Romans et contes

Notice pour les contes de ce volume

Ce premier tome comprend une série de contes qui, pour la plupart, sont du type des contes orientaux. Voltaire est parti de là. Il écrivait le 15 août 1775 à Messieurs les éditeurs de la Bibliothèque universelle des romans : « Ma lettre deviendrait un volume si je recherchais les plus anciennes origines des romans, des contes et des fables ; je les retrouverais peut-être chez les premiers brahmanes et chez les premiers Persans. » On sait, en effet, et Gaston Paris l’a montré, que l’épisode de l’ermite, dans Zadig (de même que le Meunier, son Fils et l’Âne de La Fontaine), remonte à la plus vieille littérature orale, celle de l’Inde. Voltaire a assuré ses premiers pas de conteur sur des fables dont l’origine se perd dans la nuit des temps Et il s’est également inspiré des Mille et une Nuits, quelque dédain qu’il ait marqué pour ce recueil qu’avait mis à la mode en France la traduction de Galland dont l’enfance de Voltaire s’était certainement amusée. Le grand succès des Lettres persanes, qui avaient paru au temps de sa jeunesse, a pareillement contribué à lui faire choisir un genre qui rend l’allusion spirituelle et facile.

Le monde comme il va, vision de Babouc, le Crocheteur borgne et Cosi-Sancta sont ou passent pour être les trois nouvelles de Sceaux ». C’est très probablement dans les derniers mois de 1747, chez la duchesse du Maine, que Babouc a été écrit. Il a paru pour la première fois en 1 748 dans l’édition des œuvres de Voltaire donnée à Dresde par G.-C. Walther. Dans ce joli récit, on trouve déjà quelques-uns des thèmes de Candide, mais avec une sorte de volonté de compenser le mal par le bien. L’indulgence est la mesure dans laquelle Voltaire peut être optimiste, à peu près la mesure d’Alfred Capus. Babouc est véritablement très parisien. C’est une chronique de Paris en 1747. On reconnaîtra mille allusions au passage. Le petit vieillard courbé sous le poids des années et des affaires, mais encore vif et plein d’esprit », est le cardinal de Fleury. La belle Téone est Mme du Châtelet, selon Bengesco, qui doit avoir raison contre Beuchot, lequel voulait que ce fût Mme de Pompadour.

Le Crocheteur borgne n’a été imprimé qu’en 1774, et, chose imprévue, dans le Journal des Dames dirigé par une Mme de Princen, qui était le prête-nom de Durosoi. Ce conte rapide montre que Voltaire avait un certain nombre d’idées fixes. Il se demandait, lui aussi, lequel serait le plus heureux, d’un artisan qui rêverait toutes les nuits qu’il est roi ou d’un roi qui rêverait toutes les nuits qu’il est artisan. La vie est-elle un songe ? Le songe a-t-il une réalité ? Le temps existe-t-il ? C’est à peu près toute la métaphysique de Voltaire. Il y reviendra avec plus de développement dans le Blanc et le Noir. Le texte du Crocheteur avait été expurgé par le Journal des Dames. L’édition de Kehl l’a rétabli en entier. Notons qu’on a parfois contesté que cette nouvelle fût de Voltaire, d’ailleurs sans raison sérieuse. Les passages graveleux font penser que le Sopha de Crébillon fils est de 1745.

Cosi-Sancta a paru pour la première fois dans l’édition de Kehl. On peut remarquer la ressemblance de ce petit conte avec l’Histoire de Madame de Luz, de Duclos, qui date de 1741 et qui est à nos yeux une parodie de la Princesse de Clèves. Mais la ressemblance se remarquera encore mieux dans l’Ingénu : les romans de Voltaire sortent pour ainsi dire les uns des autres. Ne manquons pas de noter aussi, avec tous les éditeurs, que Voltaire s’est trompé en disant qu’il avait lu l’aventure de Cosi-Sancta dans la Cité de Dieu. Elle se trouve dans un sermon de saint Augustin, le Sermon de Jésus-Christ sur la Montagne.

Zadig a une histoire beaucoup plus compliquée que les trois contes qui précèdent. Ce roman avait d’abord paru à Londres en 1 747 sous le titre de Memnon, histoire orientale. Il ne faut pourtant pas le confondre avec l’autre conte qui porte le titre de Memnon. Il reparut en 1748 à Nancy avec ce titre nouveau et définitif : Zadig ou la destinée, histoire orientale. Voltaire fut accusé, en particulier par Fréron, d’avoir copié un poème anglais de Parnell, The Ermit. C’est l’éternelle question du plagiat. A la vérité, Voltaire s’est inspiré de nombreux contes orientaux, persans et chinois et même du Roland furieux pour composer une œuvre originale. Gaston Paris a tout remis au point. (La Poésie au Moyen Age, première série.) Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’épisode le plus fameux de Zadig est un bien commun, une de ces histoires qui se sont transmises depuis les origines de l’humanité.

Quelques clefs sont nécessaires. On ne manquera pas de reconnaître Mme de Pompadour dans la sultane Sheraa de l’épître dédicatoire. Le Yébor du chapitre IV est le théatin Boyer. Enfin l’expression « le cœur et l’esprit » qui avait le don d’irriter Voltaire était chère au bon Rollin.

Memnon ou la Sagesse humaine, qu’il ne faut donc pas confondre avec la première version de Zadig, fut imprimé en 1 749 dans le « Recueil des pièces en vers et en prose par l’auteur de la tragédie de Sémiramis ». C’est à propos de Memnon qu’un informateur littéraire du temps, Clément, a dit le mot le plus juste sur l’art de Voltaire : « Ce n’est rien que l’idée générale en comparaison de l’exécution. » On verra, à la fin de Memnon, que Voltaire se moque déjà des philosophes qui prétendent que tout est bien ». Encore une de ses idées constantes. Il n’a pas attendu le tremblement de terre de Lisbonne pour railler l’optimisme.

Bababec et les Fakirs, lettre d’un Turc ou Lettre d’un Turc sur Bababec et les Fakirs figure au tome IX de l’édition de Dresde (1750). L’irrespect de Voltaire s’étend au sanscrit et au berceau de l’humanité. Cet homme qui ne vénérait pas grand chose riait même du Zend-Avesta et il n’aurait sans doute pas mieux traité Rabindranath Tagore.

Avec Micromégas il change de manière. On a dit que c’était du Swift, mais Swift était aussi du Cyrano de Bergerac. Micromégas est une variation sur les deux infinis » et une satire de Maupertuis, le rival de Voltaire à Berlin. Rien de plus clair que l’allusion au voyage d’études astronomiques de Maupertuis dans les régions polaires. Les pointes à l’adresse de Fontenelle se reconnaissent aussi aisément. Le thème de Micromégas tourmentait Voltaire depuis longtemps, puisqu’il en parle comme d’une ancienne plaisanterie » On ne peut guère douter que ce soit une reprise de ce Voyage du baron de Gangan qu’il annonçait à Frédéric comme une fadaise philosophique » et qu’il y a tout lieu de croire définitivement perdu.

Les Deux Consolés, l’Histoire des Voyages de Scarmentado, le Songe de Platon se trouvent dans le recueil de 1756 des Mélanges de l’éditeur Cramer. Scarmentado est, de toute évidence, une esquisse de Candide. Les linéaments de l’œuvre prochaine y apparaissent. Pour l’étude de ce phénomène mystérieux qui s’appelle l’élaboration littéraire, c’est un document précieux. Le lecteur fait de lui-même les rapprochements. Il découvre à l’état sommaire et comme naissant quelques-uns des épisodes qui vont s’enrichir et trouver bientôt leur forme parfaite.

Ainsi, à la fin des contes qui composent ce volume, on voit que Voltaire s’est essayé et qu’il a pris de l’assurance. Maintenant Candide peut et doit venir.

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