To-Ho Le Tueur d’or

To-Ho Le Tueur d’or

de Jules Lermina

Partie 1
Le Supplice de Méha

Chapitre 1

Dans le kraton de Kota-Rajia, se dressant comme un nid d’aigles au-dessus du fleuve Kroung-Daroub, à la pointe nord de l’île de Sumatra, les Orangs-Atchésse défendaient contre les conquérants hollandais avec un courage du désespoir.

Peuple aux mœurs violentes, aux instincts pillards, les Atchés semblaient indomptables ; leur sultan,Mahmoud Shah, enfermé dans l’altière et sauvage forteresse le kraton, juché sur une masse de rochers inaccessibles, repoussait tous les assauts, dirigeant avec une énergie sauvage ses troupes qui faisaient de leurs cadavres une barrière infranchissable.

Autour du maître, serviteur d’Allah, s’étaient groupés les chefs des tribus barbares et courageuses, fanatisées par le mépris de la mort, qui, oubliant dans cette crise suprême leurs querelles intestines, étaient accourues pour résister à l’envahisseur.

Ils étaient tous là, ceux de Waslah, égorgeursde bœuf ; ceux de Malaboch, les mangeurs d’oubo-oubo, méduseset poulpes ; ceux de Malivang, sortis des gorges impénétrablesdu lac de Tola ; même ceux de Tibab qui est à la pointe sud,près du détroit de la Sonde : la haine de l’étranger, ducivilisé, du roumi réunissait les peuplades les plus disparates,qui avaient accepté l’autorité des trois grands panglimas(lieutenants) du sultan, Toukou Ibrahim, le seigneur des vingt-sixmoukims (districts) : Toukou Polim, qui commandait auxvingt-deux moukims : Toukou Lampasée, le chef desvingt-cinq.

Depuis neuf ans la guerre sévissait, tenace etinfatigable de la part des Hollandais, furieuse et désespérée chezles Atchés, ces audacieux pirates qui repoussaient l’intrusion desEuropéens, des blancs détestés. Depuis des siècles, blottis dansles anses profondes de leurs rives, ils avaient guetté les naviresque, tout à coup, cernaient leurs pirogues, alertes et pareilles àdes albatros. Le pillage et le meurtre terrorisaient l’océan Indienet le détroit de Malacca. Les îles Bali, Nias, Raopat n’étaient quedes repaires d’où chaque jour surgissaient ces vautours de mer quirendaient le passage impossible.

Oulélé, qui est le port de Kota-Rajia, étaitla caverne d’où s’élançaient les brigands Atchés. Edi, sur ledétroit, épouvantait les navires marchands en route pourSingapour.

Après de longs pourparlers, après des luttespartielles dans lesquelles l’avantage était resté aux Atchés, lesHollandais s’étaient décidés au suprême effort.

En 1872, un premier ultimatum avait été envoyéau sultan qui avait répondu par d’insolentes bravades : dès1878 l’attaque commençait et une forte artillerie bombardaitOulélé. Mais, devant la résistance des Atchés, il avait fallureculer.

Le général Kohler, chef de l’expédition, avaitété tué : après lui le colonel van Gogh, puis le général vanSwieten, qui, un instant, avait cru dompter ces indomptables ets’était heurté à une nouvelle révolte, encore plus ardente.

Au cours d’un raid dans les vingt-six moukims,le général Pel tombait, frappé d’apoplexie, selon les uns ;empoisonné d’après un bruit sinistre et vraisemblable. Enfin legénéral Dianout, désespérant de vaincre renonçait à la lutte,laissant le commandement au colonel van der Hyeden.

Et maintenant c’était la suprêmeépreuve : à Samalaggen, le colonel, une balle dans la tête,aveuglé par le sang, était resté sur le champ de bataille jusqu’àce que les trompettes lui annonçassent la victoire, et, pour lapremière fois, en face de cet homme qui semblait plus fort que lamort, un souffle d’épouvante avait passé sur le pays d’Atché. Onsentait que l’heure décisive approchait.

Ce jour-là, sur la grande place qui s’étenddevant le kraton, où se tenait le sultan invisible et toujoursredouté, les chefs avaient réuni les hommes et leurs tribus. Lanouvelle venait d’arriver d’une nouvelle défaite : unecentaine de Battaks avaient été cernés dans le lit d’un ravin etavaient été massacrés jusqu’au dernier. Car c’était une guerreféroce et sans merci.

Et la fureur des Atchés tournait enfolie : des hommes, saisis de frénésie, le kriss à la main, seruaient à travers la foule, comme ivres et épileptiques, etblessaient ou tuaient tous ceux qu’ils pouvaient atteindre. C’étaitl’amok, la vésanie sanguinaire des Malaisiens, qui éclatait encette crise de désespoir.

Le panglima de Pédir, superbe guerrier d’unetaille colossale, avait bondi sur une stèle, débris de quelqueantique pagode bouddhique, les deux poings levés vers le ciel et,brandissant le sabre dentelé, criait la vengeance : non !on ne reculerait pas devant l’éternel ennemi des libresOrangs !

Il fallait que partout, dans tous les coins duterritoire, s’élevassent des béatengs (redoutes improvisées) d’oùsiffleraient les flèches empoisonnées. Chaque arbre, chaque pli deterrain cacherait un vengeur ! Se décourager, non pas !Pour quelques enfants d’Atchés qui étaient tombés, des milliersd’autres se lèveraient pour prendre leur place… déjà on annonçaitl’arrivée du kedjouronan de Passangau, le puissant rajah quidisposait de huit mille lances… Allah protégerait ses enfants, etles damnés blancs huileux (les Hollandais) seraient jetés en pâtureaux requins de la mer, amie des Atchés.

Des cris frénétiques saluaient cesexhortations ; au-dessus des têtes, c’était comme unfourmillement d’acier, et ces acclamations sonnaient comme desrugissements de fauves.

Tout à coup, une clameur s’éleva :

« À la montagne desTrois-Paliers ! »

Et, de toutes les poitrines, les motsjaillirent.

« À la montagne ! Allah !Allah ! »

C’était, à quelque distance du kraton, unétrange monument, amas de dalles de marbre formant trois immensesgradins, et qui aux temps da l’idolâtrie, – moins éloignés que laconversion mahométane ne l’eût fait supposer – servait auxsacrifices humains. Depuis lors elle était réservée aux exécutionset, sur chacune des bornes en forme d’œufs énormes qui garnissaientles paliers comme de grosses perles de pierre, formant une lignepresque ininterrompue, ou voyait encore les traces sanglantes deshécatombes.

L’appel avait été entendu : ç’avait étécomme une issue ouverte à la frénésie générale. Par la grandeavenue qui fait face au kraton de la porte à Ponté-Perak, le longdu Kroung Daroub, la foule s’était ruée, enlevant sur ses épaulesles panglimas et les kedjouronans qui, brandissant leurs goloksdentelés, hurlaient des cris de fureur.

Et quand cette vague humaine, plus sinistreque celles de la mer, passa devant le gloumpang, l’arbre à formed’oiseau éployé sous lequel le général Kohler avait été tué lors del’attaque de la mosquée (missighit), il y eut une formidableexplosion de glapissements qui n’avaient plus rien d’humain.

La course continua avec des poussées sauvages,comme si chacun avait voulu atteindre le premier le but – lamontagne des Trois-Piliers, – dont maintenant la masse se profilaitau-dessus des bananiers, des pamplemousses, des koupoulos quedominait le somptueux soukouw, l’arbre à pain, dont les vastesfeuilles se déploient ainsi qu’un dais d’émeraude.

On était arrivé : à un signal, toutes lesvoix, subitement, s’étaient tues. Des épaules qui les portaient,les grands chefs avaient été hissés jusqu’aux premiers gradins, etlà, s’étant assis sur les pierres ovales, blanches et brillantes,restaient immobiles, les yeux baissés, attendant que la protectiond’Allah se manifestât par des signes visibles.

Alors s’éleva de la foule, sourd, susurrant,obscur en quelque sorte, un murmure que l’on aurait cru venir dufond de la terre, grondement doux et mystérieux. De tous ceshommes, tout à l’heure exaspérés et criards, les lèvres à demifermées exhalaient des sons dont l’unité eût été à peineperceptible. Peu à peu, par gradation insaisissable, un bruits’élevait, grandissait, hymne des temps antiques, alors que lesAtchés s’efforçaient d’imiter les bruissements de la nature,invocation à la fois suppliante et passionnée aux forcesmystérieuses épandues sur la terre et dans l’espace.

Les chefs s’étaient dressés et, au-dessus decette étrange prière faite de milliers de soupirs, lançaient le nomd’Allah à plein gosier, en des éclats de voix stridents.

Tout à coup, comme si à ces impérieusesrequêtes le dieu de Mahomet se fût décidé à répondre, il seproduisit sur le monument un mouvement subit, instantané, pareil àun changement de décor.

Sur le deuxième et le troisième palier, à tousles angles, entre et sur les pierres rondes, des hommes s’étaientsubitement dressés, nus, brandissant des lames et des sagaies,sortes d’êtres fantastiques évoqués de quelque rêve de légende.

Les Sakeys ! les Sakeys !c’est-à-dire les peuplades sauvages de la presqu’île de Malacca,vivant dans les bois, loin du commerce des hommes, et qui jusqu’iciétaient restés indifférents aux luttes engagées contre ceux deSumatra.

Ils apparaissaient tout à coup nombreux,vigoureux. Les chefs Atchés tendaient leurs mains vers eux, lesappelaient, les encourageaient de s’approcher. Les Sakeys, quiavaient traversé le détroit à la nage, race audacieuse etcombative, cependant au moment de renoncer à leur isolement et dese mêler à leurs congénères, semblaient encore hésiter.

Mais un d’entre eux se détacha et,franchissant d’un bond l’espace qui séparait un palier de la rampeinférieure, – saut de quatre mètres au moins, – se laissa tomberdevant le Toukou panglima des vingt-six moukims et lui soulevant lepied, le plaça sur sa tête en signe de soumission.

Le Sakey qui s’était prosterné devant lepanglima était horrible à voir. Tandis que ses compagnons,vigoureux, grands, bien découplés, aux cheveux noirs et abondants,aux muscles puissants, donnaient l’impression d’êtres puisant leurvitalité aux sources primaires de la nature, celui-là était unesorte de monstre, raccourci des misères humaines. Maigre, étique,avec les os qui perçaient la peau parcheminée, squameuse, commelépreuse, les yeux bordés d’un bourrelet écarlate, ce spectre,évadé de quelque repaire diabolique, jouissait cependant dansl’archipel d’une réputation universelle. Des Sakeys, c’était leseul qui eût voyagé à travers la Malaisie, et on le disait savant,sorcier, guérisseur. Il commandait à l’orage et à la tempête, etune terreur respectueuse s’attachait à lui.

Le panglima l’avait relevé, et maintenant,entre les deux hommes, le Sakey et l’Atché, un colloque s’étaitengagé à voix basse.

Igli-Otou, c’était le nom du Sakey, parlaitavec animation et ses bras décharnés s’agitaient en gestesviolents. Le panglima l’écoutait attentivement, et quand l’autreeut achevé ; il appela du geste ses deux collègues, lespanglimas des vingt-deux et des vingt-cinq moukims.

Effrayant de laideur, presque beau à forced’horreur, Igli-Otou attendait. Ses frères sakeys n’avaient pasfait un mouvement et tenaient leurs grands yeux noirs fixées surlui : on comprenait que de lui seul ils attendaient un appel,un ordre.

Alors le panglima des vingt-six moukims,Toukou Ibrahim, s’avança sur le bord du palier de pierre, et, d’ungeste impérieux commanda le silence. Tous se turent et ToukouIbrahim cria :

« Frères d’Atché, nos frères sakeysviennent nous offrir leurs bras vaillants et leur invinciblecourage !…

– Menang ! menang ! (Bravo !)crient toutes les voix.

– Nos frères sakeys ont été pillés par lesOurangs Oulou (les hommes blancs, les Hollandais) et leurs femmesont été enlevées, et leurs enfants ont été égorgés…

– Talo ! Talo ! (Exclamations decolère).

– Nos frères sakeys se veulent venger :ils sacrifieront leur vie pour punir les envahisseurs. Ils viennentà nous pour combattre jusqu’à la dernière goutte de leur sang.Mais, avant tout, ils veulent que le sultan accepte une conditionqu’ils entendent ne révéler qu’à lui-même : si notre seigneursultan Mahmoud, le représentant d’Allah sur la terre, consent à cequ’elle soit remplie, deux mille Sakeys se joindront à nous et,avec nous, chasseront l’envahisseur… Igli-Otou, notre frère sakey,ai-je bien traduit ta pensée ? »

Le vieillard, les deux mains croisées sur sapoitrine, s’inclina en signe d’assentiment.

« Lors, reprit Toukou Ibrahim, nousallons nous rendre au kraton avec une députation de nos frèressakeys et nous solliciterons une audience du sultan. Vous tous,ayez confiance : accueillez dans vos kampongs (maisons) lesSakeys qui demain combattront pour vous… Allez, gardez la paixentre vous et qu’Allah vous protège !… »

Mais un cri rauque, de clameur sauvage,interrompit, et un des Sakeys, une sorte de colosse velu, dont levisage disparaissait tout entier sous une barbe épaisse qui luicachait les joues et montait jusqu’à son front, bondit au devant dupanglima qui se disposait à descendre, et d’une voix hurlante,effrayante d’acuité, cria :

« Non, non ! pourquoi aller ausultan ?… Mort à l’ennemi ! Le Dieu veut lesacrifice ! En avant ! en avant !… »

Sa face sauvage étincelait de fureur ; enl’état d’excitation ou se trouvait la foule, ses appels à laviolence ne pouvaient être qu’entendus…

« Talo ! Talo ! »hurlaient maintenant les Atchés.

Le chef de Waslah traduisit le sentimentgénéral :

« Que veut dire notre frère sakey ?Qu’il s’explique !… S’il est un acte de justice à accomplir,nous sommet prêts !… Qu’il parle ! qu’ilparle !…

– Frères atchés !… » commença lepanglima des vingt-six moukims.

Mais la foule lui coupa la parole par sesclameurs. Quelques-uns des Sakeys entouraient Igli-Otou, et à voirla brutalité de leur geste, il n’était pas douteux qu’ils nefussent prêts à se révolter contre son autorité, s’il n’obéissaitpas à leur volonté.

Et Igli-Otou, soucieux avant tout de sapopularité, se décida à parler.

« Frères atchés, cria-t-il, le Dieu quipréside aux choses du ciel et de la terre, qui aima les Atchés etcouvre les Sakeys de sa protection, exige, pour le salut du pays,que soit mise à mort la misérable femme blanche qui, depuis cinqans, souille de sa présence l’île sainte de Sumatra… Il ne veut pasque la race traîtresse vous brave jusque sur votre sol… il ne veutpas que les rejetons de la race maudite des hommes d’au-delà lesmers puissent, grandissant sur votre terre, vous espionner, voustrahir et vous vendre à l’ennemi !… »

De qui parlait il donc ? Quel était donccet être, si dangereux, dont le Dieu des Sakeys réclamait lechâtiment ?… mais déjà les Atchés avaient compris, et un nométait jeté, dans une exclamation de rage et de haine :

« Méha ! Méha ! oui !oui ! le Dieu des Atchés est le Dieu de justice !… À mortMéha la blanche… à mort les enfants de Méha !… »

Était-ce par politique, était-ce pure pitiéque Igli-Otou n’avait cherché à accomplir un acte de violencequ’avec l’assentiment du sultan des Atchés ?… Mais son calcul,quel qu’il fût, était déjoué… un vent de fureur soufflait surtoutes les têtes…

Peut-être l’horrible scène qu’ils prévoyaienttroublait-elle les trois panglimas… mais la rage populaire étaitdéchaînée…

Méha ! Méha !…

Ce nom maintenant était comme un cri deguerre : Igli-Otou, entraînait les Sakeys derrière lui, et lamasse entière, comme un torrent déchaîné, se rua sur la pente quiconduisait aux bords du Kroung-Deroub…

Et dans le lointain, à la porte d’une petitepaillote dont les pieds baignaient dans l’eau bleue, on apercevaitune femme aux formes délicates, qui, au milieu des herbes, jouaitavec deux enfants qui riaient à leur mère…

Cette femme, c’était Méha !

Méha, la blanche, l’exilée, la prisonnière desAtchés et qui, depuis des années, à la suite d’événements tragiquesque nous raconterons plus loin, douce et résignée, se consacraittout entière à ses deux enfants…

George, dix ans à peine.

Margaret, la petite fille au teint pur et auxgrands yeux étonnés…

Elle vivait là, dans une butte, bonne à tous,inoffensive certes et ne pressentant pas l’horrible péril qui lamenaçait.

Et voici qu’à l’appel sauvage d’Igli-Otou, lafoule se ruait à assaut du misérable abri fait de lianes et debranchages.

Méha, ce matin-là, venait de baigner ses deuxenfants : sa petite Margaret avait cinq ans maintenant etgrandissait heureuse et insouciante au milieu de cette natureluxuriante et gracieuse à la fois.

George entrait dans sa dixième année :c’était un garçon solide, hardi, aux yeux clairs, au teint foncépar le climat. Sa chevelure très brune encadrait de bouclesélégantes un visage beau et énergique.

À celui-là, Méha avait raconté les terriblesévénements du passé ; et dans l’âme de cet enfant, dont leclimat avait presque fait déjà un jeune homme, grandissaient lescolères et les désirs de vengeance.

Méha s’efforçait de le calmer, maispouvait-elle le blâmer quand il maudissait l’infâme trahison quiavait coûté la vie à son père, la liberté à sa mère, et quil’enchaînait lui-même dans cette île dont il méconnaissait lesbeautés pour ne se plus souvenir que de ses cruautés ?

« Mère ! mère ! s’écria Georgequi, monté sur un tertre verdoyant, avait aperçu la foule dévalantde la montagne des Trois Paliers. On dirait que les brigands sontaffolés de rage… où vont-ils donc ? Voici qu’ils s’engagentdans le sentier qui descend vers le fleuve… S’ils venaientici ?

– Non, mon fils, c’est impossible !répondait Méha dont cependant le cœur se serrait d’une angoisseinvolontaire… Tant d’hommes ne se réuniraient pas pour attaquer lesfaibles que nous sommes…

– Mère, écoute ces clameurs ! On diraitque ces gens sont ivres de fureur et de sang !… Mère, je tedis que c’est nous qu’ils menacent… »

Méha s’était dressée toute pâle : oui,les voix, elle les reconnaissait : ces cris, elle les avaitdéjà entendus ! Elle s’efforçait en vain de garder sonsang-froid.

D’horribles pressentiments l’agitaient et elletremblait, moins pour elle certes qui était résignée à tous lessacrifices que pour ces chers êtres qui étaient toute sa vie etqu’elle adorait de toute la force de son âme !

Mais comme si la réalité eût voulu détruired’un seul coup ses illusions suprêmes, voici que le nom répété parcent voix parvint jusqu’à elle :

« Méha ! Méha ! àmort ! »

Emportés par le vent, les mots résonnaient àses oreilles comme des éclats de tonnerre, et George, lui aussi,les avait entendus.

Il courut à la paillote et s’empara d’un arcet de flèches : il avait appris à manier ces armes dangereuseset son coup d’œil infaillible ne manquait jamais le but.

« Non, enfant ! criait Méha. Je t’ensupplie !… Ne songe pas à combattre !… Prendsgarde ! songe à Margaret !… »

La petite fille, effarée par le bruit,instinctivement se blottissait dans la robe de sa mère. Méharegardait autour d’elle. Fuir, il n’y fallait pas songer !Outre que la distance à parcourir pour atteindre le pont était troplongue pour qu’ils pussent la franchir d’une seule étape, est-ceque les Atchés ne les auraient pas bientôt rejoints ?…

Pour arriver à la paillote, il fallaitfranchir un léger pont de lianes qui unissait les deux rives dufleuve. George s’était élancé de ce côté, prêt à défendre lepassage.

Mais sa mère le rappela : puisque c’étaitpeut-être la mort, il fallait la recevoir dignement, vaillamment,en fils de la noble Europe qui donneraient, encore, en périssant,une leçon de courage à ces enragés… Et d’ailleurs tout raisonnementétait superflu !… Igli-Otou, devançant ses compagnons, avaitle premier franchi le pont, et, avec une première troupe defidèles, avait couru vers la maison des blancs.

En un instant, Méha, George, la pauvre petiteMargaret elle-même avaient été saisis, renversés, chargés de liens.Des cris de triomphe saluaient cet acte de monstrueuse lâcheté…Déjà les couteaux se levaient sur leurs têtes ; mais Igli-Otouprononça quelques paroles, lancés d’une voix vibrante. Il dessinadans l’air, de sa main de squelette, un signe mystérieux… Les brass’abaissèrent…

Et les prisonniers, ligotés, bâillonnés,furent emportés, tandis que la foule criait :

« Au kraton !… Chez le sultanMahmoud !… »

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