To-Ho Le Tueur d’or

Chapitre 8

 

Revenons à Koolman et à Ned.

Le plan tracé avait admirablement réussi. Onavait retrouvé les Battaks, les voitures, les chevaux, lesoutils.

L’entreprise touchait un succès. Avec uneactivité que doublait la certitude du gain, les deux hollandaisfaisaient opérer les canaux de déblaiement de la grottemystérieuse.

Le doute était impossible : c’était bienlà un vieux temple, vestige de temps disparus, antérieurs peut-êtreà toutes les civilisations connus ; les statues d’or étaientdes dieux qui ne figuraient dans aucune mythologie, les personnagesqu’elles représentaient tenaient plus encore de la bête que del’homme.

On eût dit que, dans ces temps oubliés, desêtres avaient habité la terre, qui étaient demi-hommes etdemi-animaux, sans qu’on pût discerner où s’arrêtait la nature dechacune des deux races.

Mais c’étaient là considérations quitouchaient fort peu Koolman et ses acolytes, non enclins aux étudesarchéologiques. Le fait intéressant, c’est que ces statues étaientd’or et d’or pur, et que leur masse constituait une richesseincalculable.

Si on avait pu, sur la place même, lesdiviser, les réduire en lingots, mais on n’avait pas en possessionde l’outillage nécessaire ; il fallait agir plusélémentairement, les arracher de leurs socles, les renverser, lesdéplacer, au moyen de rouleaux, les hisser sur des brancards quis’en iraient ensuite, au pas lent des chevaux, jusqu’à la côte.

Un Battak, tenu dans l’ignorance du travail,avait été dépêché à Kotja, pour porter au Marsouin l’ordrede venir accoster en un certain point, où Koolman et sa troupe lerejoindraient sans attirer l’attention.

La tâche était rude, le socle sur lequelreposaient ces statues était d’un ciment tellement dur et sisolidement joint au métal, qu’il fallait parfois jouer de poudrepour produire l’arrachement.

Koolman et Ned se multipliaient, s’improvisantmécaniciens et ingénieurs.

Avant que les blocs d’or fussent sortis de lacaverne, il avait fallu aussi défricher les entours de l’issue,ouvrir une route à travers les futaies, pratiquer des issues par lahache et par le feu… et les jours passaient dans une agitation quichaque jour se faisait plus fiévreuse.

Instinctivement Koolman et Ned ne pouvaient sedéfendre d’une sensation d’angoisse : ils redoutaient on nesait quel hasard, impossible à prévoir, et qui, au moment décisif,compromettrait leur œuvre.

Cependant, quelle probabilité que se produisitune catastrophe invraisemblable ?

Ce soir-là, Koolman et Ned avaient constatésque les préparatifs étaient achevés : au prix de grandsefforts, les blocs d’or avaient été chargés sur des trucks solides,dont une partie serait tirée par des chevaux et l’autre par deshommes se relayant.

La route était ouverte, facile en somme, àl’exception des passages escarpés sur lesquels on se serviraitd’espèces de schlittes, ainsi qu’il se pratique dans certains paysmontagneux ; ailleurs, on avait tout préparé pour le flottagequ’on accélérerait par le halage.

Et, sous un ciel splendide, dont la profondeurbleue s’éclairait d’étoiles, les engins de transport étaientalignés sur la vaste clairière ménagée maintenant autour de lagrotte où gisaient encore des blocs dédaignés, qu’on reviendraitchercher plus tard, peut-être.

Les hommes dormaient : Koolman et Nedeux-mêmes, comme les héros militaires à la veille d’une grandebataille, après avoir longuement causé et avoir trinqué d’ungenièvre excellent dont ils avaient su dissimuler un caskde petite contenance, avaient fini par s’assoupir…

Le silence de la grande nature pesait.

Tout à coup, au sommet de la haute roche quidominait les groupes, une ombre parut, se détachant, noire, sur leciel profond.

Elle se pencha, regardant ; puis,lentement, s’accrochant de ses longs bras aux anfractuosités de lapierre… elle se mit à descendre…

C’était To-Ho !

À quelque distance de là, en arrière, danscaverne, Van Kock était avec Waa. Depuis des jours et des nuits,ils allaient, s’éloignant de leur retraite, à la recherche deshommes, et jusqu’ici ils ne les avaient pas rencontrés. Ce soir-là,ils s’étaient prudemment terrés, prêts à reprendre leurs recherchesau lever du soleil.

George était tout à fait rétabli : cesrégions aux senteurs balsamiques ont des grâces d’hygiène pour lesblessures. Van Kock n’avait eu qu’à aider la nature. Le jeune hommeavait rapidement reconquis ses forces. Il savait le but assigné àl’expédition de To-Ho et de Van Kock : l’expulsion deshommes.

Il ne protestait pas : en vérité,l’horreur qu’éprouvaient les Aaps pour leurs ennemis finissait parle pénétrer lui-même.

Van Kock attisait cette antipathie : levieil Hollandais était plus intransigeant que jamais, et pour luila haine de l’homme se confondait avec celle de l’or.

To-Ho, fiévreux, exaspéré, furetait de toutesparts, armé de la baguette de Phœbium, et avec un flair merveilleuxil devinait la présence de l’or, des minerais, des filons les pluscachés.

Van Kock, bien entendu, se défiant de sescolères instinctives, ne mettait en son pouvoir que des parcellesinfinitésimales de Phœbium, juste ce qui était nécessaire pourdésagréger l’or, mais non point ce qui aurait pu produire descatastrophes plus grandes.

De même qu’en Aaps Land, la provision qu’ilavait amassée du terrible métalloïde était à l’abri de touterecherche.

Cette nuit-là, To-Ho, qui ne dormait pas,était sorti de la caverne : l’air était doux, le ciel étaitpur, le pithèque aspira largement la brise qui fraîchissait.Soudain, il tressaillit. Quelque chose d’intangible, d’innommablel’avait frappé… il ouvrit ses narines toutes grandes, élargissantses pectoraux.

Il ne s’y trompait pas… cela sentaitl’or !

Il alla en avant, comme attiré par uneaimantation qui ne le trompait pas.

Il suivit le souffle, imperturbablement, sansdévier.

Enfin, il arriva à l’extrémité d’une table deroche qu’il reconnaissait bien, parce que c’était là déjà qu’ilavait rencontré des hommes et que George avait été frappé. Il sepencha et, dans la pénombre douce, il vit…

C’était le campement des chercheursd’or : à peine s’il distinguait la forme des hommes,enveloppés dans leurs manteaux, formant au hasard des massesnoires.

Quels ils étaient, peu lui importait,c’étaient des hommes… Et les chauds effluves de l’or montaientjusqu’à lui…

Alors, serrant dans son poing la baguette oùpointait la parcelle de Phœbium, il descendit… Si lourd qu’il fût,il ne faisait pas crisser les herbes, pas une pierre ne roulait… ilarriva en bas… et vit alors les chariots sur lesquels s’étendaientles idoles d’or enveloppées d’herbes et de lianes…

Mais il ne s’y trompa pas : il ne songeapas à se demander d’où venait cet or… il était là, cela luisuffisait.

Il rampait, avec une lenteur de sauvage,passant au milieu des groupes endormis sans que nul s’éveillât.

Il arriva à l’entrée de la grotte, et là, ilcomprit bien vite : ce n’était pas la première fois que, dansces gorges profondes, il avait découvert de ces antiques réduitsdont la nature lui échappait, mais qui, pour lui, n’était que desamas de choses maudites.

Il hésita : fallait-il commencer par làl’œuvre de destruction ?… Décidément, non.

Ce qui était le plus proche des hommes devaitêtre anéanti d’abord. Il revint, toujours glissant et faisant moinsde bruit qu’un reptile, jusqu’aux chariots.

Les statues d’or étaient à peine couvertes, ons’était réservé de les cacher tout à fait au moment où onatteindrait la côte.

Il vit la première, lentement avança labaguette de Phœbium, la toucha : il y eut une très légèrecrépitation, l’or se désagrégea, et sur les herbes, un tas resta,de boue noirâtre… Nul n’avait rien entendu, il passa à la seconde,à la troisième.

Ce lui était une jouissance infinie de voircette matière brillante, solide, dont il connaissait bien larésistance, s’écraser en une poussière impalpable et humide… et ilallait, il allait, prenant maintenant moins de précautions, tant letriomphe l’enivrait, se hâtant, voulant en finir…

« Eh ! qui va là ?Alerte ! Aux armes ! »

Les détonations répétées, si sourdes qu’ellesfussent, avaient, par leur monotonie même, troublé le sommeil desdormeurs.

Quelques-uns levèrent la tête, virent lemonstre courbé, allant de place en place, se baissant, puis serelevant avec un grognement de joie…

D’abord ils eurent peur : ces brutescroyaient volontiers aux démons de la nuit, et les légendessataniques hantaient plus d’un cerveau… Mais le cri d’alarmejaillit, et soudain tous les hommes furent sur pied, Koolman et Nednon des derniers.

Des coups de feu partirent au hasard, sansmême effleurer To-Ho, qui n’entendait pas laisser sa besogneinachevée.

Comme on courait sur lui, on se heurta auxchariots, et d’horribles clameurs s’élevèrent… Le jour venait et,de sa lumière crue, éclairait cette scène stupéfiante…

Qu’était-ce que cette boue, ce mucilageignoble et gluant qui tenait la place des statues, de cesadmirables statues d’or ?…

En ce moment, To-Ho s’attaquait à la dernière…et dans la rage qui le possédait, il l’avait jetée d’un coup dereins hors du chariot… Elle était tombée sur le sol… où là encoreson adorable reflet jaune disait sa pureté, sa valeur, se divinitéde richesse…

On se rua pour la lui arracher… il la toucha,simplement…

Clac !… de la boue… encore de laboue…

C’étaient des hurlements de folie !

On ne songeait même pas à s’étonner, às’épouvanter de cette œuvre démoniaque… la rage n’était faite quede désespoir… Et dans le paroxysme de cette furie qui s’affirmaitpar des cris rauques, par des gestes d’épileptiques, les armespartaient, mal dirigées, frappant amis plutôt qu’ennemis…

À peine si To-Ho avait été effleuré…

On était autour de lui, on le pressait…

Koolman, se frayant un passage, sans sedemander quel était cet adversaire, jeté tout à coup dans uncauchemar, dans une vision d’enfer, braqua son revolver sur To-Ho,à la hauteur de son crâne…

Instinctivement, tandis qu’un coup partait,lui rasant le crâne, To-Ho leva le bras, saisit l’arme, l’arrachaet, par un de ces hasards extraordinaires que rien ne pourraitexpliquer, le tourna vers ses assaillants, ayant le doigt sur lagâchette, et il tira les cinq balles qui restaient dans lebarillet… Ned, frappé en plein front, lança une malédiction ettomba… Koolman s’était baissé : un des hommes, derrière lui,reçut un projectile dans la gorge et s’écroula, rendant du sang parla bouche…

Trois autres gisaient à terre, plus ou moinsgrièvement blessés… Et l’épouvantable monstre, qui maintenantsemblait bien vomi par l’enfer, faisant tournoyer le revolver qu’ilavait maintenant avait par le canon, frappait, brisait des os,cassait des têtes…

On n’osait plus tirer sur lui, tant cettesilhouette géante avait un caractère fantastique… et il ne selassait pas…

Tout à coup, dans le lointain, très, trèsloin, semblait-il, un cri s’éleva, lent, avec une sonorité delamentation et d’appel…

« To-Ho ! To-Ho !… »

Le pithèque se redressa, et, la tête baissée,fonçant sur le groupe qui se pressait dans des affres d’épouvante,il passa au travers, culbutant Koolman qui, encore au passage, luienvoyait un coup de carabine, lança dans l’ouverture de la cavernesa baguette de Phœbium pour achever l’œuvre interrompue… Puis,s’accrochant aux roches, monta, monta…

Dix balles sifflèrent…

Il avait disparu !…

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