Rocambole – La corde du pendu – Tome I

Rocambole – La corde du pendu – Tome I

de Pierre Alexis Ponson du Terrail

LA CORDE DU PENDU

I

L’écroulement du souterrain durait toujours.

La voûte de la galerie se détachait par fragments de blocs énormes.

Le sol continuait à mugir et à trembler.

On eût dit un de ces tremblements de terre qui ébranlent les cités du nouveau monde.

Vanda était tombée à genoux et priait.

Pauline, suspendue au cou de Polyte, lui disait :

– Au moins, nous mourrons ensemble !

Milon hurlait de fureur et brandissait ses poings énormes en répétant :

– Ah ! les gredins de fénians !les propres à rien ! les canailles !

Marmouset, lui, regardait le maître.

Le maître était calme, debout, le front haut.

Il semblait attendre la fin de ce cataclysme avec la tranquillité d’un homme qui se sait au-dessus de la mort.

Enfin, l’ébranlement s’apaisa.

Le bruit cessa tout à coup et les blocs de roche cessèrent de tomber.

– En avant ! dit alors Rocambole.

Vanda se redressa, l’œil en feu.

– Ah ! dit-elle, nous sommes sauvés !

– Pas encore, répondit-il. Mais marchons toujours.

Le souterrain était obstrué de blocs de roche énormes.

Cependant, Rocambole, armé d’une pioche, se fraya le premier un passage au milieu de ces décombres.

Ses compagnons, rassurés, le suivaient.

Ils firent ainsi une centaine de pas.

Tout à coup, Rocambole s’arrêta.

Au milieu de la galerie, un objet volumineuxvenait d’attirer son attention.

Cet objet était un tonneau.

Et ce tonneau était rempli de poudre.

Il était facile de s’en convaincre en voyantune mèche soufrée qui dépassait la bonde d’un demi-pied.

Que faisait là ce tonneau ?

Qui donc l’avait apporté ?

Les fénians connaissaient-ils donc aussi cepassage ?

Marmouset s’était pareillement approché.

Et, comme le maître, il regardait avecétonnement le baril et semblait se poser les mêmes questions.

Vanda et les autres se trouvaient à unecertaine distance.

Rocambole dit enfin :

– Il est impossible que les fénians aientapporté cela ici.

– Qui voulez-vous que ce soit, alors,maître ? demanda Marmouset.

Rocambole tournait et retournait autour dutonneau.

Enfin, son front plissé se dérida ; unsourire revint à ses lèvres.

– Mes enfants, dit-il, nous n’étions pasnés le jour où ce baril a été transporté ici.

– En vérité ! murmura Marmouset.

– Cette poudre a deux cents ans, continuaRocambole.

– Est-ce possible ?

– Voyez le tonneau, examinez-le. Le boisen est vermoulu et se déchiquette sous le doigt.

– C’est vrai, dit Marmouset.

– Ne touche pas à la mèche, dit encore lemaître, car elle est tellement sèche qu’elle tomberait enpoussière.

– Et, dit Polyte, qui n’avait pas faitdes études bien approfondies sur la matière, c’est de la poudre, jecrois, qui n’est pas méchante.

– Tu crois ?

Et Rocambole regarda en souriant le gamin deParis.

– Dame ! fit Polyte, une poudre sivieille doit être éventée.

– Tu te trompes.

– Ah !

– Elle est dix fois plus violente que dela poudre neuve.

– Bigre ! alors, il faut faireattention.

– À quoi ?

– À ne pas y mettre le feu.

– Et pourquoi cela ?

– Mais, dame ! après ce qui vient denous arriver !

– Laissons là cette poudre et marchonstoujours, dit Rocambole.

Et il continua son chemin.

Le souterrain allait toujours en s’abaissant,et le sol fuyait sous les pieds.

C’était là une preuve qu’on approchait de plusen plus de la Tamise.

Mais, tout à coup, Rocambole s’arrêta denouveau.

– Ah ! dit-il, voilà ce que jecraignais.

Le souterrain était fermé par un bloc derochers qui s’était détaché de la voûte et remplissait l’officed’une porte.

– Prisonniers ! murmura Vanda, queson épouvante reprit.

Rocambole ne répondit pas.

Il voyait sa dernière espérances’évanouir.

La route était barrée.

Revenir en arrière serait tout aussiimpossible.

C’était s’exposer, du reste, à tomber auxmains des policemen, qui, dans quelques minutes peut-être, lapremière stupeur passée, envahiraient les souterrains découvertstout à coup et que la génération actuelle avait ignorés.

– Allons ! dit Rocambole après unmoment de silence, il faut vaincre ou mourir.

– Je suis bien fort, dit Milon, mais cen’est pas moi qui me chargerais de pousser ce caillou-là.

– Si on pouvait le saper, ditMarmouset.

– Avec quoi ? Nous n’avons pas lesoutils nécessaires.

– C’est vrai.

– Et puis, c’est de la roche dure…

– Ah ! dit encore Vanda, je le sensbien, nous mourrons ici.

– Peut-être… dit Rocambole.

Pauline s’était de nouveau jetée au cou dePolyte.

Et Polyte lui disait :

– Ne pleure pas ; tout n’est pasdésespéré encore. Regarde cet homme comme il est calme…

En effet, Rocambole était aussi tranquille ence moment que s’il se fût encore trouvé dans le salon du gouverneurde Newgate.

– Marmouset, dit-il enfin, et toi, Milon,écoutez-moi bien.

– Parlez, maître.

– N’entendez-vous pas un bruitsourd ?

– Oui.

– C’est la Tamise, qui n’est plus qu’àune faible distance de nous.

– Bon ! fit Milon.

– Examinez maintenant la voûte de cettegalerie. Elle est taillée dans le roc vif.

– Oui, dit Marmouset, et c’est une rochevive qui nous défend d’aller plus loin.

– Attendez donc, fit Rocambole. Vous avezmanié souvent, l’un et l’autre, des armes à feu.

– Parbleu ! dit Marmouset.

– Eh bien ! suivez mon raisonnement.Supposons deux choses : la première, que cette galerie esttout près de la Tamise.

– Ceci est sûr, dit Milon.

– Supposons encore qu’elle est comme uncanon de fusil.

– Bon ! fit Marmouset.

– Et que cette roche que nous avonsdevant nous et qui nous ferme le chemin, est un projectile.

– Après ? dit Milon.

– Nous avons la poudre, continuaRocambole.

– Vous voulez faire sauter lerocher ?

– Non pas, mais le projeter en avant.

– Ah !

– Et le chasser jusqu’au bout de lagalerie, où il rencontrera la Tamise.

– Cela me paraît difficile, ditMarmouset.

– Pourquoi ?

– Parce que la poudre, ne rencontrantpoint de tube en arrière, n’aura pas de point d’appui, et tout ceque nous aurons gagné à cet effet sera de produire un nouvelécroulement dans la galerie qui nous ensevelira cette fois.

– Marmouset a raison, dit Vanda.

– Il a tort, dit froidementRocambole.

Alors, on se regarda avec anxiété.

Mais lui, toujours calme, toujours froid,regarda Marmouset et lui dit :

– C’est la force de résistance qui temanque, n’est-ce pas ?

– Oui, la force de résistance que lapoudre rencontre au tonnerre, et qui lui permet de produire sonexpansion en avant.

– Eh bien ! rien n’est plus simple àobtenir.

– Ah !

– Milon, toi et moi, nous allons pousserle baril devant nous, et nous le coucherons contre le rocher, lamèche en arrière, bien entendu.

– Et puis ? demanda Marmouset.

– Puis, nous coulerons les uns après lesautres tous les blocs plus petits qui obstruent la galerie.

– Et nous élèverons une sorte de muraillederrière le tonneau, n’est-ce pas, maître ? fit Milon.

– Précisément, et nous ferons cettemuraille six fois plus épaisse que la roche qu’il s’agit depousser.

– Et combien d’heures estimez-vous que vanous coûter un pareil travail ?

– Six heures au moins.

– Mais, dit Vanda, avant six heures,avant une heure peut-être nous serons perdus !

– Et pourquoi cela ?

– Parce que les policemen et les soldatsvont envahir les souterrains.

Rocambole haussa les épaules.

– D’abord, dit-il, l’écroulement completde la salle circulaire que nous avons laissée derrière nous nousprotège. Ensuite, il est probable qu’on nous croira morts.

– Un bout de temps, six heures ! ditMilon.

Rocambole se prit à sourire.

– Tu trouves que c’est long ?

– Dame !

– Eh bien ! suppose que la muraillequ’il s’agit d’édifier est construite.

– Bon !

– Et qu’il ne nous reste plus qu’à mettrele feu au baril.

– Eh bien ?

– Il nous faudrait encore attendre septou huit heures.

Et comme on le regardait et que personne neparaissait comprendre :

– Le bruit sourd que nous entendons,dit-il, nous prouve que nous sommes près de la Tamise.

– Oui, dit Milon.

– Et c’est l’heure de la marée ; ilfaut donc attendre que la Tamise ait baissé.

– Pourquoi ?

– Parce que le bloc de roche, au lieud’être poussé en avant, rencontrerait une force de résistanceinvincible dans la colonne d’air que le fleuve emprisonnera, tantqu’il ne sera pas descendu au-dessous de l’orifice dusouterrain.

– Tout cela est fort juste, ditMarmouset. Mais j’ai encore une objection à faire.

– Voyons ?

– Comment mettrons-nous le feu au baril,quand nous l’aurons emprisonné entre le bloc de roche et lamuraille que nous allons élever ?

– Au moyen de la mèche, que nouslaisserons passer entre les pierres.

– Mais elle sera trop courte.

– Nous l’allongerons avec nos chemisescoupées en lanières.

– Pas assez pour que celui qui sedévouera…

– Cela ne te regarde pas, ditRocambole.

– Hein ? fit Marmouset.

– Un seul homme mettra le feu, et cethomme c’est moi !

– Qui ? Vous ! exclamèrent à lafois Milon, Vanda et Marmouset.

– Moi, répéta-t-il tranquillement avec unsourire hautain aux lèvres. Vous m’appelez le maître ; quandj’ordonne, vous devez obéir !… À l’œuvre !…

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