Présentation des Haïdoucs – Les Récits d’Adrien Zograffi – Volume III

Présentation des Haïdoucs – Les Récits d’Adrien Zograffi – Volume III

de Panaït Istrati

LA RETRAITE DU VALLON OBSCUR
– Voici maintenant les haïdoucs, Adrien,dit Jérémie. Voici tout d’abord Floritchica, notre commandant, qui abandonna le diminutif et s’appela, pour plus de dignité féminine :

FLOAREA CODRILOR

CAPITAINE DE HAÏDOUCS

– Vous voulez mettre sur mes épaules de femme le poids de la responsabilité, et sur ma tête, le prix de sa perte. J’accepte l’un et l’autre… Pour cela, nous devons nous connaître : vous me direz qui vous êtes. Je vais vous dire, moi, la première, qui je suis…

Elle ne nous dit rien pendant un long moment et se promena, la mine soucieuse.

À six semaines de la mort de Cosma, au lendemain de notre arrivée dans le Vallon obscur, et par cette matinée brumeuse de mi-octobre, les paroles du capitaine tombèrent, lourdes comme la chute de Cosma, comme la défection de la moitié de sa troupe – le vataf en tête –,lourdes, surtout, comme notre solitude dans le cœur de ces hautes montagnes peu connues et point fréquentées.

Les quatorze hommes qui avaient opté pour la nouvelle vie gisaient, enveloppés dans leurs cojocsfourrés, parmi les armes et les bagagesencore en désordre, alors que les chevaux paissaient librement –heureuse quiétude animale. L’état-major (composé de :Spilca, le moine mystérieux ; Movila, le nouveau vataf ; Élie et moi) devait décider de cette« nouvelle vie ». Mais l’exigence brusque et inattendue de notre capitaine l’avait un peu surpris. Dix-huit paires d’yeux se braquèrent sur la femme au cœur ferme, riche d’expériences et prompte à l’initiative.

Coiffée du turban de cachemire, lachouba[3] de renard jetée sur les épaules et trèsagile dans son large pantalon – chalvar[4] –, ellearpentait fiévreusement l’intérieur de la Grotte aux Oursdont nous avions pris possession la veille – notre refuge pourl’hiver. Le vataf se leva et mit le tchéaoun pour préparerle café turc, luxe introduit par Floarea. Elle le considérait commeindispensable à la vie, fût-ce la vie sauvage.

Et soit pour rassembler ses idées, soit pournous laisser le temps de rassembler les nôtres, elle se taisait, sepromenait, et contemplait vaguement tantôt sa maigre troupe, tantôtles flancs du vallon engloutis par le brouillard. Sa longue figureétait un peu pâle, ses yeux cernés, et ses lèvres, d’habitudepareilles à deux fraises jumelles, étaient brûlées de gerçures. Leshommes la suivaient d’un regard inquiet et respectueux à lafois : cet héritage de Cosma leur paraissait plein de mystère,de noblesse plus encore. On savait qu’elle avait beaucoup roulé parla terre et connaissait à fond le pays, aux bourreaux duquel elleavait déclaré une guerre intraitable et juste.

Cela plaît aux vaillants. Cependant :femme. Femme avec chalvars, c’est vrai, maisfemme. Et jolie, par-dessus le marché. Que fera-t-elle desa beauté dans ces montagnes d’ours ? Il était encore vraiqu’une fois Cosma mort, personne n’avait su monter son coursiermieux qu’elle, ni soutenir mieux la fatigue, les privations, ni semontrer plus viril dans les décisions. Devant le cadavre de sonunique amant elle avait déclaré :

– Dorénavant je serai : FloareaCodrilor, l’amante de la forêt, l’amie de l’homme libre,justicière de l’injustice, avec votre aide.

Movila, le vataf, lui présenta lafélidjane[5] au café fumant et sa boîte à tabac, à lavue desquelles les prunelles noires s’embrasèrent. On lui installaun tabouret de fortune. Elle but et fuma. Et reprit sa dernièrephrase :

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer