Robinson Crusoé – Tome II

CONVERSION DE LA FEMME D’ATKINS

WILLIAM ATKINS. – Quoi ! ma coupable vievous empêcherait-elle de croire en Dieu ! Quelle affreusecréature je suis ! Et quelle triste vérité est celle-là :que la vie infâme des Chrétiens empêche la conversion desidolâtres ?

LA FEMME. – Comment ! moi penser vousavoir grand beaucoup Dieu là-haut, – du doigt elle montrait leciel, – cependant pas faire bien, pas faire bonne chose ?Pouvoir lui savoir ? Sûrement lui pas savoir quoi vousfaire ?

W. A. – Oui, oui, il connaît et voit touteschoses ; il nous entend parler, voit ce que nous faisons, saitce que nous pensons, même quand nous ne parlons pas.

LA FEMME. – Non ! lui pas entendre vousmaudire, vous jurer, vous dire le grandgod-damn !

 

W. A. – Si, si, il entend tout cela.

LA FEMME. – Où être alors son grand pouvoirfort ?

W. A. – Il est miséricordieux : c’esttout ce que nous pouvons dire ; et cela prouve qu’il est levrai Dieu. Il est Dieu et non homme ; et c’est pour cela quenous ne sommes point anéantis.

Will Atkins nous dit ici qu’ilétait saisi d’horreur en pensant comment il avait pu annoncer siclairement à sa femme que Dieu voit, entend, et connaît lessecrètes pensées du cœur, et tout ce que nous faisons, encore qu’ileût osé commettre toutes les méprisables choses dont il étaitcoupable.

LA FEMME. –Miséricordieux ! quoi vous appelerça ?

WILLIAM ATKINS. – Il est notre père et notreCréateur ; il a pitié de nous et nous épargne.

LA FEMME. – Ainsi donc lui jamais faire tuer,jamais colère quand faire méchant ; alors lui pas bon lui-mêmeou pas grand capable.

W. A. – Si, si, ma chère, il est infinimentbon et infiniment grand et capable de punir. Souventes fois même,afin de donner des preuves de sa justice et de sa vengeance, illaisse sa colère se répandre pour détruire les pécheurs et faireexemple. Beaucoup même seul frappés au milieu de leurs crimes.

LA FEMME. – Mais pas faire tuer vouscependant. Donc vous lui dire, peut-être, que lui pas faire tuervous ? Donc vous faire le marché avec lui, vous commettremauvaises choses ; lui pas être colère contre vous, quand luiêtre colère contre les autres hommes ?

W. A. – Non, en vérité ; mes péchés neproviennent que d’une confiance présomptueuse en sa bonté ; etil serait infiniment juste, s’il me détruisait comme il a détruitd’autres hommes.

LA FEMME. – Bien. Néanmoins pas tuer, pasfaire vous mort ! Que vous dire à lui pour ça ? Vous pasdire à lui : merci pour tout ça.

W. A. – Je suis un chien d’ingrat, voilà lefait.

LA FEMME. – Pourquoi lui pas faire vousbeaucoup bon meilleur ? Vous dire lui faire vous.

W. A. – Il m’a créé comme il a créé tout lemonde ; c’est moi-même qui me suis dépravé, qui ai abusé de sabonté, et qui ai fait de moi un être abominable.

LA FEMME. – Moi désirer vous faire Dieuconnaître à moi. Moi pas faire lui colère. Moi pas faire mauvaiseméchante chose.

Ici Will Atkins nous dit que soncœur, lui avait défailli en entendant une pauvre et ignorantecréature exprimer le désir d’être amenée à la connaissance de Dieu,tandis que lui, misérable, ne pouvait lui en dire un mot auquell’ignominie de sa conduite ne la détournât d’ajouter foi. Déjà mêmeelle s’était refusée à croire en Dieu, parce que lui qui avait étési méchant n’était pas anéanti.

WILLIAM ATKINS. – Sans doute, ma chère, vousvoulez dire que vous souhaitez que je vous enseigne à connaîtreDieu et non pas que j’apprenne à Dieu à vous connaître ; caril vous connaît déjà, vous et chaque pensée de votre cœur.

LA FEMME – Ainsi donc lui savoir ce que moidire à vous maintenant ; lui savoir moi désirer de connaîtrelui. Comment moi connaître celui qui créer moi ?

W. A. – Pauvre créature ; il faut qu’ilt’enseigne, lui, moi je ne puis t’enseigner. Je le prierai det’apprendre à le connaître et de me pardonner, à moi, qui suisindigne de t’instruire.

Le pauvre garçon fut tellement mis aux aboisquand sa femme lui exprima le désir d’être amenée par lui à lascience de Dieu, quand elle forma le souhait de connaître Dieu,qu’il tomba à genoux devant elle, nous dit-il, et pria le Seigneurd’illuminer son esprit par la connaissance salutaire deJésus-Christ, de lui pardonner à lui-même ses péchéset de l’accepter comme un indigne instrument pour instruire cetteidolâtre dans les principes de la religion. Après quoi il s’assitde nouveau près d’elle et leur dialogue se poursuivit.

N. B. C’était là le moment où nousl’avions vu s’agenouiller et lever les mains vers le ciel.

LA FEMME. – Pourquoi vous mettre les genoux àterre ? Pourquoi vous lever en haut les mains ? Quoi vousdire ? À qui vous parler ? Quoi est tout ça ?

WILLIAM ATKINS. – Ma chère, je ploie lesgenoux en signe de soumission envers Celui qui m’a créé. Je lui aidit, O ! comme vous appelez cela et comme vous racontez quefont vos vieillards à leur idole Benamuckée,c’est-à-dire que je l’ai prié.

 

LA FEMME – Pourquoi vous dire O ! àlui ?

W. A. – Je l’ai prié d’ouvrir vos yeux etvotre entendement, afin que vous puissiez le connaître et lui êtreagréable.

LA FEMME. – Pouvoir lui faire çaaussi ?

W. A. – Oui, il le peut ; il peut fairetoutes choses.

LA FEMME. – Mais lui pas entendre quoi vousdire ?

W. A. – Si. Il nous a commandé de le prier etpromis de nous écouter.

LA FEMME. – Commandé vous prier ! Quandlui commander vous ? Comment lui commander vous ?Quoi ! vous entendre lui parler ?

W. A. – Non, nous ne l’entendons pointparler ; mais il s’est révélé à nous de différentesmanières.

Ici Atkins fut très-embarrassépour lui faire comprendre que Dieu s’est révélé à nous par saparole ; et ce que c’est que sa parole ; mais enfin ilpoursuivit ainsi :

WILLIAM ATKINS. – Dieu, dans les premierstemps, a parlé à quelques hommes bons du haut du ciel, en termesformels ; puis Dieu a inspiré des hommes bons par son Esprit,et ils ont écrit toutes ses lois dans un livre.

LA FEMME. – Moi pas comprendre ça. Où est celivre ?

W. A. – Hélas ! ma pauvre créature, jen’ai pas ce livre ; mais j’espère un jour ou l’autrel’acquérir pour vous et vous le faire lire.

C’est ici qu’il l’embrassa avec beaucoup detendresse, mais avec l’inexprimable regret de n’avoir pas deBible.

LA FEMME. – Mais comment vous faire moiconnaître que Dieu enseigner eux à écrire ce livre ?

WILLIAM ATKINS. – Par la même démonstrationpar laquelle nous savons qu’il est Dieu.

LA FEMME. – Quelle démonstration ? quelmoyen vous savoir ?

W. A. – Parce qu’il enseigne et ne commanderien qui ne soit bon, juste, saint, et ne tende à nous rendreparfaitement bons et parfaitement heureux, et parce qu’il nousdéfend et nous enjoint de fuir tout ce qui est mal, mauvais en soiou mauvais dans ses conséquences.

LA FEMME. Que moi voudrais comprendre, que moivolontiers connaître ! Si lui récompenser toute bonne chose,punir toute méchante chose, défendre toute méchante chose, lui,faire toute chose, lui, donner toute chose, lui entendre moi quandmoi dire : O ! à lui, comme vous venir de faire juste àprésent ; lui faire moi bonne, si moi désir être bonne ;lui épargner moi, pas faire tuer moi, quand moi pas être bonne, sitout ce que vous dire lui faire ; oui, lui être grandDieu ; moi prendre, penser, croire lui être grand Dieu ;moi dire ; O ! aussi à lui, avec vous, mon cher.

Ici le pauvre homme nous dit qu’il n’avait puse contenir plus long-temps ; mais que prenant sa femme par lamain il l’avait fait mettre à genoux près de lui et qu’il avaitprié Dieu à haute voix de l’instruire dans la connaissance delui-même par son divin Esprit, et de faire par un coup heureux desa providence, s’il était possible, que tôt ou tard elle vînt àposséder une Bible, afin qu’elle pût lire la parole de Dieu et parlà apprendre à le connaître.

C’est en ce moment que nous l’avions vu luioffrir la main et s’agenouiller auprès d’elle, comme il a étédit.

Ils se dirent encore après ceci beaucoupd’autres choses qui serait trop long, ce me semble, de rapporterici. Entre autres elle lui fit promettre, puisque de son propreaveu sa vie n’avait été qu’une suite criminelle et abominable deprovocations contre Dieu, de la réformer, de ne plus irriter Dieu,de peur qu’il ne voulût – « faire lui mort, » – selon sapropre expression ; qu’alors elle ne restât seule et ne pûtapprendre à connaître plus particulièrement ce Dieu, et qu’il nefût misérable, comme il lui avait dit que les hommes méchants leseraient après leur mort.

Ce récit nous parut vraiment étrange et nousémut beaucoup l’un et l’autre, surtout le jeune ecclésiastique. Ilen fut, lui, émerveillé ; mais il ressentit la plus vivedouleur de ne pouvoir parler à la femme, de ne pouvoir parleranglais pour s’en faire entendre, et comme elle écorchaitimpitoyablement l’anglais, de ne pouvoir la comprendre elle-même.Toutefois il se tourna vers moi, et me dit qu’il croyait que pourelle il y avait quelque chose de plus à faire que de la marier. Jene le compris pas d’abord ; mais enfin il s’expliqua : ilentendait par là qu’elle devait être baptisée.

J’adhérai à cela avec joie ; et comme jem’y empressais :

– « Non, non, arrêtez, sir,me dit-il ; bien que j’aie fort à cœur de la voir baptisée,cependant tout en reconnaissant que Will Atkins, sonmari, l’a vraiment amenée d’une façon miraculeuse à souhaiterd’embrasser une vie religieuse, et à lui donner de justes idées del’existence d’un Dieu, de son pouvoir, de sa justice, de samiséricorde, je désire savoir de lui s’il lui a dit quelque chosede Jésus-Christ et du salut des pécheurs ; de lanature de notre foi en lui, et de notre Rédemption ; duSaint-Esprit, de la Résurrection, du Jugement dernieret d’une vie future.

Je rappelai Will Atkins, et je lelui demandai. Le pauvre garçon fondit en larmes et nous dit qu’illui en avait bien touché quelques paroles ; mais qu’il étaitlui-même si méchante créature et que sa conscience lui reprochaitsi vivement sa vie horrible et impie, qu’il avait tremblé que laconnaissance qu’elle avait de lui n’atténuât l’attention qu’elledevait donner à ces choses, et ne la portât plutôt à mépriser lareligion qu’à l’embrasser. Néanmoins il était certain, nous dit-il,que son esprit était si disposé à recevoir d’heureuses impressionsde toutes ces vérités, que si je voulais bien l’en entretenir, elleferait voir, à ma grande satisfaction, que mes peines ne seraientpoint perdues sur elle.

En conséquence je la fis venir ; et, meplaçant comme interprète entre elle et mon pieux ecclésiastique, jele priai d’entrer en matière.

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