Suleïma

Suleïma

de Pierre Loti

Présentation

Être au monde et n’en rien voir, voilà une chose que Loti n’aurait pas supportée, et gageons que s’il n’avait pas épousé la carrière de marin, il aurait trouvé le moyen de partir voir ce vaste monde, dont enfant déjà il entrevoyait les splendeurs par la fenêtre de sa chambre, au premier étage de la maison familiale de Rochefort. Embarqué à 17 ans sur le Borda, Julien Viaud, né en 1850 dans une famille protestante,rêve de partir sur les traces de son frère Gustave, médecin à Tahiti. C’est un enfant choyé, « élevé en serre chaude »,qui tentera toute sa vie de satisfaire son besoin d’ailleurs.

C’est justement de Papeete qu’il rapporte,en 1872, son surnom de Loti (« laurier-rose »). S’ouvre alors une longue série de voyages à travers le monde : d’abord le Sénégal, où sa liaison avec une femme mariée lui inspire Le Roman d’un spahi, puis la Turquie : une révélation. Il y vivra, lors de fréquents séjours, des aventures propices à toutes les rêveries, et défendra corps et âme ce peuple primitif et enfantin, mais corrompu par la civilisation occidentale. Il publie anonymement Aziyadé en 1879, avant Constantinople en1890 et Les Désenchantées.

Après un périple en Extrême-Orient(Madame Chrysanthème, 1885), il épouse Blanche, dont il a un fils. La même année, il écrit Pêcheur d’Islande, son plus grand succès. Parallèlement, il agrandit et aménage sa maison avec ses souvenirs de voyage, organise des fêtes somptueuses qui satisfont son goût pour le travestissement, et entretient une abondante correspondance avec quelques grandes figures « fin de siècle ». Personnage fantasque, il compte Sarah Bernhardt et Carmen Sylva parmi ses plus fidèles amis. En 1891, il est élu à l’Académie française contre Émile Zola, et attaque violemment le naturalisme dans son discours de réception. C’est aussi l’époque où il découvre le Pays basque, qui devient son pays d’adoption, celui de Ramuntcho (1897). Avec Crucita, rencontrée en 1893, il aura trois fils. En 1894, il poursuit sa quête de la foi au cours d’un voyage en Terre sainte : en vain. L’Inde, la Perse,l’Égypte, autant de voyages qui remplissent la deuxième partie de sa vie, marquée par l’affaire Dreyfus et la première guerre mondiale. En 1919, il est violemment critiqué pour son engagement en faveur de la Turquie (Les Massacres d’Arménie). Il se retire alors dans sa maison du Pays basque, Bakhar Etchea,« la maison du solitaire », où il meurt en 1923. Après une vie d’errance et des obsèques nationales, c’est à Saint-Pierre d’Oléron, terre de ses aïeux, qu’il est inhumé.

À considérer Loti comme un auteur de romans à l’eau de rose à la limite du mièvre, on fait trop souvent l’impasse sur la force de son écriture.

Nourrie d’une « éternelle nostalgie » (l’enfance, les amours, les voyages…), elle exprime notamment dans les récits de voyages tous les doutes, mais surtout l’angoisse de la mort, cette cruelle inconnue.

Suleïma (1882)

« C’est mon vrai chez-moi, ce banc vert… » Perdu dans la contemplation de sa placide mais fidèle tortue Suleïma, Loti l’éternel nostalgique, le voyageur impénitent,se laisse une fois de plus prendre à la nostalgie de l’enfance etdu temps passé : entre la maison de Rochefort le havre depaix, et l’aventure dans les pays d’Orient, les impressions seconfondent. Un an avant la révélation turque, c’est un jeune hommequi découvre l’Algérie en 1869. Tombé sous le charme d’une enfantdont le destin s’avérera pathétique, il la retrouve dix ans plustard…

L’esthète, le dandy capricieux etfantasque, montre ici, en même temps que son attachement excessif àl’Orient, les tourments de sa vie errante. Récits de voyage,nouvelles, journal intime, tous ses textes traduisent en effet lasouffrance d’un homme qui ne peut considérer sereinement lesconséquences d’une vie qu’il a pourtant choisie, à savoird’incessantes allées et venues entre le foyer et l’exil, synonymesnon plus de liberté, mais de déchirement. Chaque retour renforce saperception déjà aiguë d’une fugacité qui rend vides de sens toutesles entreprises humaines. « À quoi bon », ne cesse-t-ilde répéter, marqué par une inquiétude qui tourne àl’obsession.

Suleïma la prostituée d’Oran, la tortuedes montagnes algériennes ainsi baptisée par jeu autant que parfétichisme, c’est aussi un peu de cette Aziyadé rencontrée et aiméedans les rues de Stamboul. À tout instant, les souvenirsressurgissent, traits d’union entre des univers opposés, trahissantla force de l’évocation qui grandit et embellit les choses ; àtravers d’infimes détails évocateurs, l’Orient rejointl’Occident.

Récit d’une vaine tentative pour arrêterla course du temps et reconstituer à Rochefort le charme del’Orient, Suleïma prend par endroits la dimension d’unpremier bilan. Tiraillé entre l’ici et l’ailleurs, Loti ajoute unépisode nostalgique à sa vie de voyages et de fuites.

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