Trilby ou le Lutin d’Argail, Contes et Ballades

Charles Nodier

TRILBY OU LE LUTIN D’ARGAIL

CONTES ET BALLADES

1822

Ce qui m’a procuré le plus de plaisir dans mes petites compositions littéraires, c’est l’occasion qu’elles me fournissaient de lier une fable fort simple à des souvenirs de localité dont je ne saurais exprimer les délices. Je n’y aime rien autant que mes réminiscences de voyage, et on me permettra de dire en passant qu’elles sont aussi exactes que le permet la nature un peu exagérée de mes impressions ordinaires. Gleizes disait en parlant de ses Nuits Élyséennes, rêverie merveilleuse dont on ne se souvient guère : « Elles sont assez bonnes si elles rappellent l’ombre de la montagne noire, et le bruit du vent marin. » C’est ce que j’ai cherché partout, parce que mes meilleures sympathies sont pour cette nature muette qui ne peut pas me contester le droit de l’aimer. Les autres créatures de Dieu sont fières, ombrageuses et jalouses. Celles-là sourient de si bonne grâce à l’amour qu’elles inspirent ! Aussi je voyage volontiers seul, sans m’inspirer des préventions et de la science des autres, et c’est comme cela que j’ai vu l’Écosse dont j’ai parlé comme un ignorant, au jugement de la Revue d’Édimbourg, et à ma grande satisfaction. Je n’y cherchais, moi, que les délicieux mensonges à la place desquels ils ont mis leur érudition et leur esprit, qui ne leur donneront jamais des joies comparables aux miennes. Quiconque descendra la Clyde, et remontera ensuite le lac Long vers le Cobler, avec Trilby à la main, par quelque beau jour d’été, pourra s’assurer de la sincérité de mes descriptions. Elles lui paraîtront seulement moins poétiques que la nature ; ceci, c’est ma faute.

Je savais une partie de l’histoire de mon lutin d’Écosse, avant d’en avoir cherché les traditions dans ses magnifiques montagnes. J’ai dit cela dans mon ancienne préface, en parlant de cette ballade exquise de la Fileuse de de Latouche, écrite comme il écrit, en vers comme il les fait ; car je recevais alors les confidences de cette muse, sœur privilégiée de la mienne, mais un peu inquiète, et injustement défiante d’elle-même, qui semblait n’amasser de secrets trésors que pour me les donner. Je me serais bien gardé d’opposer les pauvretés de ma prose aux richesses de sa poésie, et j’allais cherchant au pied des Bens et au bord des Lochs le complément de la vieille fable gallique, effacée depuis longtemps de la mémoire des guides, des chasseurs et des batelières. Je ne le retrouvai qu’à Paris, le jour même où mon roman était vaguement composé dans ma tête, comme le siège de l’abbé de Vertot.

Mon excellent ami Amédée Pichot, qui voyage plus savamment que moi, et qui laisse rarement quelque chose à explorer dans un pays qu’il a parcouru, n’ignorait rien des ballades de l’Écosse et de l’histoire de ses lutins. Il me raconta celle de Trilby, qui est cent fois plus jolie que celle-ci, et que je raconterais volontiers à mon tour, si je ne craignais de la défleurir, car il m’avait laissé le droit d’en user à ma manière. Je me mis au travail avec la ferme intention de suivre en tout point la leçon charmante que je venais d’apprendre ; mais elle était, il faut l’avouer, trop naïve, trop riante et trop gracieuse, pour un cœur encore follement préoccupé des illusions d’un âge qui commençait cependant à s’évanouir. Je n’avais pas écrit quelques pages sans retomber dans les allures sentimentales du roman passionné, et j’ai grand’ peur que cette malheureuse disposition de mon esprit ne m’empêche de m’élever jamais à la hauteur du conte des fées, non sur la trace de Perrault (mon orgueil ne va pas si loin), mais sur celle de mademoiselle de Lubert et de madame d’Aulnoy. Je prends le ciel à témoin que je n’ai pas de plus fière ambition.

Il me reste à dire quelques mots pour ceux qui m’écoutent, et pendant que je cause. Le talent du style est une faculté précieuse et rare à laquelle je ne prétends pas, dans l’acception où je l’entends, car je ne crois pas qu’il y ait plus de trois ou quatre hommes qui la possèdent dans un siècle ; mais je me flatte d’avoir poussé aussi loin que personne le respect de la langue, et si je l’ai violée quelque part, c’est par inadvertance et non par système. Je sais que cette erreur est plus grave et plus condamnable dans un homme qui a consacré la première partie de sa vie littéraire à l’exercice du professorat, à l’étude des langues, et à l’analyse critique des dictionnaires, que dans un autre écrivain ; mais j’attends encore ce reproche, et je comprends mal que Trilby m’ait valu, comme Smarra, un anathème académique dans le manifeste d’ailleurs extrêmement ingénieux de M. Quatremère de Quincy, contre ces hérésiarques de la parole que l’école classique a si puissamment foudroyés. C’est depuis ce temps-là qu’on ne parle plus de Byron et de Victor Hugo.

En y regardant de près, j’ai trouvé qu’il y avait dans Trilby quelques noms de localité qui ne sont ni dans Horace, ni dans Quintilien, ni dans Boileau, ni dans M. de La Harpe. Quand l’institut publiera, comme il doit nécessairement le faire un jour, une édition définitive de nos meilleurs textes littéraires, je l’engage ne pas laisser passer sans correction la fable des Deux Amis de La Fontaine, où il est parlé du Monomotapa.

Je n’ai presque rien à ajouter sur les petites pièces qui suivent Trilby, et que j’ai vaguement appelées Contes et Ballades, parce que je ne savais en vérité quel titre leur donner. Cela est fort indifférent. Les premières sont fort anciennes, et se ressentent de ma ferveur de jeune homme pour cette belle école germanique où vivaient il y a vingt-cinq ans les derniers germes féconds de la littérature imaginative, et si l’on veut de l’amour imaginaire. Je suis trop loin, par mes études et par mon âge, de l’époque où je les ai composées, pour y attacher le moindre intérêt, et j’en suis encore trop près, par ma manière de sentir, pour me trouver la force d’y changer quelque chose. J’aime mieux ne pas les relire, et le lecteur sera certainement de mon avis. L’Histoire d’Hélène Gillet, seule, n’est pas du même temps. Ce sont les dernières pages que j’ai écrites, et j’ai peur qu’elles n’en vaillent pas mieux pour cela.

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