan !… queseras-tu ?… Ta mère, en mourant, te donne le baiser d’orgueilet de force par quoi elle espère que son âme passera dans tonêtre !… Fils de Pardaillan et de Fausta, Queseras-tu ?…

C’est fini. Myrthis a pris dans ses bras l’enfant qu’elle doitemporter loin de Rome, loin de l’Italie, le fils de Fausta, le filsde Pardaillan. Et elle se recule, et elle se détourne, comme pourcacher à l’innocent petit être, à peine entré dans la vie, la vuede sa mère entrant dans la mort.

Fausta, d’un geste funèbrement tranquille, a ouvert un médaillond’or qu’elle porte suspendu à son cou et a versé dans une coupepréparée d’avance les grains de poison que contient cemédaillon.

C’est fini, Fausta a vidé d’un trait la coupe et elle retombesur l’oreiller… Morte.

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