Sébastien Roch

Sébastien Roch

d’ Octave Mirbeau

 

maître vénérable et fastueux du livre moderne

à

EDMOND DE GONCOURT

ces pages sont respectueusement dédiées

O. M.

Partie 1
LIVRE PREMIER

 

Chapitre 1

 

L’école Saint-Francois-Xavier, que dirigeaient, que dirigent encore les Pères Jésuites, en la pittoresque ville de Vannes, se trouvait, vers 1862, dans tout l’éclat de sa renommée. Aujourd’hui, par un de ces caprices de la mode qui atteignent et changent la forme des gouvernements, des royautés féminines, des chapeaux et des collèges, bien plus que parles récentes persécutions politiques, lesquelles n’amenèrent qu’un changement de personnel vite rétabli, elle est tombée au niveau d’un séminaire diocésain quelconque. Mais, à cette époque, il en existait peu, soit parmi les congréganistes, soit parmi les laïques, d’aussi florissantes. Outre les fils des familles nobles de la Bretagne, de l’Anjou, de la Vendée, qui formaient le fond de son ordinaire clientèle, la célèbre institution recevait des élèves de toutes les parties de la France bien-pensante. Elle en recevait même de l’étranger catholique, d’Espagne, d’Italie, de Belgique,d’Autriche, où l’impatience des révolutions et la prudence des partis forcèrent jadis les Jésuites de se réfugier, et où ils ont laissé d’inarrachables racines. Cette vogue, ils la tenaient de leur programme d’enseignement, réputé paternel et routinier ;ils la tenaient surtout de leurs principes d’éducation, qui offraient d’exceptionnels avantages et de rares agréments :une éducation de haut ton, religieuse et mondaine à la fois, comme il en faut à de jeunes gentilshommes, nés pour faire figure dans le monde, et y perpétuer les bonnes doctrines et les belles manières.

Ce n’était point par hasard que les Jésuites,à leur retour de Brugelette, s’étaient installés, en plein cœur dupays armoricain. Aucun décor de paysage et d’humanité ne leurconvenait mieux pour pétrir les cerveaux et manier les âmes. Là,les mœurs du moyen âge sont encore très vivantes, les souvenirs dela chouannerie respectés comme des dogmes. De tous les paysbretons, le taciturne Morbihan est demeuré le plus obstinémentbreton, par son fatalisme religieux, sa résistance sauvage auprogrès moderne, et la poésie, âpre, indiciblement triste de sonsol qui livre l’homme, abruti de misères, de superstitions et defièvres, à l’omnipotente et vorace consolation du prêtre. De ceslandes, de ces rocs, de cette terre barbare et souffrante, plantéede pâles calvaires et semée de pierres sacrées, émanent unmysticisme violent, une obsession de légende et d’épopée, bienfaits pour impressionner les jeunes âmes délicates, les pénétrer decette discipline spirituelle, de ce goût du merveilleux et del’héroïque, qui sont le grand moyen d’action des Jésuites, et parquoi ils rêvent d’établir, sur le monde, leur toute-puissance… Lesprospectus de l’établissement – chefs-d’œuvre typographiques –ornés de dessins pieux, de vues affriolantes, de noms sonores, deprières rimées et de certificats hygiéniques, ne tarissaient pasd’éloges sur la supériorité morale du milieu breton, en même tempsqu’une description lyrique des paysages et des monuments excitaitla passion des archéologues et la curiosité des touristes. Entre deglorieuses évocations de l’histoire locale, de ses luttes, de sesmartyres, ces prospectus avertissaient aussi les familles que, parune grâce spéciale, due à la proximité de Sainte-Anne-d’Auray, lesmiracles n’étaient pas rares, au collège, principalement versl’époque du baccalauréat, que les élèves prenaient des bains de mersur une plage bénite, et qu’ils mangeaient de la langouste, unefois par semaine.

Devant un tel programme, et malgré la modestiede sa condition, M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier àPervenchères, petite ville du département de l’Orne, osa concevoirl’orgueilleuse pensée d’envoyer, chez les Jésuites de Vannes, sonfils Sébastien qui venait d’avoir ses onze ans. Il s’en fut trouverle curé qui approuva chaudement.

– Cristi ! Monsieur Roch, c’est unecrâne idée… Quand on sort de ces maisons-là, voyez-vous ?…Mazette !… Quand on sort de là !… Puu… ut !…

Et, prolongeant en sifflement le son de cetteexclamation qui lui était familière, il traça dans l’air, avec sonbras, un geste dont l’amplitude embrassait le monde.

– Hé ! parbleu !… je le saisbien, acquiesça M. Roch qui répéta, en l’élargissant encore, legeste du curé. Hé ! parbleu !… à qui ledites-vous ?… Oui, mais c’est très cher ; c’est tropcher…

– C’est trop cher ?… riposta lecuré… Ah ! dame… Écoutez donc… Toute la noblesse, toutel’élite… Ça n’est pas non plus de la petite bière, ça, MonsieurRoch !… Les Jésuites… Bigre ! ne confondons pas, je vousprie, autour avec alentour… Ainsi, moi, j’ai connu un général etdeux évêques… Eh bien, ils en venaient… voilà !… Et lesmarquis, mon cher monsieur, y en a ! y en a !… Vouscomprenez, ça se paie, ces choses-là !…

– Hé ! parbleu ! Je ne dis pasnon… protesta M. Roch, ébloui… Évidemment, ça doit sepayer !

Il ajoute, en se rengorgeant :

– D’ailleurs où serait le mérite ?…Car enfin, soyons justes… C’est comme moi, Monsieur le curé… Unebelle lampe, n’est-ce pas ? je la vends plus cher qu’unevilaine…

– Voilà la question ! résuma le curéqui tapota l’épaule de M. Roch à menus coups, affectueux etencourageants… Vous avez, mon cher paroissien, mis le doigt sur laquestion… Les Jésuites !… Bigre ! ça n’est pasrien !

Longtemps, ils se promenèrent, judicieux etprolixes, sous les tilleuls du presbytère, préparant à Sébastien unavenir splendide. Le soleil gouttelait d’entre les feuilles, surleurs vêtements et sur les herbes de l’allée. L’air était lourd.Lentement, les mains croisées derrière le dos, ils marchaient,s’arrêtant, tous les cinq pas, très rouges, en sueur, l’âme rempliede rêves grandioses. Un petit chien les suivait qui, derrière eux,trottinait en boitant et tirait la langue. M. Rochrépéta :

– Quand on a les Jésuites dans sa manche,on est sûr de faire son chemin !

Sur quoi, le curé appuya de sonenthousiasme :

– Et quel chemin !… Car ce qu’ilsont le bras long, ces messieurs !… On ne peut pas… non, on nepeut pas s’en faire une idée.

Et sur un ton de confidence, il murmura d’unevoix qui tremblait de respect et d’admiration :

– Et puis, vous savez… On dit qu’ilsmènent le pape… Tout simplement !

 

Sébastien, en faveur de qui s’agitaient cesprojets merveilleux, était un bel enfant, frais et blond, avec unecarnation saine, embue de soleil, de grand air, et des yeux trèsfrancs, très doux, dont les prunelles n’avaient jusqu’ici reflétéque du bonheur. Il avait la viridité fringante, la grâce élastiquedes jeunes arbustes qui ont poussé, pleins de sève, dans les terresfertiles ; il avait aussi la candeur introublée de leurvégétale vie. À l’école où il allait, depuis cinq ans, il n’avaitrien appris, sinon à courir, à jouer, à se faire des muscles et dusang. Ses devoirs bâclés, ses leçons vite retenues, plus viteoubliées, n’étaient qu’un travail mécanique, presque corporel, sansplus d’importance mentale que le saut du mouton ; ilsn’avaient développé, en lui, aucune impulsion cérébrale, déterminéaucun phénomène de spiritualité. Il aimait à se rouler dansl’herbe, grimper aux arbres, guetter le poisson au bord de larivière, et il ne demandait à la nature que d’être un perpétuelchamp de récréation. Son père, absorbé tout le jour par lesmultiples détails d’un commerce bien achalandé, n’avait pas eu letemps de semer, en cet esprit vierge, les premières semences de lavie intellectuelle. Il n’y songeait pas, aimant mieux, aux heuresde loisir, prononcer des discours aux voisins assemblés devant saboutique. Majestueux et hanté de transcendantales sottises, jamais,du reste, il n’eût consenti à descendre jusqu’aux naïves curiositésd’un enfant. Il faut dire, tout de suite, qu’il eût été l’homme leplus embarrassé du monde, car son ignorance égalait sesprétentions, lesquelles étaient infinies. Un soir d’orage,Sébastien désira savoir ce que c’était que le tonnerre :« C’est le bon Dieu qui n’est pas content », expliqua M.Roch, interloqué par cette brusque question qu’il n’avait pasprévue. À plusieurs autres interrogations qui mettaient, chaquefois, sa science en défaut, il se tirait d’affaire, avec cetinvariable aphorisme : « Il y a des connaissancesauxquelles un gamin de ton âge ne doit pas être initié. »Sébastien s’en tenait là, ne se sentant pas le goût de fouiller lesecret des choses, ni de continuer cette vaine incursion à traversle domaine moral. Et il était retourné à ses jeux, sans en demanderplus. À l’âge où le cerveau des enfants est déjà bourré demensonges sentimentaux, de superstitions, de poésies déprimantes,il eut la chance de ne subir aucune de ces déformationshabituelles, qui font partie de ce qu’on appelle l’éducation de lafamille. En grandissant, loin de s’étioler, sa peau se colora d’unsang plus vif ; loin de se raidir, ses membres sans cesse enmouvement s’assouplirent, et ses yeux gardèrent cette expressionprofonde, qui est comme le reflet des grands espaces, et qui met del’infini au mystérieux regard des bêtes. Mais on disait, dans lepays, que pour le fils d’un homme aussi spirituel, aussi savant,aussi à son aise que M. Roch, il était bien en retard, etque c’était bien malheureux. Le père ne s’en inquiétait pas. Il nepouvait entrer dans sa pensée qu’un enfant, sorti de sa proprechair, pût mentir à sa naissance et manquer aux destinéesbrillantes qui l’attendaient.

– Comment m’appellé-je ?interrogeait-il parfois, en plongeant dans les yeux de Sébastien unregard dominateur.

– Joseph, Hippolyte, Elphège, Roch,répondait l’enfant sur le ton d’une leçon récitée.

– Souviens-toi toujours de cela… Aie sanscesse présent à l’esprit mon nom… le nom des Roch… et tout irabien. Répète un peu.

Et d’une voix précipitée, mangeant la moitiédes syllabes, le petit Sébastien recommençait :

– J’seph… p’lyte… phège Roch !

– Allons… c’est très bien !complimentait le quincaillier, satisfait d’entendre un nom qu’iltrouvait beau et magique comme un talisman.

M. Roch habitait, dans la rue de Paris, unemaison reconnaissable à ses deux étages, et à son magasin, peint envert foncé, réchampi de larges filets rouges. Derrière les glacesde la devanture, reluisaient des cuivreries, des lampes enporcelaine, des irrigateurs richement bronzés, dont les tuyaux decaoutchouc, déroulés en guirlandes, formaient avec les bouillottes,les couronnes tombales, les abat-jour dentelés, les soufflets encuir rouge, cloutés d’or, des motifs de décoration ingénieux etséducteurs. Il tirait grande vanité de cette maison, la seule de larue qui eût deux étages et fût couverte en ardoise, ainsi que de cemagasin, le seul du pays qui montrât, inscrite sur un fond demarbre noir, une enseigne éblouissante, aux lettres dorées et enrelief. Les voisins enviaient l’air de supériorité et deconfortable rare que donnaient, à cette habitation luxueuse, lafaçade, crépie de deux tons de jaune, et les fenêtres, encadrées demoulures historiées, d’une blancheur crue de plâtre neuf. Mais ilsen étaient fiers pour la ville. M. Roch n’était point, d’ailleurs,un individuquelconque, et faisait honneur au pays, autantpar son caractère que par sa maison. Il jouissait à Pervenchèresd’une situation privilégiée. Sa réputation d’homme riche, sesqualités de beau parleur et l’orthodoxie de ses opinions lemettaient au-dessus de l’état d’un commerçant ordinaire. Labourgeoisie fusionnait avec lui, sans crainte de déchoir, lesfonctionnaires les plus importants s’arrêtaient volontiers, auseuil de sa boutique, et causaient avec lui, sur « le piedd’égalité » ; chacun, selon son rang, lui marquaitl’amitié la plus cordiale, ou la considération la plusrespectueuse.

M. Roch était gros et rond, soufflé de graisserose, avec un crâne tout petit que le front coupait carrément enfaçade plate et luisante. Le nez, d’une verticalité géométrique,continuait, sans inflexions ni ressauts, entre des joues, sansombres ni plans, la ligne rigide du front. Un collier de barbereliait, de sa frange cotonneuse, les deux oreilles, vastes,profondes, inverties et molles comme des fleurs d’arum. Les yeux,enchâssés dans les capsules charnues et trop saillantes despaupières, accusaient des pensées régulières, l’obéissance auxlois, le respect des autorités établies, et je ne sais quellestupidité animale, tranquille, souveraine, qui s’élevait parfoisjusqu’à la noblesse. Ce calme bovin, cette majesté lourde deruminant en imposaient beaucoup aux gens qui croyaient yreconnaître tous les caractères de la race, de la dignité et de laforce. Mais ce qui lui conciliait, mieux encore que ces avantagesphysiques, l’universelle estime, c’est que, opiniâtre liseur dejournaux et de livres juridiques, il expliquait des choses,répétait, en les dénaturant, des phrases pompeuses, que ni lui, nipersonne ne comprenait, et qui laissaient néanmoins, dans l’espritdes auditeurs, une impression de gêne admirative.

Sa conversation avec le curé l’avait fortexcité. Toute la journée, il demeura plus grave que de coutume,plus préoccupé, distrait de sa besogne par une foule de penséestumultueuses qui se livraient dans son crâne à de trop rudescombats. Le soir, après le dîner, il retint, longtemps, auprès delui, le petit Sébastien qu’il observait à la dérobée, d’un airprofond, sans lui parler de rien. Il dit seulement le lendemain, àquelques clients notables, sur un ton de confidence :« Peut-être se passera-t-il, ici, bientôt, un événementimportant. Attendez-vous à une grosse nouvelle. » Si bien que,rentrés chez eux, les gens intrigués se livraient aux plusimprobables conjectures. De maison en maison, le bruit courut queM. Roch allait se remarier. Il fut obligé de dissiper cette erreurflatteuse, et de mettre Pervenchères au courant de ses projets.D’ailleurs, quoiqu’il aimât à accaparer la curiosité publique parde petits mystères ingénieux, qui amenaient des commentaires et desdiscussions sur sa personne, il n’était point homme à garder, delongs jours, un secret dont il pouvait tirer un hommage direct etprompt. Mais il ajouta :

– C’est un simple projet… il n’y a riende fait encore… Je réfléchis, je pèse, je compare.

Deux raisons puissantes l’encourageaient dansle choix dispendieux qu’il avait fait du collège de Vannes :l’intérêt de Sébastien qui recevrait là une instruction« cossue », et ne pouvait manquer d’être façonné à degrandes choses ; sa propre vanité, surtout, qui seraitdélicieusement caressée, quand on dirait, en parlant de lui :« C’est le père du petit jeune homme qui est auxJésuites. » Il accomplissait un devoir, plus qu’un devoir, unsacrifice dont il entendait bien écraser son fils, et se parer auxyeux de tous. En même temps, il augmentait notablement saconsidération locale. C’était tentant. Cela méritait aussi degraves, de longues réflexions, car M. Roch ne pouvait jamais serésigner à prendre un parti avec simplicité. Il fallait qu’iltournât et retournât les choses sous toutes leurs faces, qu’il lesétudiât sous tous leurs angles, et que, finalement, il se perdîtdans une série de complications absurdes, lointaines,inextricables, tout à fait étrangères au sujet. Quoiqu’il connût, àun centime près, sa fortune, il voulut établir sa caisse à nouveau,repasser ses inventaires, vérifier minutieusement l’état de sesrevenus. Il fit des comptes, équilibra des budgets, se posa desobjections irréfutables, les réfuta par d’irréfutablesraisonnements. Et ce furent les paroles du curé, qui toujoursrésonnaient à ses oreilles : « Et les marquis !… Yen a ! Y en a ! », bien plus que la bonne situationde ses affaires, qui achevèrent de le décider. En écrivant au Pèrerecteur du collège de Vannes, il lui sembla qu’il entrait deplainpied dans l’armorial de France.

Mais ce n’était point aussi facile qu’ill’avait tout d’abord supposé, et son amour-propre fut soumis à dedures épreuves. Les Révérends Pères, en pleine vogue, obligés,chaque vacance, d’agrandir leur établissement, se montraientsévères dans le choix des élèves, et quelque peu dégoûtés. Enprincipe, ils n’admettaient à l’internat que les fils de nobles etde ceux-là dont la position sociale pût faire honneur à leurpalmarès. Pour le reste, pour le menu fretin des bourgeoisiesobscures et mal rentées, ils demandaient à réfléchir ; aprèsquoi, ayant réfléchi, ils ne demandaient, le plus souvent, qu’às’abstenir, sauf, bien entendu, lorsqu’on leur présentait un petitprodige, qu’ils s’attribuaient généreusement, en vue des prospectusà venir. M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch – bien qu’il passât pourriche, à Pervenchères – n’était point dans le cas des privilégiésde la fortune, des hors concours de la naissance ; quoiquemarguillier, il était notoirement classé « parmi lereste » ; et Sébastien n’annonçait, en rien, un prodige.Une première année, les Jésuites opposèrent aux démarches réitéréesde M. Roch des objections spécieuses et polies… l’encombrement…l’extrême jeunesse de l’élève… et toute la série dilatoiredes : « Ne craignait-il pas ? »… Ce fut unecruelle déception pour le vaniteux quincaillier. Si les Jésuitesrefusaient de prendre son fils, qu’allait-on penser de lui, àPervenchères ? Sa situation s’en trouverait sûrement diminuée.Déjà il croyait reconnaître des regards ironiques dans les yeux deses amis, qui lui demandaient : « Hé bien !… Vousgardez donc Sébastien ? » Il faisait bonne contenance, etrépondait : « Vous savez, ce n’est qu’un projet… Il n’y arien de fait encore. Je réfléchis, je pèse, je compare… Et puis lesJésuites !… Hé !… Hé !… Je me tâte… J’ai peur qu’onexagère… Là, vraiment, n’exagère-t-on pas ? » Mais ilavait la mort dans l’âme. Il est probable que le pauvre Sébastienen eût été réduit à pomper la vie intellectuelle aux vulgaires etcoriaces tétines des séminaires diocésains, ou des lycéesdépartementaux, si, son père, en des lettres mémorables, ne s’étaitvigoureusement réclamé de la glorieuse histoire de sa famille, sousla Révolution.

Il expliqua, qu’en 1786, le comte duPlessis-Boutoir, dont le vaste domaine occupait tout le pays dePervenchères et les communes circonvoisines, voulant être agréableà Dieu, ainsi que l’atteste une plaque commémorative de marbrenoir, restaura de ses deniers l’église paroissiale, constructionromane du douzième siècle, connue pour le beau tympan sculpté de saporte et l’admirable ordonnance de ses arcatures. Le comte amena deParis des tailleurs de pierre, parmi lesquels se trouvait un jeunehomme, du nom de Jean Roch, originaire de Montpellier, et, d’aprèsdes probabilités flatteuses, mais malheureusement non établies,descendant de saint Roch qui vécut et mourut en cette ville. CeJean Roch fut, à n’en pas douter, un ouvrier d’un rare mérite. Onlui doit la réfection de deux chapiteaux représentant le massacredes Innocents, et celle des animaux symboliques qui ornent leportail. Il s’installa dans le pays, s’y maria, car c’était unhomme rangé, fonda la dynastie actuelle des Roch, exécuta diverstravaux importants, entre autres le chœur de la chapelle de laVierge, qu’on peut voir au couvent des Dames de l’Éducationchrétienne, et qui est considéré, par les connaisseurs, comme unemerveille d’art. En 1793, les révolutionnaires, armé de pioches etde torches enflammées, tentèrent de démolir l’église que Jean Roch,soutenu par quelques compagnons seulement, défendit. Capturé, toutsanglant, après une lutte héroïque, les bandits l’attachèrent àcalifourchon sur un âne, le visage tourné vers la croupe et, dansla main, la queue de l’animal, en guise de cierge. Ensuite, ils lelâchèrent, lui et son âne, à travers les rues, où tous les deuxfurent massacrés à coups de bâton. Et M. Roch, rappelant chaquedétail de la tragique mort de cet ancêtre martyr, qu’il comparait àLouis XVI, à la princesse de Lamballe, à Marie-Antoinette,suppliait les Jésuites d’avoir égard à de « tels antécédentset références » qui lui constituaient une véritable noblesse.Il expliqua encore que, si Jean Roch n’avait point été supplicié enpleine vigueur de talent – ce dont il était loin de se plaindre,d’ailleurs –, Robert-Hippolyte-Elphège Roch, son fils, fondateur dela maison de quincaillerie, et Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, lesoussigné, son petit-fils, qui continua le commerce, n’eussentpoint végété en d’obscurs métiers, où ils s’étaient efforcés,toutefois, par leur probité, leur amour de Dieu, leur fidélité auxanciennes croyances, de glorifier les traditions de l’aïeul vénéré.Et ce fut l’histoire de sa propre existence, contée avec desamertumes grandioses et des navrements comiques : lesaspirations de sa jeunesse, étouffées par un père très pieux, ilest vrai, mais avare et borné ; ses résignations dans untravail indigne de lui ; les courtes joies de sonmariage ; les douleurs de son veuvage ; l’effroi de sesresponsabilités paternelles ; enfin l’espérance – qu’un refusdétruirait – de voir revivre, en son fils, les nobles ambitionsdéfuntes, les beaux rêves envolés, car M. Roch avait rêvé d’êtrefonctionnaire. Ces récits, ces supplications, coupés deparenthèses, et noyés en une incroyable phraséologie, vainquirentles primitives répugnances des bons Pères, qui consentirent enfinl’année suivante, à se charger de l’éducation de Sébastien.

 

Le matin qu’il en eut la nouvelle, M. Rochéprouva une des plus fortes joies de sa vie. Mais il avait la joieaustère. Chez cet homme grave, si grave que personne ne pouvait sevanter de l’avoir vu rire ou sourire, la joie ne se manifestait quepar un redoublement de gravité, et une particulière contraction dela bouche qui lui donnait l’air de pleurer. Il commença par sortirdans la rue, la tête haute, s’arrêta de porte en porte, éblouissantles voisins de ses racontars sentencieux, de ses savantes exégèsessur la Société de Jésus. Les bouches étaient béantes d’étonnementrespectueux. On l’entoura, fier de l’entendre discourir sur saintIgnace de Loyola, dont il parlait comme s’il l’eût connufamilièrement. Et c’est escorté d’amis nombreux qu’il se renditd’abord au presbytère, où s’échangèrent d’interminablescongratulations, puis chez sa sœur, Mlle Rosalie Roch,vieille fille, paralysée des deux jambes, acariâtre, méchante, aveclaquelle il se disputa plus que de coutume, en raison de l’heureuxévénement qu’il lui annonçait.

– Oui ! je te reconnais bien là,cria-t-elle… Toujours péter plus haut que le derrière !… Ehbien, je te le dis, tu feras le malheur de ton fils, avec tes bêtesd’idées !…

– Taisez-vous, vieille sotte !… Vousne savez pas ce que vous dites !… D’abord, pour parler commevous faites, savez-vous ce que c’est que les Jésuites ?… oùdonc auriez-vous appris cela ?… Eh bien, demandez-le aucuré ; il le sait peut-être mieux que vous, lui !… Lecuré vous dira que les Jésuites sont une puissance, il vous diraqu’ils mènent le pape…

– Mais tu ne vois donc pas, pauvreimbécile, que c’est pour se moquer de toi qu’on te met cesstupidités dans la tête… D’abord tu es donc bien riche ? Oùdonc as-tu volé tout cet argent ?

– Cet argent ?…

Et M. Roch se redressa, la taille plus haute,le verbe plus grave.

– Cet argent !… prononça-t-il aveclenteur… Je l’ai gagné par mon travail, par monin-tel-li-gen-ce !… par mon in-tel-li-gen-ce !…entendez-vous ?

De retour en sa boutique, ayant retiré sonhabit et passé le tablier de travail en cotonnade grise, il appelaSébastien à qui, tout en triant des pitons de cuivre, il adressa undiscours pompeux. M. Roch, naturellement éloquent et dédaigneux desfamiliarités de la conversation, ne s’exprimait jamais que parsolennelles harangues.

– Écoute-moi, ordonna-t-il… et retiensbien ce que je vais te dire, car nous touchons à une heure grave deta vie… une heure décisive… ce que j’appelle… Écoute-moi bien…

Il était plus majestueux qu’à l’ordinaire, surce fond sombre de magasin, rempli de ferrailles, où des marmitesbombaient leurs ventres noirs, où des casseroles de cuivreluisaient, l’auréolant parfois de leur ronde clarté ménagère… Etl’ampleur de ses gestes interrompant le triage des pitons, faisaitbouffer sa chemise, dans l’intervalle du gilet au pantalon.

– Je ne t’ai pas mis au courant desnégociations entamées entre les Révérends Pères Jésuites de Vanneset moi, débutat-il… Il y a des choses auxquelles un enfant de tonâge ne doit pas être initié… Ces négociations…

Il appuyait sur ce mot qui l’ennoblissait àses propres yeux, qui lui attribuait l’importance d’un diplomatetraitant une question de paix ou de guerre… Et sa voix faisait unbruit de gargarisme qu’il prenait plaisir à prolonger en lemodulant.

– Ces négociations… difficiles… parfoisdouloureuses… sont heureusement terminées. Dès à présent tu peux teconsidérer comme appartenant au collège Saint-François-Xavier… Cecollège que j’ai choisi entre tous est situé au chef-lieu duMorbihan… Peut-être ne sais-tu pas où se trouve le Morbihan ?Il se trouve en Bretagne, le pays par excellence !… Grâce àmoi, tu vas être élevé avec la fleur de la jeunesse française… Ilest même probable, si mes renseignements sont exacts, que tu auraspour compagnons des fils de princes… Tu ne verras autour de toi queles grands exemples de la richesse héréditaire et de l’illustrationnationale, si j’ose m’exprimer ainsi… Cela, mon enfant, n’est pasdonné à tout le monde, et crée des devoirs importants, ce quej’appelle… En outre, sais-tu qu’un Jésuite – le moindre desJésuites – c’est presque un évêque ?… Il n’en a pas le titre,j’en conviens, mais il en a la puissance, et, m’est-il permis de ledire… la distinction… Quant aux Jésuites, considérés commeensemble, un mot suffira… Ils mènent le pape… J’ignore si je mefais bien comprendre ?… si tu te rends compte exactement de ceque sont les Jésuites ?… Oui, n’est-ce pas ?… Eh bien,tâche par ton application au travail, par ta soumission, ta piété,ta conduite en général, tâche de mériter le grand honneur auquel tues appelé… N’oublie pas surtout les sacrifices énormes que je faispour ton éducation… et remercie le ciel d’avoir un père tel que jesuis… Car je me saigne aux quatre membres…

Et, délaissant les pitons, il montra de quatrechiquenaudes rapides, ses deux bras, ses deux jambes.

– Aux quatre membres, ce quej’appelle !…

Après une pause de quelques minutes où iltriompha de l’air ahuri de son fils, il poursuivit lentement, avecde nouvelles modulations.

– Aujourd’hui même, je vais m’occuper deton trousseau, avec la mère Cébron… Il te faut un trousseauconvenable, car, en principe, je ne veux pas t’exposer à rougirdevant tes nouveaux camarades… et je comprends que, portant mon nom– le nom des Roch – et vivant dans une société d’élite, dans unmonde essentiellement aristocratique, je comprends que tu doivesreprésenter… Nous chercherons, la mère Cébron et moi, dans mesanciennes hardes, celles qui, remises à ta taille, pourront tefaire le plus d’honneur et le plus d’usage. Applique-toi à êtreaisé dans tes manières et soigneux… L’élégance va bien avec le bonordre… Ainsi, moi, j’ai encore mon habit de mariage… Ta pauvremère !

S’étant attendri juste le temps qu’il fallaitpour couper d’une note émue l’insolite longueur de son discours, ilrecommença de trier les pitons, de ressasser les conseils,insistant de préférence sur ses hautes qualités et ses paternellesvertus. Sébastien n’écoutait plus. Il ne savait ce qu’ilressentait : quelque chose comme un accablement et aussi commeun déchirement, dont l’intense douleur le laissait bouche béante,et mains cramponnées au rebord du comptoir. Certes, il connaissaitde longue date l’éloquence de son père. Elle lui avait toujourssemblé un bruit naturel. Jamais il n’y avait prêté plus d’attentionqu’au ronflement du vent dans les arbres, ou bien au gouglou del’eau, coulant sans cesse, par le robinet de la fontainemunicipale. Aujourd’hui, cela tombait sur son corps avec descraquements d’avalanche, des heurts de rochers roulés, deslourdeurs de trombes, des fracas de tonnerre qui l’aveuglaient,l’étourdissaient, lui donnaient l’intolérable impression d’unechute dans un gouffre, d’une dégringolade dans des escaliers sansfin.

Son regard, affolé de vertige, allait duventre de M. Roch, énorme et menaçant sous le tablier de cotonnade,aux ventres menus des marmites de fonte, rangées sur le rayon duhaut, près du plafond, qui paraissaient rouler sur leurs trépieds,et lâcher, elles aussi, de furieux borborygmes. Et les disquesrouges des casseroles de cuivre, où dansaient des refletscapricants, prenaient d’impossibles aspects d’astres exaspérés.Quand il fut à bout de phrases et à bout de pitons, M. Roch conclutainsi :

– C’est pourquoi, mon enfant, jusqu’aujour de ton départ, il est nécessaire de briser là toute espèce derelations avec tes camarades d’ici… Je ne prétends point qu’ondoive être fier avec les petits, mais il existe en toutes chosesdes limites… Et la société impose à ses membres des hiérarchiesqu’il est dangereux de transgresser… Ces méchants gamins, pour laplupart fils de pauvres et de simples ouvriers – je ne les blâmepas, remarque bien, je constate seulement – ne sont plus de tonrang. Entre eux et toi, désormais, il y a un abîme… Saisis-tu bienla portée de mes paroles ?… Un abîme, ce quej’appelle !

Pour figurer l’abîme, il mesurait la largeurdu comptoir qui le séparait de Sébastien, et il répétait en élevantla voix :

– Un abîme ! Comprends-moi,Sébastien… un infranchissable abîme !… Que diable ! Où enserait un pays sans aristocratie ?

M. Roch grimpa sur un escabeau, tirasuccessivement plusieurs cases numérotées, remplies de cadenas, et,tandis qu’il les comparait l’un à l’autre, qu’il faisait jouerleurs serrures rouillées, il soupira mélancoliquement :

– Ah ! je t’envie !… Tu es bienpetit pourtant, et tu ne sais rien… Eh bien, je t’envie tout demême… Où ne serais-je pas arrivé, moi ?… moi ?… sij’avais eu un père comme le tien !… Tu en es, toi, maintenant,de cette aristocratie… Tu peux arriver, à tout, à tout !… Etmoi !… moi !… quel avenir gâché ! quel…

À ce moment, la porte de la boutiques’ouvrit : un client entra.

– Voilà ! voilà ! fit M. Rochqui, prestement, redescendit de son escabeau, en même temps que deshauteurs idéales où sa noble imagination promenait de très vagues,de très immenses rêves de gloire à jamais perdue !

 

Malgré ces hautes leçons et ces brillantespromesses, Sébastien ne se sentit ni fier, ni heureux. Il étaitabasourdi. Des successifs discours de son père, de cet amas dephrases incohérentes et discordes, il ne retenait qu’une chosepositive : il lui fallait quitter le pays, partir pour uninconnu que ni les Jésuites, ni les fils de princes, ni lesimmémoriales redingotes dont la mère Cébron allait l’affubler, neparvenaient à rendre attrayant, ni même explicable. Au contraire,sa naturelle méfiance de petite bête sauvage le peuplait de milledangers, de mille devoirs confus, trop lourds pour lui. Jusqu’ici,il avait poussé librement dans le soleil, la pluie, le vent, laneige, en pleine activité physique, sans penser à rien, sansconcevoir un autre pays que le sien, une autre maison que lasienne, un autre air que celui qu’il respirait. Jamais il nes’était bien familiarisé avec l’idée du collège, ou, plutôt, jamaisil n’y avait songé sérieusement. Entre l’école et le collège, iln’établissait pas d’autres rapports que celui-ci. L’école étaitpour les petits, le collège pour les grands, les bien plus grandsque lui, et il ne se disait pas qu’il grandirait un jour. Lorsqueson père en parlait, cela lui semblait tellement lointain, sivague, que son esprit, sensible seulement aux formes immédiates etprésentes, ne s’y arrêtait pas, mais devant la menace prochaine,devant la date implacable, il frissonnait. Il redoutait maintenant,à l’égal d’une catastrophe, cette séparation de lui-même, avec toutce dont il avait l’accoutumance. Il ne comprenait pas, non plus,pourquoi on exigeait de lui qu’il sacrifiât ses camaraderies de lapetite enfance à il ne savait quelle mystérieuse et soudainenécessité ; en ce moment surtout, déjà bien assez pénible, oùil éprouvait le besoin d’une protection, d’un resserrement plusintime avec les choses plus amies et les êtres plus chéris. Cela lerendit très triste et très tendre. Le cœur bien gros, il se retiradans l’arrière-boutique, qui servait de salle à manger, et où ilavait coutume, entre les heures de l’école, d’apprendre ses leçonset de préparer ses devoirs.

C’était une pièce sombre que le soleil n’avaitjamais visitée. Sa vue le glaça comme s’il y entrait pour lapremière fois ; et, sur le seuil, il hésita, étonné de cesobjets, de ces meubles, au milieu desquels il avait vécu et qu’ilne reconnaissait plus, tant ils paraissaient avoir revêtu desaspects de brusque laideur, un air d’hostilité renfrognée, par quoiil se trouvait tout déconcerté. La table, recouverte d’un tapis detoile cirée, sur lequel étaient imprimées, par ordre chronologiqueet en rond « les ressemblances » de tous les rois deFrance, avec leur généalogie, la date de leur avènement et de leurmort, occupait le centre de la pièce. « On s’instruit enmangeant », disait M. Roch qui, la bouche pleine, souventjetait, dans le froid silence des repas, les retentissants noms deClotaire, de Clovis, de Pharamond, aussitôt suivis d’un geste quiles ponctuait de points d’exclamation. Çà et là, des chaises depaille ; un dressoir de noyer, garni de vaisselle ébréchée,faisait face à une vieille armoire normande. Chaque chose,maintenant, renvoyait à Sébastien l’image de son père, avilie parun ridicule ; il ne se mêlait plus à tout cela que desrévélations de scènes grotesques et diminuantes. Le long des murstapissés de papier vert, en maint endroit pourri par l’humidité,s’étalaient des portraits au daguerréotype de M.Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, en des attitudes diverses, toutesplus oratoires et augustes les unes que les autres. Sébastien lerevoyait s’arrêter complaisamment devant chacun d’eux, lescomparer, reprendre les poses et soupirer, en haussant lesépaules : « On dit que je ressemble àLouis-Philippe !… Il a eu plus de chance que moi, voilàtout ! » Il le revoyait allumer, chaque soir, avec lesmêmes précautions méthodiques et les mêmes soins de maniaque, lasuspension de zinc dédoré qu’un client lui avait laissée pourcompte, jadis : aventure dont il gardait une inoubliablerancune, que, depuis dix ans, il narrait toujours, de la même façonindignée, répétant : « Oser prétendre que c’était de lacamelote ! Comme si cela était croyable qu’un Roch pût vendrede la camelote !… De la camelote !… moi !… » Etil prenait à témoin le solide mécanisme de la lampe, la douceur deschaînettes, la résistance du fumivore, l’opinion de sescompatriotes. C’était aussi, sur la cheminée, entre deux vasesbleus, gagnés à des loteries foraines, la photographie de sa mèreque Sébastien n’avait pas connue ; une jeune femme frêle, unpeu raide, le visage presque effacé, les tempes ornées de longsrepentirs, et tenant à la main, du bout des doigts, en un mouvementmaniéré, son mouchoir de dentelles. Et il entendait son père redirequotidiennement : « Il faudra que je remonte ta pauvremère dans ma chambre, et que je mette, à sa place, unependule ! » Tout cela qu’il revivait en cette minuteprécise, l’âme affadie d’ennuis, de désenchantements, de dégoûts,tout cela était enveloppé par la morne clarté du dehors, taché parles reflets sales des carreaux de brique qui dallaient ce sombreréduit. Sébastien dirigea ses yeux vers la fenêtre, comme pour ychercher une échappée de ciel. La fenêtre, unique et sans rideaux,s’ouvrait sur une étroite cour, et le regard se cognait aux mursdes maisons voisines, crasseux, purulents, écaillés de lèpresverdâtres, fendillés de suintantes lézardes, percés d’ignoblesjours de souffrance, par où se devinaient vaguement des pauvretésentassées et de vermiculaires ordures. Sans cesse, des tuyauxdégorgeaient des eaux pourries ; des bouches noiresvomissaient des puanteurs, s’écoulant vers un caniveau commun,entre des amas de vieille ferraille et des débris de toutes sortes.Ce repoussant spectacle, cette lumière louche, aux sordidespâleurs, et jusques à cette vulgarité, cette inintimité des chosesfamiliales, qui lui arrivaient, dépouillées du voile de l’habitude,en formes désolantes et nues, changèrent rapidement l’état de sonâme. Sans qu’il en eût conscience, l’incohérent discours de sonpère, les Jésuites, les fils du prince éveillèrent en lui le rêved’un au-delà, remuèrent des imaginations latentes qui, peu à peu,se dégageaient devant l’horreur de la réalité révélée. À la penséequ’il avait pu demeurer là, toute sa vie, parmi ces gluantesombres, à regarder les murs hideux qui lui dérobaient la joie duciel, une mélancolie rétrospective l’envahit. Oubliant le passéd’insouciance tranquille, il se persuada qu’il avait été infinimentmalheureux, et que ce qu’il souffrait, à cette heure, il l’avaittoujours souffert. Tandis qu’il végétait, misérable, à d’autresétaient réservées des joies, des beautés, des magnificences. Ilsavait maintenant – son père le lui avait dit, avec quel accent decertitude, d’admiration ! – qu’il n’avait qu’à allonger lebras, pour les étreindre lui aussi. Le collège ne l’effraya plus.Il se surprit même à désirer cet inconnu, qui le troublait encore,mais voluptueusement, comme l’incertaine approche d’une vaguedélivrance.

Sébastien s’assit auprès de la table, le dostourné à la fenêtre, ouvrit un livre de classe qu’il ne lut point,et, la tête dans les mains, les yeux très graves, lointains etsongeurs, il rêva longtemps à d’autres ciels, à d’autrescompagnons, à d’autres maîtres. Graduellement, tous les objets del’arrière-boutique, la cour, les murs, se reculèrent, s’effacèrentainsi que s’effacent et se reculent les choses ambiantes, dansl’engourdissement du demi-sommeil, et l’enfant se vit transporté enune contrée de lumière, dans une sorte de féerique palais, àtravers des nefs spacieuses et des colonnades où des êtrescharmants et bons venaient vers lui, vêtus de longues robesbrillantes qui faisaient, en glissant, un doux bruissement de soie,cependant que, sur les vitres brouillées de la porte qui séparaitla salle à manger du magasin, se mouvait ironiquement l’ombredémesurée de son père.

 

Les jours passèrent, pleins d’anxiétésdifférentes. Sébastien restait à la maison et ne sortaitqu’accompagné de M. Roch, qui veillait scrupuleusement à cequ’aucun des camarades de son fils ne pénétrât près de lui :« Les Jésuites ne veulent pas… Allez-vous-en ! »leur criait-il, lorsque, surpris de ne plus rencontrer nulle partSébastien, ils venaient le relancer jusque dans la boutique.L’apprenti, un gamin de quinze ans, eut l’ordre de ne plus tutoyerle fils du patron et de lui prodiguer les plus grandsrespects : « Tu l’appelleras, dorénavant, monsieurSébastien. La situation n’est plus la même », expliqua lequincaillier. Lui-même avait jugé nécessaire et digne de mettreplus de hauteur dans ses relations avec les voisins, de les tenir àdistance, sans toutefois les priver du régal quotidien de saconversation. Au contraire, de jour en jour, son éloquencegrandissait, s’exubérait. En même temps, il redoublait de conseilsmille fois rabâchés, d’aphorismes saugrenus, de raisonnementsmagistraux, qui jetaient l’enfant dans des ahurissements profonds.Excédé de l’entendre répéter à tout propos : « Je ne saissi je me fais bien comprendre ? Saisis-tu bien toute la portéede mes paroles ? », les promenades, les visites, lestête-à-tête plus fréquents devenaient pour Sébastien un intolérablesupplice ; et, afin d’y échapper, il souhaitait ardemment quevînt l’heure du départ. Mais seul, en sa chambrette, le soir, parmices riens familiers qui l’entouraient, auxquels il rattachait dessouvenirs naïfs et précieux, la terreur du collège le reprenait, etil eût voulu qu’elle n’arrivât jamais, cette heure brutale où illui faudrait dire adieu à tout cela qui était partie intégrante delui-même, moitié de sa chair, moitié de son âme. Ce qui lui faisaitmal, plus encore que ces douloureuses alternatives, c’était depenser. L’inquiétude, maintenant, tenaillait son être tout entier,depuis que la réflexion s’installait en son cerveau. En luiinfusant la semence d’une vie nouvelle, ce brusque viol de savirginité intellectuelle lui infusait aussi le germe de lasouffrance humaine. La paix de sa conscience était détruite, sessens perdaient de la simplicité de leurs perceptions. Le moindremot, le moindre objet, le moindre fait, autrefois sanssignification morale, sans prolongements intérieurs, ouvraient àson esprit, par déchirements aigus, successifs, des horizonsindéfinis et redoutables. Des questions de toute nature, grosses demystères, se dressaient devant lui, trop faible pour lesétreindre ; et il voyait confusément, au-dessus des limbes deson enfance physique, remuer des rudiments d’idées, s’agiter desformes embryonnaires de la vie sociale, fonctionner tout unappareil inexpliqué, discordant, de lois, de devoirs, dehiérarchies, de relativités, s’embranchant l’un sur l’autre, mis enmouvement par une multitude d’engrenages, dans lesquels sa frêlepersonnalité serait infailliblement prise et broyée. En attendant,cela lui causait des maux de tête violents, exacerbait jusqu’àl’ébranlement nerveux le fragile organisme de sa sensibilité.

 

La maison contiguë au magasin de quincaillerieappartenait aussi à M. Roch. Le bureau de la poste l’occupait, etla titulaire, Mme Lecautel, veuve d’un général, mortalcoolique et fou, disait-on, passait pour une femme instruite,supérieure. Sa personne, maigre et longue, d’aspect triste,souffrant sous le deuil perpétuel des robes noires, révélait, eneffet, une distinction inhabituelle aux dames du pays et suscitaitdes sympathies respectueuses et cancanières, comme on en accordeaux être tombés d’une situation brillante dans le malheur. Elleavait une fille, Marguerite, du même âge que Sébastien ; etles deux enfants s’étaient liés d’amitié assez vive. M. Roch, fierde cette relation pour son fils, l’encourageait dans ses visites.Lui-même s’ingéniait à entourer d’égards fatigants et d’obsédantespolitesses, Mme Lecautel, qu’il appelaitgalamment : « ma belle locataire » ; ce qui nel’empêchait pas, du reste, de refuser toutes les réparationsqu’elle lui demandait. De son côté, Mme Lecautel,sentant l’abandon moral de ce gentil enfant, réservé et silencieux,s’était pris d’intérêt pour lui, et le recevait maternellement. Ilfut convenu que, tous les jeudis et tous les dimanches, ilviendrait passer, chez elle, quelques heures. Souvent, par lesbeaux temps, son bureau fermé, elle l’emmenait à la promenade, avecsa fille.

Dans ces moments de crise, Sébastien éprouvaun soulagement véritable, à la société de sa petite amie,Marguerite. Un instant de protection plus tendre, la chaleur d’uneatmosphère plus douce, le poussèrent, plus fort, vers elle. Cen’était point qu’il parlât, qu’il se confiât davantage. Il étaittrop timide pour cela. D’ailleurs, il n’aurait su que dire, iln’aurait su quoi exprimer, en ce tumulte de sensations brouillées,de chagrins vagues, qui grondait en lui. Mais la seule vue deMarguerite le rassérénait. Près d’elle, son cœur s’apaisait ;sa tête endolorie redevenait plus calme. Peu à peu, il se remettaità la joie de ne plus penser à rien. Elle était charmante decâlineries inventives. Deux grands yeux noirs, trop brillants, trophumides, toujours cernés de bleu, éclairaient sa jolie figure d’unelumière d’amour précoce et profonde. Ses manières non plusn’étaient pas d’une petite fille, bien que son langage fût demeuréenfantin, et qu’il contrastât avec la grâce, savante, presqueperverse qui émanait d’elle, une grâce de sexe épanoui, trop tôt,en ardente et maladive fleur. Depuis qu’elle avait appris qu’ildevait partir, elle se faisait plus empressée auprès de lui, plusaudacieuse de gestes et de caresses. Elle parlait, parlait,s’étourdissait à dire des riens qui emplissaient d’aise son jeuneami. Ensuite, elle le regardait de ses grands yeux possesseurs, quiallaient éveiller, au fond de l’âme de Sébastien, un sentimentobscur encore, mais puissant, si puissant que cela montait en lui,avec des sursauts et des heurts, s’agitait comme de la vieprisonnière qui veut sortir de l’ombre ; et il en avaitparfois la poitrine haletante et la gorge sèche. Le torse cambré oubien ondulant sous le sarrau noir froncé de mille plis, elles’approchait de lui, avec des mouvements de joli animal, lissaitses cheveux mal peignés, de sa main très longue, maigre et déjàveinée de bleu, arrangeait le nœud de sa cravate défaite. Lespetits doigts couraient sur sa peau, légers, souples, brûlantscomme des ailes de flamme, semblaient multiplier leurs frôlements,qui le laissaient presque défaillant de terreur et de joie. Il sesentait vivre en elle réellement. Si intime, si magnétique était lapénétration de sa vie à lui, dans sa vie à elle, que bien souvent,lorsqu’elle se cognait à l’angle d’un meuble, et se piquait lesdoigts à la pointe d’une aiguille, il éprouvait immédiatement ladouleur physique de ce choc et de cette piqûre.

– Est-ce qu’il y aura des petites fillesdans le collège où tu vas, dis ? demandait-elle.

– Oh ! non.

– Je voudrais bien aller avec toi, êtretoujours avec toi !…

Et les prunelles agrandies, plusbrillantes :

– Alors, il y a beaucoup de petitsgarçons… rien que de petits garçons… comme toi – gentils commetoi ?…

– Oh ! oui.

– Que ça doit être amusant !… Commej’aimerais ça, moi, le collège !

Tout d’un coup, elle courait, auprès de samère, la figure striée de grimaces nerveuses, pleurant :

– Maman !… maman !… Je voudraisaller avec lui… je voudrais…

De ces heures trop brèves, passées au contactde cette étrange enfant, Sébastien rapportait une chaleur prompte às’évaporer, dès qu’il se retrouvait avec son père, ou seul, dans lefroid de l’arrière-boutique.

 

C’étaient aussi des appréhensions angoissantesde cette farouche Bretagne, de ce pays mystérieux des légendes,dont M. Roch, en guise d’études préparatoires, l’obligeait à liredes récits très sombres et terribles. Les âpres paysages, les merstragiques, les vieux châteaux hantés, les mauvaises fées planantau-dessus des étangs nocturnes, les naufrageurs tordant leurschevelures calibanesques sur les grèves hurlantes, tout cefantastique de mélodrame se combinait, en sa pensée, avec lesdivagations paternelles, qui lui donnaient des Jésuites et de leurcollège une surhumaine et fulgurante image. Jamais il ne pourraits’habituer à vivre en un tel milieu, en contact journalier avec desêtres si loin de lui, dont le plus humble rayonnait de« l’insoutenable éclat des évêques ». Et, renchérissantsur les hyperboliques comparaisons de M. Roch, il se représentaitalors les Jésuites, dans des embrasements ecclésiaux, vêtusd’orfroi, auréolés d’encens, révérés comme des papes, inabordablescomme des dieux. Tiraillé sans cesse, entre des craintes vagues etdes espérances chimériques, privé de ses camarades, la seule joiequi l’eût aidé à travers les difficiles heures de l’attente, énervépar les quotidiens essayages de la mère Cébron, abruti par lesprêches de son père, il se trouvait infiniment malheureux. Hormisle jeudi et le dimanche, il ne savait que faire de ses longuesjournées. Plus de jeux à la marelle, sur la grand-place ; plusde vagabondages à travers champs, le long des haies chantantes etfleuries, ou bien au bord de la rivière, lorsqu’il suivait lesjeteurs d’épervier, et que, les bras nus, ses culottes retrousséesau-dessus des genoux, il soulevait, dans les endroits peu profonds,les pierres sous lesquelles dorment les écrevisses. Quelcrève-cœur, pour lui, que d’entendre de sa chambre, ou du fond del’arrière-boutique, les cris connus de ses camarades, partant enmaraude, qui semblaient l’appeler !

Parfois, il se réfugiait au jardin, situé endehors du bourg, près du cimetière. Là non plus, il ne pouvaitgoûter un seul instant le repos cherché. L’absence des bellesfleurs, des arbres ombreux, l’ennuyeux dessin des plates-bandes,l’absurdité des ornementations artificielles que la fantaisiehorticole du quincaillier avait prodiguées partout, lui rappelaientinvolontairement les lourdes apostrophes, les écrasantesprosopopées, l’incontinence, l’incohérence de cette rhétorique, àlaquelle il avait cru se soustraire et qu’il retrouvait décupléedans le silence des choses. Et puis le voisinage des cyprès, dontles cônes noirâtres dépassaient les murs, les croix funèbres,montrant çà et là leurs bras chargés de couronnes, ajoutaient, àcette obsession domestique, un malaise aigu. Après avoir fait deuxfois le tour des allées, entre les bordures de buis que décoraientdes coques d’escargot, peintes de couleurs vives et figurantalternativement des losanges et les initiales J. R. emmêlées, ilrentrait plus mécontent, plus perplexe, en proie à de péniblesdégoûts.

Chaque jour, après le déjeuner, il allaitaussi chez sa tante Rosalie : un autre supplice auquel lecondamnait son père. Étendue dans un fauteuil à roulettes, près dela fenêtre, un ouvrage de tricot en ses mains, la vieille filleoccupait toutes les heures de son existence sédentaire à dire dumal des gens, à faire souffrir sa bonne qu’elle s’était attachéepar des promesses d’héritage. Sa face grosse, molle et blanchâtrede vieille procureuse, ombrée sur le menton et sur les lèvres dequelques poils grisonnants, son œil égrillard et malicieux, lecynisme de ses propos gênaient Sébastien, demeuré très chaste, trèsignorant, mais qui ne pouvait s’empêcher de rougir à des motsinintelligibles pour lui, et où cependant il devinait un senscoupable et des intentions honteuses. Souvent, il la trouvaitentourée de ses amies, vieilles filles comme elle, paillardes etchattemites, comme elle obsédées de préoccupations obscènes, et,sous le couvert de la morale, de la vertu blessée, combinant desadultères locaux, imaginant des histoires polissonnes, parlant desamours de leurs chattes, répandant, autour d’elles, de fades odeursde linge sale et de lit.

– Des Jésuites !… Il lui faut desJésuites… criait la tante Rosalie à la vue de son neveu… Je vousdemande un peu, à ce gamin !… Ah ! c’est moi qui t’auraismis en apprentissage, mon garçon ! Des Jésuites !…Non ! Mais c’est incroyable !… Tout ça, pour faire desembarras, pour jouer au grand seigneur, pour montrer qu’on estriche !… C’est du propre… Et je lui conseille de se vanter deson argent, à ton père !… Quand on vend vingt sous une chosequi ne vous en coûte pas seulement deux !… C’est facile d’êtreriche !… Viens ici, toi, plus près !

Sébastien s’approchait timidement, les coudescollés au corps, effrayé par les deux coques blanches qui nouaientle bonnet tuyauté de la vieille, et pointaient sur le sommet de soncrâne comme des cornes de diable.

– Na !… Est-ce pas un belhomme ?…

Elle lui empoignait le bras, le faisait virerainsi qu’une toupie ; et, dardant sur lui ses petits yeuxméchants :

– Est-ce pas un bel homme ?…répétait-elle. Regardez-moi ça !… Et qu’est-ce qu’ils ferontde toi, les Jésuites ? Tu crois peut-être qu’ils te garderontchez eux, avec ton air godiche, et tourné comme tu l’es !Ah ! bien oui !… Mais sitôt qu’ils t’auront vu, ils semettront à rire et te ramèneront ici. Veux-tu que je te dise unevérité, moi ?… Allons, nigaud, parle, réponds !… Veux-tuque je te dise une vérité ?

– Oui, ma tante.

– Oui, ma tante ! reprenait sur unton moqueur et traînard la vieille Rosalie… Oui, ma tante !…Est-il bête cet enfant ?… Eh bien, ton père, le cher cœur, tonpère est un imbécile, un gros imbécile, tu entends !… et tu lelui diras de ma part !… Tu lui diras : « TanteRosalie a dit que tu étais un imbécile ! » MonDieu ! Mon Dieu !… Ça envoie son fils chez les Jésuites,et ça ne sait seulement pas nettoyer les lampes !… Et ça fait,toutes les nuits, des saletés avec sa bonne !

Elle haussait les épaules, méprisante, riaitd’un rire mauvais, tandis que les yeux des vieilles filless’allumaient de lueurs obliques.

De retour à la maison, l’enfant, de plus enplus découragé, se demandait si vraiment, il n’était point troppetit, trop laid, trop mal bâti, pour être accepté de ces terriblesJésuites, que les moqueries de la vieille fille revêtaient d’uncaractère plus troublant, et d’une plus inexorable sévérité ;il se demandait si, vraiment, il ne serait pas plus heureux enapprentissage. Durant une minute, il le voulait ; et, laminute d’après, il ne le voulait plus. Il ne savait pas, toutes ceschoses lui semblant, désormais, pareillement douloureuses. Ce qu’ilsavait, c’est que, dans la persistante lutte de deux volontéscontraires, dans cet antagonisme incessant des résolutions priseset déprises, il avait perdu le repos et le bonheur. Poursuivi parles paroles de sa tante, sourdement travaillé par lesdémoralisantes constatations que la vie lui apportait, plusnombreuses chaque jour, il sentait aussi, malgré ses révoltescontre les calomnies de la vieille femme, et ses remords de lesécouter, il sentait diminuer son affection, son respect pour sonpère. Dans l’espoir de solidifier des sentiments de tendresse quicraquaient, maintenant, de toutes parts, il prenait l’habitude del’observer, s’ingéniait à le comprendre ; mais il perdait pieddans le vide de cet esprit, se heurtait au mur de ce cœur égoïste,qui se dressait, ainsi qu’une séparation entre les deux natures.Plus par intuition que par raisonnement, il découvrait qu’aucunéchange d’émotions pareilles, que pas un rapprochement de communamour n’était possible entre eux, si étrangers l’un à l’autre.Tout, dans les actions, dans les discours de son père, ledésenchantait, le blessait. Durant les repas, souvent interrompuspar les coups de timbre du magasin, les allées et venues desclients, sa façon de manger, gloutonne et malpropre, le bruit qu’ilfaisait en buvant, une multitude de menus détails, non encoresentis, où se révélaient des habitudes relâchées, des inconvenancesde tenue, si peu d’accord avec la rigide pompe de ses principes,tout cela causait à Sébastien une irritation qu’il avait peine àdissimuler. Il souffrait d’une réelle souffrance physique à voir lamanière dégradante dont son père traitait l’apprenti : le painspécial, un pain bis et grossier qui lui était dévolu, les maigresparts, les déchets graisseux des fricots que M. Roch lui jetaitcomme à un chien, et que l’autre dévorait silencieusement, enguignant les belles tranches de viande et les bons morceaux de painblanc des patrons. Il ignorait ce que sa tante Rosalie entendaitpar « les saletés de son père ». Mais, sous l’obsessionde ces paroles, il en était arrivé à le suspecter d’actes blâmableset déshonorants. Souvent, la nuit, il se levait, collait sonoreille contre la mince cloison qui séparait sa chambre de celle deM. Roch, et il restait là, des heures à écouter…, soulagé de nepercevoir, dans le silence, qu’un ronflement sourd, tranquille,régulier, la respiration nasillante et gargaristique d’un hommeplongé dans un sommeil profond de terrassier. Néanmoins, leprestige de l’autorité paternelle, qui s’accompagne chez celui quila subit d’un besoin de protection et d’un instinct de confiance,s’en allait chaque fois, détruit par cette surveillance et aussipar mille petits faits intimes, rabaissants, dont le ridicule et lagrossièreté ne lui échappaient plus, l’affligeaient comme s’ilseussent été siens. En lui, d’heure en heure, des choses mouraientqu’il avait le mieux chéries ; d’autres naissaient quimettaient en son âme des angoisses nouvelles, des amertumes et despitiés inconnues.

Quant à M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, iln’éprouvait aucun de ces troubles intérieurs, et il attendait lesévénements avec un calme béat. Il était heureux, lui ; il secarrait dans son éloquence, s’exaltait dans l’apothéose de songénie, convaincu que, par sa volonté, un fait inouï, un faithistorique s’accomplissait. Le dimanche, après les vêpres,strictement vêtu de noir, il entretenait, assis devant sa boutique,les voisins émerveillés de ses incommensurables histoires. Et, trèsdigne, avec une autorité tranquille, imprimant à son buste desbalancements isochrones, il lançait des phrases énormes, decolossales bourdes qui lui valaient un accroissement derespect.

Enfin arriva la date fatale.

La veille, M. Roch, depuis plusieurs joursofficiellement prévenu du passage du Père Jésuite chargé de ramenerles élèves, était resté, très tard, dans la soirée, à compulserl’indicateur des chemins de fer. Il vérifia et revérifia l’heured’arrivée du train aux principales stations, compta le nombre dekilomètres, entre les différentes villes, étudia le prix desplaces, suivant les classes, se perdit dans le dédale desembranchements et des correspondances, d’ailleurs absolumentétrangers à l’itinéraire de son fils. Une chose l’étonnait, c’estque la ligne s’arrêtât à Rennes. Cet inconnu de Rennes à Vannes, cebiffage de tout un pays, célèbre, en une énumération de villesindifférentes et ignorées, le troublaient fort. Il ne pouvaitadmettre que les Compagnies n’eussent pas prolongé leur ligne,jusqu’à Vannes, à cause des Jésuites.

– Car enfin, expliqua-t-il à Sébastien,tu dois comprendre qu’un collège comme celui-là donne un traficcertain… Outre la question de convenances, il y a là… saisis-tubien ?… il y a là un intérêt méconnu… Je pétitionnerai… Enattendant, tu pars demain, de Pervenchères, par le train de 10heures 35… Oui, mon enfant, c’est demain soir, à 10 heures 35, quetu entres vraiment dans la vie. N’oublie pas mes recommandations…Dis-toi bien que tu as un père qui se saigne pour toi aux quatremembres… Ainsi, demain soir, à la gare, je dois te prendre unbillet de première classe… Il paraît, je le comprends jusqu’à unecertaine mesure, que les Jésuites ne voyagent jamais autrement… cequi n’empêche pas que ce sont des frais très lourds, très lourds…Je n’ai jamais voyagé en première classe, moi… Et cependant, jesuis ton père !

Le lendemain, après une nuit agitée, de trèsgrand matin, M. Roch se leva. Il passa sa redingote de cérémonie,et, chose mémorable, se coiffa de son chapeau de haute forme, unantique chapeau, précieusement gardé au fond d’une armoire, et dontla soie, rebroussée par de maladroits et successifs frottements,était ternie de reflets jaunasses. Ainsi accoutré, il mena son filsà l’église, pour qu’il y entendît la messe ; une messe dite àson intention, et solennellement annoncée, le dimanche d’avant, auprône, par le curé. M. Roch communia. L’office terminé et sesprières dites, il conduisit Sébastien à travers les nefs, leschapelles latérales, le chœur. Sur les dalles, ses pas faisaient unbruit auguste, et ses gestes avaient l’hiératique ampleur desgestes de saints, qui bénissent les foules du fond de leurs nichesde pierre.

– Regarde, lui dit-il… Regarde toutcela !… C’est Jean Roch, ton illustre ancêtre, qui restauracette église… Je te l’ai maintes fois raconté. Ces chapiteaux,cette voûte, tout ce que tu vois, c’est de lui… Remplis tes yeux deces nobles spectacles. Aux heures de défaillance, tu n’auras qu’àte souvenir pour être consolé, fortifié, ce que j’appelle… C’est làque moi, ton père, j’ai puisé ma force… Regarde !… Jean Rochfut un grand martyr, mon enfant… Tâche de marcher sur ses traces.Regarde ! On ne bâtit plus comme ça, maintenant.

Sébastien n’était point ému. Il n’éprouvaaucun orgueil. Bien au contraire. Si habitué qu’il fût aux discoursétranges, il écoutait celui-ci avec stupéfaction, souffrait de lejuger si ridicule. Malgré lui, il se répétait les paroles de satante qui résonnaient à ses oreilles, comme un écho de sa proprepensée : « Ton père est un imbécile, tu entends, unimbécile. » Il en eut pitié. Il eût voulu lui fermer labouche, doucement, comme à un petit enfant. Sur le parvisqu’ombrageait de leur mouvant feuillage une double rangéed’acacias, M. Roch s’arrêta, plus grave encore :

– C’est là qu’il est tombé !prononça-t-il, en montrant le sol d’un dramatique geste… Il a verséson sang là… le sang des Roch !… Fixe bien ces lieux dans tamémoire, afin que tu puisses raconter à tes camarades cettehistoire glorieuse de notre famille… Eux aussi, sans doute, ont eudes parents tués par la Révolution. Vous évoquerez mutuellement vosmorts, ce que j’appelle… Ah ! je t’envie !

La journée se passa en visites ennuyeuses,coupées d’interminables recommandations… La tante Rosalie donna àson neveu une pièce de cinq francs, en lui disant d’un tonbourru :

– Tiens ! prends ça !… Tuachèteras de l’esprit avec…

Chez le curé, les adieux furentattendrissants. Sébastien reçut un scapulaire tout neuf et desmédailles nouvellement bénites par le pape. Mme Lecautelse montra très affectueuse ; Marguerite, très pâle, eut unecrise de nerfs, et pleura. Et, le soir enfin arriva. C’était unsoir d’octobre, charmant et doux.

– Allons ! fit M. Roch qui, unedernière fois, éprouva la solidité des cordes qui ficelaient lamalle… Allons, il est temps !

Revêtu de ses plus beaux habits, ganté defiloselle, Sébastien s’achemina vers la gare, accompagné par sonpère. Derrière eux, venait l’apprenti poussant la malle sur unebrouette. Malgré l’heure tardive, bien des gens se mirent auxportes pour envoyer à l’enfant un dernier adieu.

– Bon voyage, monsieur Sébastien…Portez-vous bien…

Contrairement à ses habitudes, M. Rochmarchait silencieux, ne répondait aux démonstrations populaires quepar de courts gestes. Il avait perdu de son assurance, de sadignité, était ému. L’attitude qu’il prendrait devant le RévérendPère Jésuite, à qui, dans un instant, il allait remettre son fils,le préoccupait aussi. Et il ruminait des idées grandioses,préparait de ronflantes périodes, interrompues par de brusquesattendrissements où sa verve oratoire s’embrouillait, défaillait.En traversant le pont, Sébastien vit la rivière toute blanche delune : là-bas, derrière un massif d’aulnes, le déversoir dumoulin chantait. Son cœur se noya de tristesse.

Ils entrèrent, dans la gare, en avance d’unedemi-heure. Le billet pris, les bagages enregistrés, ils gagnèrentla salle d’attente, s’assirent l’un près de l’autre, sur unebanquette, et, sans se parler, ils regardèrent, hébétés et gauches,les affiches jaunes, les réclames enluminées qui bariolaient lesmurs. M. Roch tenait, dans sa main, la main de Sébastien, laserrait souvent d’une étreinte tremblante. Et Sébastien, qui avaitredouté un flux de paroles, un débordement de suprêmes conseils,sut gré à son père de ce silence, de ce tremblement qui lui étaientpénibles et très doux, tout ensemble. Son regret de partir s’enaugmenta.

– J’ai mis dans ta malle quatre tablettesde chocolat, dit M. Roch, avec un effort visible… Ménage-les…N’avons-nous rien oublié ? Ta boîte de compas ?… Oui,c’est moi-même qui l’ai emballée… Et tes billes ?… Tes billesaussi, je me rappelle… C’est la mère Cébron, tout au fond, dans unsac de lustrine… ménage-les… elles sont en agate. Enfin, j’ai faitce que j’ai pu…

Après un silence il soupira :

– C’est incroyable… Je n’aurais pas penséque ça arriverait, comme cela, si vite !…

Sébastien, frissonnant d’un gros chagrin, seserra davantage contre son père. Il se repentait violemment d’avoirété injuste envers lui. Son âme s’abîmait, se fondait dans leremords et dans la reconnaissance. Il eût voulu lui demanderpardon, il eût voulu dire à sa tante Rosalie qu’elle était uneméchante femme et qu’il la détestait. Et, tout d’un coup, il pensaà Marguerite qui devait dormir, à cette heure ; il revitMme Lecautel, qui, très longue, très maigre, timbraitdes lettres, dans son bureau, et cachetait des sacs de cuir… Audehors, l’omnibus de l’Hôtel Chaumier arriva, pesant, cahotant. Ily eut des colloques, des jurons, des bruits de paquets qu’ondécharge. Les chevaux s’ébrouèrent, agitèrent leurs grelots.

– Tu seras à Rennes, demain matin, à cinqheures cinquante-neuf, poursuivit M. Roch… Là, vous aurez desvoitures qui vous emmèneront à Vannes… Trente lieues !… Commec’est loin, tout de même !… Sois bien sage !… Surtout nete penche pas aux portières. Fais ce que te dira le RévérendPère.

Il consulta sa montre.

– Plus que dix minutes ! Mon Dieucomme le temps passe rapidement ! J’ai mis aussi du paind’épices dans ta malle, entre tes chaussettes de laine. Ménage-le…ne le donne pas à tout le monde ; tu seras bien heureux,peut-être, à un moment donné, de l’avoir sous la main. Enfin… Et cePère Jésuite ?… qui sait ?

Il soupira longuement et ne prononça plus unmot, sinon pour demander de temps à autre :

– Et ton billet ?… As-tu tonbillet ?… C’est un billet de première classe. Ne le perdspas.

Ou bien :

– Surtout, ne te penche pas auxportières… Un accident est tôt arrivé… Dans mon journal, il y en atous les jours !…

Sébastien pleurait. Il sentait ce qu’il yavait de tendresse maladroite et vive cachée sous ces phrasesbanales, décousues, dont le ridicule lui était cher. Jamais iln’avait vu son père ainsi. S’il eût osé, il se fût jeté dans sesbras, il l’eût supplié de laisser là le train, le Jésuite, laBretagne, les fils de princes, et de s’en retourner, tous les deux,dans la boutique, où ils seraient très heureux à s’aimer. Luiaussi, il se mettrait en manches de chemise, il aurait un tablierde cotonnade, et il irait chez les clients, compterait les cadenas,pèserait les clous. Quelle joie de revoir la rivière, les imagesrenversées des peupliers, les mouvantes chevelures desroseaux !… Et ses camarades retrouvés !… Et sespromenades avec Marguerite, le jeudi ! Et les champs et lesfleurs, et les parties de marelle, sur la grand-place !… Lesminutes s’envolèrent douloureuses.

Tandis qu’il rêvait ainsi, deux paysans avecde longues blouses bleues, leurs limousines sur le bras, leurstrognes vineuses à moitié dissimulées par des casquettes àmentonnière, entrèrent dans la salle et reconnurent M. Roch. Ilss’approchèrent de lui. Après les compliments d’usage, désignantSébastien :

– Et c’est l’héritier, sans doute,demanda l’un d’eux.

– Mais oui, c’est mon fils… MonsieurSébastien Roch.

– Allons, c’est bien… c’est bien !…Et comme ça, l’on va faire une petite promenade ?

Le quincaillier se redressa, plus digne, etd’un ton péremptoire, scandant ses mots :

– J’accompagne mon fils, qui part pour lecollège… pour le collège des Jésuites, à Vannes, le collègeSaint-François-Xavier.

– Allons, c’est bien, c’est bien.

Et, le dos rond, les membres gourds, ils seretirèrent lentement, à l’autre bout de la salle.

M. Roch s’indigna de ce que sa déclarationn’eût pas été accueillie de ces rustres par plus d’étonnement etd’admiration. C’était donc une chose naturelle, indifférente, queson fils s’en allât, en première classe, chez les Jésuites ?…Une chose qui arrivait tous les jours, à tout le monde ?… Ileut la pensée de les rejoindre, de leur expliquer ce que c’étaitque les Jésuites ; il se reprocha même de n’avoir pas donné audépart de son fils une plus grande solennité, de n’avoir pas invitéà les accompagner, le curé, le notaire, le médecin, toutes lespersonnes de distinction de la ville… Mais l’impression fâcheusedisparut vite ; il se contenta de murmurer, très bas, dans unhaussement d’épaules dédaigneux :

– Ces paysans !

Et, comme Sébastien continuait de pleurer, ille consola, répétant :

– Voyons, ne pleure pas… Tu vois bien quece sont des rustres… ils ne savent rien, ces gens-là… Il ne fautpas faire attention à ce qu’ils disent.

Soudain, un employé vint ouvrir la porte.

– V’là le train, monsieur Roch !…fit-il. Dépêchez-vous… Passez de l’autre côté.

On entendait le bruit clair d’une sonnerieélectrique qui se dévidait sans interruption, et un grondementsourd, pareil à l’approche d’un orage. Tous les deux, ilstraversèrent la voie, se tenant toujours par la main, effarés, unpeu chancelants. Et la sombre machine, terrible avec ses yeuxrouges qui s’avançaient dans la nuit, siffla, roula, s’arrêta, lesflancs secoués d’un halètement sauvage. Étourdis, ils ne bougeaientpoint, et ils regardaient la masse des wagons, d’un regardstupide.

En face d’eux, d’une portière vivementouverte, un prêtre sauta sur le quai, preste et leste. Sans unehésitation, et d’un geste gracieux, il salua M. Roch.

– C’est sans doute ce cher enfant,dit-il… notre cher Sébastien !… Bonsoir, mon petit ami.

Et, après avoir caressé l’enfant, il tendit lamain au père, en souriant :

– Quel charmant enfant, monsieurRoch !… Et comme nous l’aimerons !

Sous sa barrette, que l’élan du saut avaitdéplacée et mise de travers sur l’oreille, il avait une physionomiejeune, très douce, des yeux rieurs, un air d’attirantebienveillance, de bonté drôle.

M. Roch eût voulu parler. L’émotion d’être enprésence d’un Jésuite, l’étonnement d’avoir été reconnu par ceJésuite qui ne le connaissait pas, l’en empêchèrent. Il ne trouvaaucun mot, aucune phrase. Toute son éloquence s’en alla enrévérences embarrassées, en salutations éperdues, en gesticulationscomiques, devant cette simplicité, cette jeunesse, cette grâcequ’il n’avait pas prévues, qui le déconcertaient plus que lasolennelle, la sacerdotale, l’imposante vision en laquelle ils’était complu. Que ce Jésuite eût sauté du train, comme un gamin,il ne pouvait admettre que cela fût croyable, alors qu’il avaitimaginé il ne savait quelles vagues processions, quellesmystérieuses pompes. Il ne pouvait admettre, non plus, qu’unJésuite fût vêtu de noir, ainsi qu’un curé, sans le moindre insignedécoratif, où se révélât la puissance de l’Ordre. Tout cela leparalysait. Cependant, il tenta un effort, balbutia :

– Mon Révérend Père… C’est un père… jesuis un père… un père qui… Certainement, je ne m’attendais pas,comme ça !… le grand honneur !… Et puis le soir, dans unegare, on ne voit pas bien…

Il s’empêtrait. Les mots s’étranglaient danssa gorge. Le train allait repartir. Il embrassa gauchement son filsqui pleurait toujours, chercha une phrase décisive et, n’entrouvant pas, il bredouilla, la raison égarée, la bouche tordue degrimaces :

– Je suis content… bien content de vousavoir vu… Et sa pauvre mère eût été bien… contente… de… de… fairevotre connaissance.

À peine s’il s’aperçut que Sébastien étaitmonté dans le wagon avec le Jésuite, que le train s’était remis enmarche, avait disparu, laissant la voie vide. La tête découverte,le chapeau à la main, M. Roch demeura longtemps, à la même place,sur le quai, redevenu désert. Il saluait toujours, et toujoursrépétait :

– Bien contente… bien contente…

Il fallut l’intervention du chef de gare pourqu’il se décidât à partir. De son trouble, de son chagrin, de cetteémotion sincère qui en avait fait, tout à l’heure, une créaturehumaine et sensible, il ne lui restait plus que l’irritant dépitd’avoir manqué son discours, dans une occasion unique. Mécontent decette aventure, un peu honteux de lui-même, il rentra. Il nepensait déjà plus à son fils dont l’image disparaissait sous celledu Jésuite ; et il se disait :

– Ces Jésuites !… Quellepuissance !… Il m’a reconnu, celui-là… C’estincroyable !… Ils reconnaissent les gens qu’ils n’ont jamaisvus… Quelle organisation !

À la maison, M. Roch ne sentit point qu’unvide s’était fait, que quelque chose de cher – une habitude, uneaffection, une petite vie candide et remuante chaque jour mêlée àla sienne – allait lui manquer désormais. Et lorsqu’il passa devantla porte, restée entrouverte, de la chambre où son fils avait vécu,près de lui, il n’y arrêta pas un regard triste, et n’éprouva aucœur aucun sursaut. Il se coucha, s’endormit, comme de coutume,d’un sommeil profond rythmé par de sourds ronflements.

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